Les pays riches sont plus émetteurs
Sur ce graphe, on peut observer la responsabilité de chaque pays dans toutes les émissions de CO2 accumulées de 1751 à 2018.
Ce qui saute aux yeux, c’est le poids immense des Etats-Unis et de l’Europe dans ces émissions. Les US c’est 26 % et l’UE c’est 23 % des émissions totales de toutes l’humanité. Un quart chacun en gros.
Rien d’étonnant, les Etats-Unis et les pays européens – Angleterre France et Allemagne en tête – sont les premiers à avoir entamé leurs révolution industrielle et à avoir brûlé massivement du charbon, du pétrole et du gaz pour faire tourner plein de machines.
La Chine, pays le plus peuplé du monde depuis bien longtemps, a beaucoup moins émis : elle n’est responsable “que” de 13.5 % des émissions de CO2 historiques.
L’autre élément qui saute aux yeux, c’est le poids dérisoire de continents entiers : l’Afrique, c’est 3 % du CO2 émis. Et encore, là dedans, l’Afrique du sud pèse pour près de la moitié. L’Amérique du sud, c’est 2% des émissions de CO2.
Aujourd’hui, le poids de chaque pays dans les émissions de CO2 a un peu évolué. Ce graph vous montre les émissions de CO2 en 2018 pays par pays.
On voit un tout autre tableau. La Chine mène la danse avec 27.5 % des émissions annuelles. Les Etats-Unis sont seconds avec 15 % et l’UE complète le podium avec 9.5 % des émissions.
Si, avec le développement de la Chine, le poids des pays riches dans les émetteurs aujourd’hui est moins visible, y’a bien une vérité qui ne change pas. Les pays pauvres n’émettent quasiment rien.
Il n’y a que 6 pays africains dans les 50 plus grands émetteurs : l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Nigéria le Maroc et la Libye. Et l’Afrique entière n’est responsable que de 4% des émissions de 2018, à peine plus du quart des émissions américaines. Rappelons que l’Afrique est 4 fois plus peuplée que les USA.
Quand on regarde quels pays ont été historiquement à l’origine du RC et quels pays émettent aujourd’hui, force est de constater un fait massif : les pays riches ont une responsabilité incommensurablement supérieure à celle des pays pauvres, d’Afrique, d’Amérique centrale ou d’Océanie notamment.
LES INDIVIDUS RICHES ÉMETTENT PLUS
L’ONG Oxfam monde s’est demandée, il y’a quelques années, à quel point les individus les plus riches étaient responsables du changement climatique.
Leurs conclusions sont sans appel : les 10 % les plus riches du monde sont responsables par leur consommation de la moitié des émissions de CO2 mondiales. En comparaison, les 50 % de personnes les plus pauvres sur Terre ne causent que 10 % des émissions totales.
Certes, les données ne portent que sur le CO2 et pas sur tous les gaz à effet de serre et aussi, ces données datent de 2007 donc elles sont un peu anciennes. Ca serait bien de les mettre à jour en comptant tous les gaz à effet de serre, pas seulement le CO2.
Mais malgré ces petits défauts, l’ordre de grandeur de l’étude d’OXFAM est à retenir : la consommation des individus plus riches, leur mode de vie, les rend immensément plus émetteurs que les plus pauvres.
Si on regarde les inégalités d’émissions selon la richesse non plus à l’échelle de la planète mais à l’intérieur des pays, on voit les mêmes inégalités. Nous vous recommandons le super travail effectué par les économistes Thomas Piketty – dont on vous a déjà parlé quelque fois – et Lucas Chancel, qui nous permet de voir ces inégalités. Leur étude date de 2015 et tient compte des émissions importées.
En France, la moyenne des émissions par personne est autour de 11 t d’équivalent CO2 par an. Mais si on zoome sur les 10% les plus pauvres, on voit qu’ils n’émettent “que” 3.8 t d’équivalent CO2. Le SMICARD français n’est pas si loin des 2t CO2/an/humain en 2050, qui est le niveau d’émission compatible avec les 2 degrés. Les 10% des Français les plus riches, eux, ils émettent en moyenne 31.2 t d’équivalent CO2, 8 fois plus que les pauvres et 15 fois plus que le niveau soutenable.
On voit que parler des émissions “des Français” ou de “la France” peut être trompeur. Les riches français émettent beaucoup plus que les pauvres français. Et la France n’est pas un cas particulier. Vous voyez le même genre d’écart aux Etats-Unis, au Brésil et même au Rwanda.
Qui subit le changement climatique ? Les pays pauvres d’abord.
Les cartes illustrant les impacts futurs du réchauffement climatique sont éloquentes.
Les pays les plus pauvres d’Afrique sub-saharienne, d’Asie du sud-est ou d’Amérique centrale sont presque tous classés en “risque élevé” ou en “risque extrême”.
Ces classements de “risque élevé” et “risque extrême” sont issus d’un index de vulnérabilité climatique qui compile les différentes conséquences du changement climatique pour montrer quelles sont les régions qui cumulent le plus de risques.
Cet index tient compte de l’élévation des températures bien sûr, mais aussi de toutes les autres conséquences du changement climatique.
On peut penser à la multiplication des sécheresses à certains endroits et à la montée des inondations à d’autres. On peut penser à la montée du niveau des océans qui menace particulièrement les deltas des grands fleuves au “ras de la mer”, où vivent 500 millions de personnes. On peut penser encore à la fonte des glaciers qui menacent l’approvisionnement de certaines régions en eau, ou encore à la dégradation des récifs coralliens. On peut penser aussi aux cyclones et aux ouragans de plus en plus violents, ou encore aux incendies géants qui font de plus en plus souvent l’actu.
