I ) Quels sont les impôts les plus importants ?
Cette vidéo traite des impôts que nous payons tous, nous autres citoyens. Des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les ménages, il y en a de nombreux. Voici un graphique qui résume, pour l’année 2019, le poids en milliards d’euros de chaque composante de la fiscalité des ménages.
[ Cliquer sur l’image ou sur ce lien pour accéder aux sources des différents chiffres ]
Première remarque, l’impôt sur le revenu est loin d’être le premier impôt payé par les ménages. La CSG – autre impôt sur les revenus – les taxes sur la consommations (TVA, Taxes sur produits) et les cotisations sociales représentent tous un montant plus important que l’impôt sur le revenu.
On voit donc que “ne pas payer l’impôt sur le revenu” n’a rien à voir avec “ne pas payer d’impôt” du tout.
Petites précisions sur les calculs de la “part ménages” de la TVA, des taxes sur les produits et des cotisations sociales.
- La TVA est payée par vous et moi, mais aussi par les entreprises, les associations et les administrations publiques. Il a donc fallu isoler la “part ménage” dans le total de TVA collectée ce qui n’est pas chose aisée. Nous avons trouvé un rapport de la Direction générale du Trésor datant de 2016 qui donne (page 16) le chiffre suivant : les ménages payent 67.8 % des recettes totales de la TVA. En appliquant ce pourcentage aux 174.4 milliards d’euros de TVA collectée en 2019, nous obtenons le chiffre de 120 milliards d’euros de TVA payés par les ménages.
- Nous n’avons malheureusement pas trouvé de rapport équivalent pour obtenir la part des taxes sur les produits payée par les ménages. Nous avons donc appliqué, par hypothèse, le taux de 67.8 % que nous avons trouvé pour la TVA. Cette hypothèse est “prudente”. On peut penser que des produits comme l’alcool, le tabac ou les jeux de hasard sont consommés quasi exclusivement par les ménages. En appliquant ce pourcentage aux 115 milliards d’euros de taxes sur les produits collectés au total, on arrive au chiffre de 79 milliards d’euros que nous reportons sur le graphique.
- Enfin, les cotisations sociales sont payées en partie par les employeurs et en partie par les employés. Nous avons fait le choix de ne retenir que la part “employés” des cotisations sociales prélevées en 2018. Elle représentait 89 milliards d’euros.
Maintenant que nous sommes familiarisés avec le poids de chaque impôt, examinons maintenant si chaque impôt est “juste” : c’est-à-dire si les pauvres payent moins et les riches payent plus ce qui, en langage fiscal, s’appelle “progressif”.
II) L’impôt sur le revenu est progressif
Comment mieux commencer notre tour d’horizon qu’en détaillant la star des impôts : l’impôt sur le revenu.
L’impôt sur le revenu, c’est l’impôt des fameuses “déclarations d’impôt”. Chacun doit entrer l’ensemble de ses revenus – salaires, retraites, traitement de fonctionnaire, revenus du capital, plus-value etc etc – et sa situation familiale puis on calcule le montant total de l’impôt sur le revenu dû.
L’impôt sur le revenu est clairement progressif. Plus tu gagnes, plus le taux d’impôt sur le revenu que tu payes est élevé. Cet impôt est incontestablement progressif. Plus les revenus sont importants, plus le pourcentage prélevé est important.
La première tranche de revenus, c’est jusqu’à 10084 euros/an, soit +- 840 € par mois. Là, tu payes rien : le taux est de zéro %. Ce taux monte ensuite progressivement pour atteindre un max de 45% sur les revenus qui dépassent 158 000 € par an.
Attention : Ces tranches d’impositions restent valables malgré le prélèvement à la source. Le prélèvement à la source sur les revenus salariaux est un “acompte” sur votre impôt sur le revenu total. Le calcul de ce dernier inclut l’ensemble de vos revenus ainsi que ceux de votre conjoint.
Attention également à une erreur courante qu’il ne faut pas faire : les ménages qui gagnent plus de 150 000 € par an, ils ne payent pas 45% d’impôt sur le revenu.
Ils ne payent 45% que sur la somme qui dépasse ce seuil de 158 000 euros. Mais comme tous les autres, ils payent 0% jusqu’à 10 084 €, puis 11% sur la tranche du dessus, puis 30%, et ainsi de suite.
Ce qui fait que le taux payé par un ménage très aisé qui gagne 200 000 € par an n’est pas 45% – le taux de la dernière tranche – mais “seulement” 35%. On vous le signale parce que la confusion est fréquente.
Deux chiffres illustrent parfaitement le mécanisme “progressif” de l’impôt sur le revenu.
