Les milliardaires : un nouveau problème historique - Osons Comprendre

Les milliardaires : un nouveau problème historique

Parler de l'enrichissement des milliardaires, est-ce que c'est un truc de jaloux, de démagogue ? Dans cette vidéo, on analyse l'évolution de la richesse des plus riches, en France et dans le monde, et on réalise qu'il se passe un phénomène historique et massif avec le capital des milliardaires, un bouleversement d'une ampleur qui n'a rien d'anecdotique.

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Points clés

  • La richesse se mesure par le patrimoine que chaque individu possède. Si le patrimoine moyen – net de dettes – d’un Français est de 250 000 € en 2021, il est très inégalement distribué. La moitié la plus pauvre possède environ 10 fois moins (25 000 €), la classe moyenne possède entre 100 000 et 500 000 euros et les plus riches possèdent des patrimoines immenses. Les 1% les plus riches – soit 530 000 personnes – possèdent chacune plus de 2 millions d’euros. 53 000 personnes (le top 0.1%) possèdent plus de 9 millions d’euros, 5 300 possèdent plus de 33 millions (le top 0.01%) et 530 personnes en France possèdent un patrimoine moyen de 1.1 milliards d’euros (le top 0.001%).

 

  • Quand on réfléchit à l’évolution du patrimoine des méga riches, on est frappé de constater que le patrimoine des 530 milliardaires a augmenté beaucoup beaucoup plus vite ces 10 dernières années que celui du reste de la population (autres catégories de riches inclus). Il a été multiplié par plus de 3 en seulement 10 ans. Aucune autre catégorie n’a connu une croissance supérieure à 28% durant la même période. Si depuis 10 ans, plus on était riche plus on s’est enrichit, la situation des milliardaires est incomparable avec celle du reste du pays. Il y a une vraie fracture entre le destin de ces milliardaires et celui du reste de la population.

 

  • Ces méga riches du top 0.001% n’ont jamais possédé une part aussi importante de la richesse des Français. Aujourd’hui, ces 530 milliardaires possèdent quasiment autant que les 26 millions de Français les plus pauvres. Une telle concentration de richesse est sans précédent dans l’histoire.

 

  • Cet enrichissement spectaculaire des milliardaires – incomparable avec celui du commun des mortels – se constate aussi au niveau global. Les gigas riches se sont beaucoup plus et beaucoup plus vite enrichis depuis 1995 qu’aucune autre catégorie de la population.  Cette explosion de l’extrême richesse est un phénomène réel, indéniable et massif à l’échelle du globe.

 

  • Ces milliardaires sont connus – il s’agit des Musk, Arnault, Gates, Bezos etc. qui garnissent les classements Forbes. Ils ne se contentent pas de concentrer des dollars, ils accumulent un tel pouvoir économique et politique que le principe démocratique de l’égalité des citoyens est totalement mis en cause.

 

  • Que faire pour diminuer le pouvoir de cette extrême richesse ? Une idée en vogue est de taxer les hauts patrimoines, à la manière de l’ancien ISF français. Cette idée retrouve de nombreuses modalités et est reprise partout dans le monde. L’Espagne l’a mise en œuvre pour lutter contre l’inflation, la candidate à la primaire démocrate Elizabeth Warren en a fait la promotion aux Etats-Unis et, tout récemment, le groupe Vert au Parlement Européen a proposé sa mouture européenne. En plus de corriger une concentration des pouvoirs dangereuse pour la démocratie, un tel impôt sur les hauts patrimoines permettrait de lever de précieux deniers publics et de mettre fin à une inégalité terrible : aujourd’hui, en France comme dans de nombreux pays du monde, les méga riches paient proportionnellement moins d’impôts que le commun des mortels.

Sources et références

Patrimoine qui possède combien ?

 

Quelle est la valeur du patrimoine d’un Français adulte “moyen” ? Autour de 252 932 euros en 2021. Plus que la moyenne, ce qui compte c’est la distribution. Combien possèdent beaucoup (et combien) et combien possèdent peu ?

