Généalogie de la sobriété
Nous avons été surpris de découvrir une excellente et digeste synthèse historique sur la notion de sobriété proposée par l’ADEME.
C’est disponible en ligne, ça se lit très bien et ça montre bien la profondeur historique de la notion ainsi ses multiples usages.
« La frugalité est un bien que l’on ne peut trop estimer ; […] afin que n’ayant plus les choses dans la même abondance, nous nous passions de peu, sans que cette médiocrité nous paraisse étrange ; aussi faut-il graver fortement dans son esprit que c’est jouir d’une magnificence pleine d’agrément que de se satisfaire sans aucune profusion. »
Epicure, Lettre à Ménécée Cité par ADEME, Panorama sur la notion de sobriété, novembre 2019, p.8
La sobriété dans la Stratégie nationale bas carbone de 2020
La Stratégie nationale bas carbone 2020, c’est notre plan de bataille pour atteindre la “neutralité carbone” en 2050, c’est-à-dire le zéro émissions nettes de GES sur notre territoire (SNBC p.39) .
Dans ce document vous retrouvez, pour l’agriculture, les transports, le bâtiment, les objets une démarche de diminution de la consommation et de la demande, c’est-à-dire de sobriété. En voici quelques illustrations.
La sobriété ne suffit pas : le scénario Négawatt
En France, Négawatt est incontestablement l’association qui pousse la sobriété le plus loin dans les scénarios de décarbonation.
Cette asso propose des trajectoires pour décarboner notre système énergétique d’ici 2050, et ses “scénarios” sont très influents dans les programmes politique de EELV, de la FI et plus généralement à gauche. En attendant (avec impatience) leur scénario pour 2022, on retient le scénario Négawatt “2017 – 2050” qui cherche à décarboner à 100 % toute l’énergie qu’utilise la France en s’ajoutant, en prime, la contrainte du 100 % renouvelable et de sortir du nucléaire.
Ce scénario demande beaucoup de sobriété, de baisse de consommation, pour économiser l’énergie dans tout plein de secteurs et espérer ainsi se passer du gaz, du pétrole, du charbon ET du nucléaire.
Negawatt a consacré une brochure complète à la sobriété. Nous allons ici vous montrer certaines de leurs hypothèses d’évolution de consommation qui montrent à quel point la sobriété est poussée dans leur scénario. Ces hypothèses sont tirées de la publication “Scénario 2017 – 2050, Hypothèses et résultats”.
Concentrons-nous maintenant sur le logement.
Négawatt suppose que, d’ici à 2050, la surface des logements neufs aura diminué d’un quart.
Pour ça, on arrête progressivement de construire des maisons, paf, quasiment tous les logements neufs c’est des apparts, et des apparts de – de 70 m² en moyenne ! Construire des logements neufs plus petits, c’est pas anodin comme choix de sobriété.
Aujourd’hui, il y a 1 personne sur 7 qui vit dans un logement surpeuplé en France, et ça monte à une personne sur 3 chez les ménages les plus pauvres. C’est dur d’imaginer lutter contre ce surpeuplement, qui concerne pas loin de 10 millions de français, en construisant des logements plus petits.
Vous le voyez, ces quelques hypothèses Négawatt sur la viande, les transports, les objets et le logement sont déjà très très ambitieuses. On s’approche d’idéaux de vie promus par les tenants de sobriété exigeante. Négawatt propose un vrai EFFORT collectif, une vraie baisse de confort matériel.
Quelle baisse de consommation énergétique tous ces efforts nous permettent d’espérer ?
Le Scénario Negawatt chiffre cet impact à sa page 27.
Si on respecte à la lettre le scénario, qu’on satisfait toutes leurs hypothèses exigeantes de notre consommation d’énergie n’aura diminué que de 28 % par rapport à aujourd’hui.
On comprend là que la sobriété n’est qu’un des leviers pour réussir la transition énergétique. Il est indispensable de développer l’efficacité énergétique et, surtout, le remplacement des énergies carbonées par des sources bas carbone.
Qui doit être sobre ? La sobriété ne doit pas cacher les inégalités
Selon nous, la bonne manière de porter aujourd’hui le discours – indispensable – de sobriété et de diminution de la consommation, c’est de le connecter aux inégalités.
La nécessaire baisse de la consommation ne concerne pas de la même façon toutes les Françaises et tous les Français.
Prenons la viande par exemple. Si l’on en croit l’enquête de l’INSEE sur le budget des familles, entre 2000 et 2010, les 25 % les plus pauvres consommaient 20-25 % de viande en moins que la moyenne française alors que les 25 % les plus riches en consommaient 30 % de plus. Qui doit “réduire de 50 % sa consommation de viande” ? Probablement pas les plus pauvres.
Le même raisonnement vaut pour les transports.
Les plus pauvres font au total, tous transports confondus, 3000 km par an de déplacements longs (p.173), là où la moyenne des français est 2 fois au dessus, elle dépasse les 6000 km. Si on regarde les plus riches, avec leurs 12 000 km annuels, ils se déplacent 4 fois plus que les plus pauvres. Question : qui doit moins se déplacer, et moins loin ?
Le chiffre qui résume ces inégalités dans la conso de viande, les kilomètres parcourus etc., c’est les émissions totales de gaz à effet de serre en fonction des revenus.
Les plus pauvres ont déjà un niveau d’émissions pas très éloigné du niveau soutenable de 2 tonnes de CO2/habitant et par an. Et ça compte les émissions importées ! Pour eux, y’a pas un grand besoin de sobriété. Ils sont déjà très sobres par contrainte. Ils subissent la sobriété.
Vous voyez que même les classes moyennes “inférieures” ne sont pas si loin du niveau soutenable.
A l’inverse, les 10% des français les plus aisés ont un mode de vie totalement insoutenable pour la planète, qui émet plus de 30 tonnes de CO2/an, + de 15 fois ce qui est soutenable.
Voilà pourquoi un discours “uniforme”, qui prône la sobriété “tout court” sous entendu, le même effort moral pour chacun – un tel discours uniforme est incontestablement lacunaire.
Ce qu’on vient de voir au niveau d’un pays riche, la France, est encore plus vrai quand on compare les pays riches aux pays pauvres.
Dans notre vidéo “riches, pauvres et changement climatique”, on a vu un ordre de grandeur intéressant à retenir : les 10% les plus riches émettent en gros 50% des émissions et les 50% de la population mondiale la plus pauvre n’émet que 10%.
C’est bien aux 10% les plus riches qui émettent 50% d’abord qu’il faut penser quand on parle de sobriété.