III ) L’injustice des taxes sur la consommation
La TVA et les taxes sur les produits (alcool, essence, tabac etc.) représentent 198.6 milliards d’euros soit 2.6 fois le montant de l’impôt sur le revenu. Il importe donc d’en évaluer le fonctionnement et, particulièrement, de vérifier si ces taxes sont justes.
Notons d’abord que ces taxes sur la consommation, tout le monde les paye. Riches comme pauvres. Le SDF qui achète à manger ou un café paye la TVA comme Bernard Arnaud ou Xavier Niel.
Ensuite, contrairement à l’impôt sur le revenu, les taxes sur la consommation ne sont pas progressives du tout ! C’est même l’inverse : elles sont régressives : plus on est riche, moins elles pèsent sur notre budget. C’est confirmé par une étude de la Cour des comptes (page 11).
Pour les 10 % les moins riches du pays, la TVA qu’ils payent chaque mois représente 12.5 % de leur budget !! S’ils ont un billet de 10 € en poche, 1 € 25 qui part en impôt, mais un impôt invisible, la TVA. De l’autre côté, pour les 10 % les plus riches, la TVA ne représente que 4.7 % de leur budget, soit quasiment 3 fois moins !
Vous voyez donc que la TVA est particulièrement lourde à supporter pour les plus pauvres. Et tout ça en dépit des taux de TVA réduits sur l’alimentaire et les biens de première nécessité.
Comment c’est possible ?
Et bien c’est très simple : les plus pauvres dépensent une grande partie de leurs revenus dans la consommation (97%), qui est taxée. A l’inverse, les plus riches placent une grande partie de leur revenu (28 %) dans l’épargne, qui – elle – n’est pas taxée par la TVA.
Et on retrouve la même mécanique régressive pour les taxes sur les produits. Une hausse des taxes sur le tabac, l’essence ou ce que vous voulez va peser plus lourd sur le budget des plus pauvres. Ça a été vérifié à l’occasion des réformes fiscales de Macron sur les clopes. SOURCE : OFCE, Policy Brief 30, 2018, p.8 et sq
IV ) La CSG : le “vrai” impôt sur les revenus n’est pas le plus juste
Le vrai impôt sur les revenus n’est pas celui qu’on croit, c’est la CSG, la contribution sociale généralisée.
La CSG s’applique à tous les revenus qu’on touche : salaires, retraite, dividendes, ce que vous voulez et même les allocations chômage. Rappelez-vous le premier graphique, avec ces 134 milliards collectés en 2019, la CSG représente le double du montant de l’impôt sur le revenu.
La CSG est payée par tout le monde, dès le premier euro de revenu. Il n’y a pas de personnes “non imposables” à la CSG.
A part pour les retraites, la CSG est légèrement progressive, le taux de CSG est le même pour tous : pour les salaires par exemple, la CSG c’est 9.2 % du salaire brut, que tu gagnes 400 ou 4000 euros par mois. Mécaniquement, avec ce taux proportionnel appliqué uniformément quel que soit le niveau des revenu, la CSG est un impôt moins progressif, moins juste que l’impôt sur le revenu.
Alors qu’en 2011, les 10% des ménages qui gagnent le plus font 70% des recettes de l’impôt sur le revenu, ils ne font que 34% de celles de la CSG. [ SOURCE : Rapport sur la fiscalité des ménages, 2014, p.14 ]
Ce chiffre de 2011 est probablement sous-estimé parce que la CSG n’a pas arrêté d’augmenter depuis sa création. Introduite par le PS en 1990, la CSG, la “contribution sociale généralisée”, devait aider à financer la sécurité sociale. Au départ, c’était une taxe méga faible : 1,1% seulement. Mais elle a ensuite été augmentée, petit à petit, sans créer de grand débat politique, pour atteindre aujourd’hui 9,2% sur la plupart des revenus.
Résultat : en 30 ans, on a affaibli l’impôt sur le revenu progressif (l’impôt sur le revenu de nos déclarations) et on a beaucoup renforcé un impôt sur le revenu proportionnel : la CSG. C’est très clair sur ce graphe.
En 1991, les recettes de l’IR représentaient plus de 4% du PIB et la toute nouvelle CSG, seulement 1%. Très rapidement, la CSG a pris le pas sur l’impôt sur le revenu. En 2010 la CSG représentait quasiment 2 fois le poids de l’impôt sur le revenu. Aujourd’hui, en 2019, la part de la CSG a encore grimpé et représente + de 5.5 % du PIB. [ 134.4 milliards de CSG / 2425.7 milliards de PIB ).
Concrètement, on a largement remplacé notre impôt sur le revenu très progressif par un autre qui l’est beaucoup moins, la CSG.
V ) Les cotisations sociales ne sont pas progressives
Les cotisations sociales ne sont pas un prélèvement très progressif. Au contraire. Les gens très riches payent une part beaucoup plus faible de leurs revenus en cotisations sociales. Pourquoi ?