La moitié des Français les plus pauvres dispose en moyenne de 25 600 € de patrimoine, 10 fois moins que le patrimoine “moyen”. Les 40 % de gens entre le milieu et le top 10 %, la classe moyenne si vous voulez, c’est des Français qui possèdent entre 100.000 et 500.000 euros.

 

Attention, ces chiffres donnent le patrimoine par personne. Donc un couple dont les deux adultes sont dans cette “classe moyenne” peut avoir entre 200.000 et 1 million de patrimoine.

 

A partir de 516 106 € de patrimoine par personne, on rentre dans le top 10 % des plus riches de France. Pour faire partie du club des 1% les plus riches, il faut posséder un patrimoine d’un peu plus de 2 154 978 €. Ce top1%, c’est 530 000 Français et Françaises. Loin d’être négligeable.

Mais ces “1%”, c’est que le début.

Les 53.000 Français qui sont dans le 0.1% les plus riches, ils possèdent au moins 9 millions d’euros. Par personne.

Montons encore une marche de la pyramide. Pour entrer dans le top 0.01%, parmi les 5300 personnes les plus riches de France, il faut posséder plus de 33 millions d’euros de patrimoine.

Et c’est pas fini ! Pour monter sur la dernière marche, et entrer dans le club des 0.001%, les 530 personnes les plus riches de France, il va vous falloir plus de 618 millions d’euros. Vous entrez dans le club avec 618 millions mais en moyenne, ces 530 personnes possèdent chacun 1.1 milliards. On va donc appeler ces 530 personnes les “milliardaires” dans la suite de la vidéo même si on est conscient que la plupart d’entre eux n’est probablement “que” multi centaines de millionnaires.

 

 

Comment les patrimoines ont évolué ces 10 dernières années ?

 

Maintenant qu’on a une idée de qui possède quoi, et que vous savez où vous vous situez objectivement, voyons comment le patrimoine des uns et des autres à progressé ces 10 dernières années. Pour voir l’évolution de la valeur réelle de ce qu’on possède, on va vous montrer cette évolution nette d’inflation.

Quand on regarde ce graph, qui nous vient de l’équipe de chercheurs autour de l’économiste star Thomas Piketty, un premier constat nous saute aux yeux. Ces 10 dernières années, plus on est riche, plus on s’est enrichi.

CORRECTIF : sur ce graphique, on a mis par erreur l’échelle de gauche en « % », mais elle est en réalité en indice avec base 100 en 2012, comme indiqué dans le titre du graphique. L’augmentation est donc bien de *3 pour le top 0,001%, et non de *4 (ce qui serait l’augmentation si c’était +300%, car +300% fait *’ et non *3). On va corriger ce graphique.

Le patrimoine des ultra riches, les 530 individus du 0,001%,a triplé en seulement 10 ans.

Pendant ce temps-là, le patrimoine de la moitié la plus pauvre de la population a augmenté d’un timide +12% et celui des classes moyennes d’un modeste +16%.

Quand on voit ce graphe, on peut penser que les autres riches – les top 0.01, 0.1 et même 1% , ne sont pas en reste. Ils se sont tous bien plus enrichis que le commun des mortels.

 

Mais attention à un gros risque d’erreur statistique :

Dans le top 10% le top 1% le top 0.1% ou n’importe quel top, les 0.001 % qui chapeautent la pyramide sont également comptés.
Or, comme leur patrimoine est très important (plus d’1.1 milliards d’euros) et a triplé dans la période récente cette seule catégorie peut complètement fausser les chiffres de celle du dessous.

Pour contourner ce problème, on peut regarder l’évolution de la fortune des 0,01% les plus riches sans les 0,001%. On va les appeler les “méga riches”.

Pareil, on peut regarder les 0,1% en enlevant les 0,01% et les appeler les “très riches”.