Toutes ces conséquences vont mettre sous tension les systèmes agricoles, l’accès à l’eau, ou encore les zones habitables pour des centaines de millions d’humains.
La double peine des pays pauvres
Les pays pauvres subissent la double peine : ils sont objectivement plus touchés par les changements climatiques en cours et à venir ET ils ont moins de moyens pour y faire face. Leurs sociétés, leurs infrastructures, sont plus fragiles.
Prenons un exemple : les ouragans. Haïti et la République Dominicaine partagent la même île. Les deux pays sont donc touchés par les mêmes catastrophes naturelles. Pourtant, les bilans humains de ces catastrophes sont bien différents. La tempête tropicale la plus meurtrière pour ces pays ces dernières années c’est l’ouragan Jeanne. Jeanne est passée au large d’Haïti et de la Rep Dominicaine en septembre 2004, et a causé la mort de 3 000 Haïtiens emportés dans des coulées de boues et des glissements de terrain.
Le même ouragan en République dominicaine n’a tué que 18 personnes.
Pourquoi une telle différence ? La République dominicaine, avec son PIB + de 9 fois supérieur à celui de sa voisine Haïti, avait davantage de moyens pour se préparer à ces tempêtes – Les bâtiments sont plus solides, les infrastructures plus au point etc etc. Pareil, un PIB presque 10 fois supérieur donne aussi plus de moyens pour réagir après coup à la catastrophe.
Le facteur “développement économique” est très important.
Dites-vous que le nombre de catastrophes naturelles qui touchent les pays riches et les pays pauvres est globalement équivalent depuis les années 1970. Mais le nombre de morts est 10 fois plus élevé dans les pays les plus pauvres (Strömberg, 2007 p.8). A catastrophe identique, les pays pauvres prennent beaucoup plus cher !
Cette différence de vulnérabilité entre pays riches et pauvres a un peu diminué, mais elle reste encore très forte : pour la période 2007-2016, une étude parue l’année dernière montre que les catastrophes naturelles font encore 4 fois plus de morts dans les pays pauvres, (Formetta et Feyen, 2019).
Dans chaque pays, les pauvres sont plus vulnérables aux aléas climatiques
Ces inégalités de vulnérabilité entre pays riches et pays pauvres face aux changement climatiques, on les retrouve sans surprise entre les riches et les pauvres d’un même pays.
C’est le cas même dans un pays riches comme les Etats-Unis. L’exemple parfait de la vulnérabilité des plus pauvres face aux aléas climatiques, c’est l’ouragan Katrina de 2005. L’ouragan Katrina, c’est 1800 morts et plus de 100 milliards de dollars de dégâts. Cet ouragan, a ravagé d’immenses parties de la Nouvelle Orléans, la plus grosse ville sur le delta du Mississippi.
Seulement, tout le monde n’a pas été à égalité face à cette catastrophe climatique.
Les habitants les plus riches, anticipant les consignes officielles, ont fui vers le Nord du Mississippi et les États voisins d’Alabama et de Géorgie. Ils ont occupés les motels de ces régions. Mais les plus pauvres ne possédaient pas de voiture et ne pouvaient pas s’offrir les nuits d’hôtel. Si bien que, selon une étude réalisée après la catastrophe, les ménages les plus pauvres (10-20k$ /an) avaient deux fois moins de chance d’évacuer la ville avant l’ouragan que les ménages plus aisés (40-50k$/an) [Source : Eliott and all. 2006, Table 3]. Sans surprise, les plus pauvres ont été beaucoup plus touchés par l’ouragan et ont mis plus de temps à s’en remettre.
Et ce qu’on vient de voir pour un pays riche, les Etats-Unis, est vrai aussi dans les pays pauvres. En général, les populations les plus pauvres dans chaque pays vivent dans des habitations plus fragiles, moins bien isolés du chaud et du froid. Ils vivent aussi dans des régions et des quartiers plus exposés aux catastrophes naturelles, tout simplement parce qu’ils sont moins chers. Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à lire cette super synthèse méga récente de 2020 de l’OFCE. C’est une mine d’or sur les inégalités face au changement climatique.
Le drame, c’est que ce qu’on a vu avec les inégalités économiques, riches/pauvres, ça se cumule avec les autres inégalités. Les femmes par exemple, sont souvent plus exposées aux conséquences du réchauffement climatique que les hommes.
Si vous voulez un exemple de l’exposition particulière des femmes aux conséquences du changement climatique, une équipe de chercheurs américains, anglais et kenyans qui sont allés étudier la vulnérabilité des femmes face au climat dans 11 villages africains, répartis dans 8 pays de l’est et l’ouest africain.
Ces villages ont différentes organisations sociales et familiales, différentes pratiques agricoles, bref, avec leur recherche on peut avoir une idée de l’exposition particulières des femmes dans beaucoup de situations de l’Afrique rurale. Quelles sont leurs conclusions ? Que les femmes sont particulièrement exposées au réchauffement climatique. Elles sont plus exposées à la malnutrition, à la sécheresse, ont moins de ressources pour s’adapter aux mauvaises récoltes, travaillent plus longtemps à l’extérieur – notamment parce qu’elles sont chargées des collectes de bois et d’eau.
Là on vous a pris un exemple sur les femmes, mais vous trouvez la même vulnérabilité en regardant d’autres inégalités, par exemple celles qui touchent les minorités ethniques. Ça a été montré un peu partout, du Myanmar (p.36) à La Nouvelle Orléans en passant par la Sibérie : les minorités ethniques souffrent davantage du réchauffement climatique. [Mutter 2015 ou GIEC 2014, Working Group 2]
Vous l’avez compris : le changement climatique va taper plus durement les populations les plus fragiles et va avoir tendance à renforcer les inégalités.