Pour une raison extrêmement simple, qu’on a déjà évoquée dans notre vidéo qui sont les riches. Les gens très riches tirent surtout leurs revenus de leur capital, de leurs propriétés. Ils touchent des loyers, des dividendes, des plus-values de vente etc. Les salaires représentent une part beaucoup moins importante de leurs revenus.
[ SOURCE : Garbinti et. al., Income Inequality in France 1900-2014, Banque de France 2018, p.65 ]
Les cotisations sociales ne touchent que les salaires. Les revenus du capital en sont exemptés. On comprend alors pourquoi, à mesure que la richesse augmente, les cotisations sociales pèsent de moins en moins sur le total des revenus.
Et là, avec cette dernière découverte, on arrive au moment critique.
On sait maintenant que l’impôt sur le revenu est très progressif, mais qu’il n’est qu’un impôt parmi d’autres – pas du tout le plus gros. On sait aussi maintenant que les autres prélèvements obligatoires sont beaucoup moins progressifs que lui, quand ils ne font pas carrément plus contribuer les pauvres que les riches.
C’est le moment de répondre à la question qui gêne : si on additionne tous les impôts, taxes et cotisations qui touchent les ménages,si on prend l’ensemble de notre beau graphique, est-ce que, au total, notre système fiscal fait réellement plus payer les riches que les classes moyennes et les plus pauvres ?
VI ) Bilan : est-ce que notre fiscalité est progressive ?
Pour répondre à cette question, idéalement, il faudrait que des chercheurs en socio ou en éco enquêtent sur des ménages plus ou moins riches, et qu’ils mesurent tous les impôts, taxes et cotisations qu’ils paient sur une année. Ça nous permettrait d’estimer à partir d’exemple réels, combien chaque ménage paie de prélèvements obligatoires au total, en fonction de son revenu.
Malheureusement, c’est très compliqué à faire. Par exemple pour calculer la TVA payée sur l’année, demande de connaître exactement la consommation de quelqu’un – quelle partie , était à TVA réduite, quelle somme était à taux normal. Il faudrait connaître toutes les dépenses exactement. Bref : c’est une galère, et malheureusement, une telle enquête n’existe pas aujourd’hui.
Heureusement, une équipe de chercheurs qui a fait une modélisation pour répondre à notre question, la grande question de la justice de nos impôts. Cette équipe, c’est celle de Thomas Piketty, comme souvent quand on parle de fiscalité.
Leur modèle prend tous les impôts et cotisations payés en France et les attribue aux ménages selon la distribution des revenus. Pour éviter les doubles comptes, ils excluent les inactifs (jeunes et retraités) et les chômeurs. Ce n’est pas bête, les pensions de retraites sont le revenu des retraités ET les cotisations des salariés.
[ DETAIL DE LA METHODOLOGIE ICI : Bozio et. al., Inequality and Redistribution in France, 1990-2018:Evidence from Post-Tax Distributional National Accounts, WID 2018, (pp 9 – 16 ) ]
Le modèle de Piketty est donc une approximation qui nous une réponse pour une seule partie de la population : les adultes qui travaillent. Voici le pourcentage d’impôt payé par les adultes qui travaillent en fonction de leurs revenus.
Les très pauvres (P0-P10) paient environ 45% de leurs revenus en prélèvements obligatoires. Ca monte ensuite mais très doucement jusqu’à un peu moins de 55% pour les 10% les plus riches. Le plus frappant, c’est que pour les méga riches, le top 0,1% et au delà, on voit que le taux arrête d’augmenter, et même qu’il diminue.
Les méga riches paient donc – proportionnellement à leurs revenus – MOINS d’impôt que les classes moyennes et les riches “normaux”, les riches qu’on croise dans la vie de tous les jours.
Si on essaye de comprendre ce qui se passe, on voit que les plus pauvres payent surtout des taxes sur la consommation et des cotisations sociales.
Les méga riches eux, si leur taux global diminue, c’est surtout parce qu’une grande partie de leurs revenus vient de leur capital, et échappe aux cotisations sociales.
Conclusion : on a un besoin urgent d’autres études plus fines pour vérifier tout ça, mais quand on regarde notre système fiscal dans son ensemble, on est loin d’avoir un système où les petits paient petit, et où les gros paient gros.
On a plutôt un système où on paye tous plus ou moins la même proportion de ce qu’on gagne.
Voilà qui tranche avec l’idée reçue d’un système fiscal “progressif et juste” véhiculée par la focalisation sur l’impôt sur le revenu.
Autre enseignement non négligeable, on apprend que NON, il n’est pas vrai que les méga riches sont étranglés par la fiscalité. En proportion de leurs revenus, un membre de la classe moyenne sup ou un “petit riche”, contribue plus au pot commun que Bernard Arnaud ou Xavier Niel.