Avec le même raisonnement, on peut découper les 10 % de Français les plus riches en 4.8 millions d’aisés, 480 000 riches, 48 000 très riches, 4 800 méga riches. A chaque fois, on ne compte pas les riches de la catégorie du dessus.

 

Maintenant qu’on a fait ça, regardons comment a évolué le patrimoine de nos riches.

Surprise, une fois chaque niveau de richesse séparé, on remarque que l’augmentation du patrimoine des milliardaires est sans commune mesure avec celle des catégories d’en-dessous.

Le patrimoine des “méga riches” n’a augmenté “que” de 28 % en 10 ans. Dans le graphique précédent, où les milliardaires étaient inclus au “Top 0.01%”, on observait une multiplication par deux.

Attention quand même : la situation de ceux qu’on a appelé les riches, les très riches et les méga riches n’est pas non plus à plaindre. Quand nos méga riches gagnent 28%, ils passent de 464 à 594 millions d’euros de patrimoine. Un enrichissement de 130 millions d’euros en 10 ans.

Durant la même période, les très riches gagnent 3 millions d’euros de patrimoine, les riches 800 000 euros et le tout, net d’inflation. Le patrimoine de la classe moyenne n’a lui progressé en moyenne que de 30 000 euros durant ces mêmes dix années.

Le patrimoine des riches, des millionnaires et multimillionnaires, ne souffre pas en France.
Mais on observe une vraie fracture entre le destin des milliardaires au sommet de la pyramide et celui du reste de la population, méga riches inclus.

 

 

Du jamais vu : les ultra riches possèdent autant que la moitié des Français

 

Grâce aux recherches du Laboratoire sur les inégalités mondiales – le labo de chercheurs autour de Piketty, on peut observer en une seule image toute l’histoire des inégalités de richesse en France depuis 200 ans. Rien que ça 🙂

On voit d’abord que, de 1800 à la première Guerre Mondiale en 1914 , la France est une terre d’immenses inégalités de patrimoine. Les 50% les plus pauvres ne possèdent absolument rien pendant que les 10 % les plus riches détiennent autour de 80 % de la richesse des Français ! Les 40% du milieu récupèrent les miettes.

La société du 19ème siècle est extrêmement divisée avec un niveau d’inégalité comparable à celui que connaissent aujourd’hui le Centrafrique (80), la Namibie (80), l’Afrique du sud (85) ou le Chili (80), les pays les plus inégalitaires du monde où les 10 % les plus riches possèdent plus de 80 % de la richesse totale.

[ SOURCE : World Inequality Database 2023, “Top 10% share of Net Personal Wealth – 2021” ]

 

A partir de la première guerre mondiale, on entame une réduction des inégalités. La classe moyenne augmente lentement son patrimoine au détriment de celui des 10%.

Cette montée de la part du patrimoine détenue par la classe moyenne s’accélère grandement durant les 30 glorieuses. Avec la mise en place de l’Etat providence et la croissance économique forte de ces années, même la moitié la plus pauvre commence enfin à posséder son patrimoine à elle : jusqu’à 7-8% du patrimoine total dans les années 70-80.

 

Les années 80 et le début des années 90, c’est le statu quo, jusqu’en 1995. Là, à la fin des années 90, le patrimoine des plus riches augmente nettement, au dépend de la part du patrimoine détenue par la classe moyenne.

 

Enfin, à partir de l’an 2000, on entre dans une nouvelle phase, dans laquelle on est encore aujourd’hui : toutes les catégories voient leur part de richesse diminuer SAUF UNE : les 530 ultra riches, nos milliardaires qui représentent une part toujours plus importante du patrimoine total.

 

La fortune des nos 530 ultra riches a tellement explosé qu’en 2021, ils possèdent à eux seuls 4.5 % du patrimoine net total des Français.  4,5%, c’est quasiment autant que ce que possèdent les 50% de Français les moins riches, qui n’ont que 4,9% du patrimoine.

Pour bien comprendre l’ampleur de cette concentration de la richesse, on va faire une petite expérience de pensée.

