La participation aux élections législatives
Un chiffre résume très bien la faible participation aux législatives : en 2017, moins d’1 électeur sur 2 a voté au premier tour des législatives, alors que près de 80% des gens avaient fait le déplacement pour le premier tour des présidentielles quelques semaines plus tôt.

Et 2017 n’est pas une exception. C’était aussi le cas en 2002, en 2007, en 2012, et il y a de grandes chances que ça soit toujours vrai en 2022.
Le mode de scrutin des législatives
Aujourd’hui, les élections législatives fonctionnent au scrutin uninominal à deux tours sur 577 circonscriptions.
Ce mode de scrutin a l’avantage de permettre l’émergence d’une majorité claire pour gouverner. C’est pour cette raison que ce mode de scrutin a été choisi par les pères de la Vème République, De Gaulle et Debré, en 1958.
Le défaut de ce scrutin, il marginalise les forces politiques “non centrales” qui ont du mal à se qualifier ou à l’emporter au deuxième tour.
Pour bien comprendre ce défaut, on s’est amusé à regarder combien chaque famille politique de 2017 aurait eu de députés, si avec les mêmes résultats qu’au premier tour, on avait élu nos députés à la proportionnelle.
Voici l’Assemblée nationale élue à l’occasion des élections législatives de 2017.

LREM, le parti du président, a obtenu 308 sièges, soit davantage que les 289 nécessaires à la majorité absolue. Le scrutin uninominal à deux tours fonctionne comme prévu. Voyons maintenant ce qui se serait produit avec un scrutin proportionnel.
Nous avons choisi le scrutin proportionnel le plus simple, la proportionnelle intégrale à un tour au niveau national – avec un seuil de 5% pour éliminer les micros partis. Chaque parti propose une liste de 577 députés, les Français votent une seule fois – il n’y a qu’un seul tour dans une proportionnelle – et on répartit les sièges en fonction des résultats. Chaque force politique a alors un nombre de députés proportionnel à son poids électoral.
La règle d’attribution des sièges la plus commune est la règle dite “de la plus forte moyenne” qui fonctionne comme suit :

Si on applique ces règles aux résultats du premier tour des législatives de 2017, voici l’Assemblée élue.

On remarque de nombreuses différences. Le parti du président, LREM, n’aurait pas obtenu la majorité de 289 députés seul. Il aurait plafonné à 173 au lieu du confortable 308 qu’ils ont obtenus. Par conséquent, LREM aurait dû s’allier avec d’autres partis comme le PS, le Modem ou la droite LR.
Les partis moins centraux auraient réalisé de bien meilleurs scores. LFI et le PC auraient eu 84 députés au lieu de 27, un chiffre qui correspond plus à leur poids dans l’élection présidentielle de 2017. Idem, le RN et Debout la France auraient eu 83 députés au lieu de 9.
Bien sûr, c’est juste un exercice de pensée. Avec d’autres règles, les partis auraient fait d’autres choix d’alliance, et obtenu des scores sûrement différents. Mais cet exercice nous permet de comprendre par l’exemple que notre système actuel facilite l’émergence d’une majorité claire sans avoir besoin d’alliances, et marginalise les forces “non centrales” – à gauche ou à droite – qui ont du mal à gagner les seconds tours et se retrouvent avec un nombre de députés ridicule par rapport à leur poids électoral réel.
L’injustice du mode de scrutin ne pénalise pas certains partis uniquement sur le plan politique, elle a un impact direct sur leur financement.
Législatives : les élections clés du financement de la vie politique
Un des gros enjeux des élections législatives, c’est l’argent. Au moment des législatives se joue une grosse partie du financement public des partis politiques.
Il y a d’abord la subvention par voix. Chaque parti gagne 1.64€ par voix obtenue au premier tour, pour les 5 années qui suivent. Mettre un bulletin dans l’urne au premier tour des législatives, c’est donner 8€20 à votre parti préféré.
Attention, il y a tout de même quelques conditions.
Le parti doit avoir obtenu au moins 1% des voix dans 50 circonscriptions.