Imaginons qu’on puisse récupérer la richesse de ces 530 ultra riches et la redistribuer, avec une baguette magique fiscale, aux plus 26  millions de Françaises et de Français les plus pauvres. Si on faisait ça, on pourrait doubler la richesse de ces + 26 millions de personnes !!

Cette expérience de pensée permet de comprendre l’ampleur de la concentration de la richesse au sommet de la pyramide. Et quand on isole cette catégorie, on mesure le caractère unique de la situation que nous vivons dans les années 2020’s.

C’est simple, en plus de 200 ans, les 0,001% les plus riches n’ont jamais possédé une part aussi grosse du patrimoine de la France qu’aujourd’hui. Ce qui se passe depuis 10 ans est historique.

 

Dans les années 1920-30, la gauche de l’époque s’indignait du pouvoir des “200 familles”, les plus riches de France qui étaient soupçonnées de contrôler l’économie, la politique, et jusqu’aux choix de la Banque de France. Même il y a un siècle, dans cette période très inégalitaire, les 0,001% les plus riches de l’époque possédaient une plus petite part du gâteau que nos milliardaires d’aujourd’hui.

 

Arrivés ici, on comprend que pointer du doigt l’explosion du patrimoine des ultra riches, c’est pas juste symbolique, démagogue, crypto communiste ou pire, un commentaire de jaloux.

Cette explosion de l’extrême richesse est un phénomène réel, indéniable, massif et unique dans l’histoire de France. Jamais dans l’histoire récente une poignée d’individus a concentré autant de richesse aussi rapidement. Les milliardaires des années 2020 sont le groupe social le plus opulent, le plus obscènement riche, au moins depuis Napoléon.

 

Ca, c’est en France. Mais ailleurs, ça se passe comment ?

 

La sécession des ultra riches, un phénomène mondial

 

Toujours grâce au même laboratoire de recherche, on peut avoir des données sur les l’évolution des inégalités de richesse au niveau mondial à partir de 1995.

[ SOURCE : Laboratoire sur les inégalités mondiales, Rapport sur les inégalités mondiales 2022 – Executive Summary Français, 2023, Graphique 9, p.9 ]

Quand on regarde comment a évolué le patrimoine de toute la population mondiale depuis 25 ans, on voit que le patrimoine des 70 % les moins riches de la planète (tous ceux compris entre le 0 et le 70 de l’axe des abscisses) a monté de 3.5-4% chaque année net d’inflation.

Les 70 % les moins riches de la planète désignent, grosso modo, les populations des pays les moins développés et émergents. Une croissance de 3 à 4.5% chaque année pendant 25 ans, ça a l’air pas mal, mais attention, c’est sur des tout petits patrimoines.

 

Prenons par exemple le terrien qui est tout pile au milieu : lui il est passé de 5295 € de patrimoine en 1995  à 14 270 € aujourd’hui. C’est pas rien de multiplier son patrimoine par presque 3 mais, c’est vrai, mais vues les sommes, il ne s’agit pas d’enrichissements fulgurants.

[ SOURCE : World Inequality Database 2023, “Net Personal Wealth – World 2021 – ahwealj992 – p50p51” ]

Ce terrien moyen qui possède 14 270 euros en 2021, en France il serait dans le P27-P28. Un Français entre les 27ème et 28ème pourcent les plus riches possède donc le patrimoine d’un terrien moyen.

 

Quand on regarde les terriens plus aisés – en gros les classes moyennes et aisées des pays riches – on remarque que leur patrimoine augmente de moins en moins vite, jusqu’au top 1%. Ceux qui sont tout pile aux top 1%, leur patrimoine n’a augmenté  (p99p99.1) “que” de 2,6%/an.

 

Mais attention, comme d’habitude, cette augmentation “moins rapide”, comme elle s’applique à des plus gros patrimoines, elle aboutit à un enrichissement important. Ceux qui sont tout pile au 1% mondial, ils sont passés de 483 000 € de patrimoine en 1995 à 959 000 € aujourd’hui. Même si ce n’est qu’une croissance de 2.3% par an, je pense que personne ne plaindra un enrichissement de 500 000 € nets d’inflation en 25 ans.