Ces petites conditions n’ont l’air de rien, mais elles permettent de mieux comprendre plusieurs aspects des législatives.
- Les “alliances entre partis”, comme par exemple les négociations de 2022 entre la FI, EELV, le PC et le PS qui ont donné la NUPES, tournent souvent autour de ces petites règles. Dans l’accord électoral de la NUPES, chaque parti tenait absolument à avoir “au moins 50 circonscriptions pour lui”, pourquoi ? Pour toucher la subvention et les 8€20 par voix.
- Ces règles expliquent aussi qu’aux législatives, vous pouvez voir des partis vraiment “chelous”, dont vous n’entendez jamais parler en temps normal. En 2017 par exemple, “La France qui ose”, de Rama Yade a réussi à obtenir 90 000 voix dans les 175 circonscriptions où le parti se présentait, débloquant ainsi 114 000 € de subvention chaque année. Il arrive même que ces micro-partis fassent des coalitions étrange juste avec l’espoir que, ensemble, ils puissent valider les “1% dans 50 circos” et toucher un peu d’argent. On pense par exemple à l’alliance “La caisse claire” qui regroupait en 2017 divers partis baroques.

L’autre condition importante pour toucher 1,64 € par voix, c’est la parité (p.16). Si on constate plus de 2% d’écart entre le nombre de candidats hommes et de candidats femmes proposés par un parti, ce parti perd une partie de la subvention.

Les Républicains n’ont gagné que 1,13 euros/voix au lieu de 1,64, parce qu’ils ont présenté 96 hommes de plus que de femmes. Hop, 30% de leur subvention envolés pour manquement à la parité

La FI – qui a présenté 23 hommes de plus que de femmes – a aussi un peu perdu, ils ont touché 1 euro 54 par voix au lieu d’1.64. Plus original, le micro parti animaliste a été sanctionné parce qu’il avait présenté trop de femmes. 91 candidats femmes pour 56 hommes.
Les législatives rapportent aussi de l’argent aux partis grâce à la subvention “par député”. Dès qu’un parti envoie un député à l’Assemblée, il touche 37 200 € par an.
Avec le mode de scrutin “uninominal à 2 tours”, les partis centraux sont avantagés, ils font élire plus de députés et donc touchent plus d’argent.

A ces subventions liés aux résultats des élections, il faut aussi ajouter l’argent distribué aux groupes parlementaires. L’Assemblée nationale accorde une subventions aux groupes parlementaires pour qu’ils puissent embaucher des gens pour gagner en expertise, rédiger les lois et les amendements, bosser en commission.

Outre le poids politique, ce financement explique l’importance pour les partis politiques d’obtenir un groupe parlementaire à l’Assemblée.
Enfin last but not least, chaque député élu rapport avec lui son salaire et celui de ses collaborateurs. Pendant 5 ans, le député touchera une indemnité de base de 5715 euros nets ainsi qu’une enveloppe de 10 581 euros bruts par mois qui peut permettre de recruter jusqu’à 5 collaborateurs.
Voilà ce que donne la somme des financements annuels aux partis politiques qu’ont débloquées les élections législatives de 2017.

Bref : vous l’avez compris, le nombre de voix et le nombre de députés aux législatives, c’est hyper important pour l’économie de notre vie politique.
Autre conséquence du graphique ci-dessus, chaque voix aux législatives n’a pas la même valeur.
Si on additionne tous les financements publics obtenus par les partis sur 5 ans grâce aux législatives, et qu’on ramène ça au nombre de voix qu’ils ont obtenu au premier tour, on voit que tous les partis sont très très loin de gagner autant par voix.

Les partis qui s’en sortent le mieux sont les partis du centre et de droite – qui grâce à des alliances, ont beaucoup de députés par rapport à leur poids électoral total.
A l’autre bout, vous trouvez la FI, avec “seulement 18 euros/voix, où les 11 € par voix du Rassemblement national. Ces partis “de masse” font de très bons scores aux élections nationales mais comme ils ont peu de députés, ils touchent beaucoup moins d’argent que leur poids politique.