On comprend donc que, malgré leur croissance du patrimoine inférieure, les classes moyennes et aisées des pays riches ont, en valeur absolue, bien plus augmenté leur patrimoine que les populations des pays les moins développés ou émergents.

 

Maintenant, quand on regarde les très très riches, les ultra riches du monde, on retrouve le même phénomène qu’en France. Ils se sont enrichis beaucoup, beaucoup plus vite que le reste de la planète.

Nos fameux 0.001% – mais cette fois planétaires – ils ont vu leur patrimoine croître de 5% par an, pendant 25 ans ; le top 500 des plus riches du monde, c’est 7 % et pour le top 50, c’est du délire. Leur patrimoine a grandi de 9 % par an en moyenne depuis 25 ans.

Traduit en termes plus simples, depuis le milieu des années 90, la fortune du top 0,001% mondial a été multipliée par 4.4, celle du top 500 par 7.6, et celle des 50 humains les plus riches a fait fois 10.1

[ SOURCE : Calculs à partir de : Chancel et. al., “World Inequality Report 2022”, WID, Chapitre 4, Table 4.1 p.90 ]

Cette multiplication par 10 pour le top 50 des méga riches représente un passage de 7.6 milliards d’euros de patrimoine en 1995  à 77 milliards d’euros en 2021. + 70 milliards en 25 ans c’est + 2.6 milliards chaque année pendant 25 ans, le tout, net d’inflation.

 

Cette poignée d’ultra giga riches, vous connaissez certains d’entre eux. Prenons le dernier classement Forbes.

On retrouve  tous les géants du capitalisme mondial, avec pas mal d’entreprises du numérique. Elon Musk (Tesla) est repassé numéro 1 du classement, devant Bernard Arnault (LVMH). Viennent ensuite des gens comme Jeff Bezos (Amazon), Larry Page et Sergey Brin (Google), Warren Buffett, Bill Gates (Microsoft), Mark Zuckerberg (Facebook/Meta).

En descendant à la 15ème place, vous trouvez la première femme du classement, la Française Françoise Bettencourt, héritière de L’oréal. Vous trouvez aussi des mastodontes de secteurs plus anciens, comme le mexicain Carlos Slim Helu dans les télécom, ou la famille Walton qui possède les supermarchés Walmart.

Tous ces empires sont les grands gagnants des 10-20 dernières années de capitalisme mondialisé. Ce sont aussi les rois de l’optimisation fiscale agressive, qui a explosé en même temps que les bénéfices, comme on l’a montré dans cette vidéo sur l’évasion fiscale des multinationales.

 

Ces empires, ce n’est pas que de l’argent pour leurs fondateurs. C’est aussi du pouvoir. Du pouvoir sur les entreprises, bien sûr, et leur direction. Mais aussi un pouvoir sur l’information, sur les médias, sur la politique.

En France, on a exploré dans la vidéo “le prix de la démocratie” sur Osons Comprendre le poids des plus riches sur le financement de la vie politique. Sur Osons Causer, on a montré comment la candidature Zemmour n’était que le premier pas du projet de Bolloré pour construire un empire médiatique pour fusionner droite et extrême-droite.

 

Derrière l’explosion du patrimoine des ultra riches, on retrouve donc la question de la démocratie, du pouvoir disproportionné que peuvent obtenir quelques individus sur la destinée d’un pays.

 

Attention, que les plus fortunés aient du pouvoir, ce n’est pas nouveau. On ne dit pas non plus qu’ils contrôlent tout. Mais le fait que leur patrimoine explose à une échelle historique, ça donne envie de se demander : que faire ? Est-ce qu’il ne faudrait pas limiter cet enrichissement ?

 

Que faire face à la montée en puissance des ultra riches ?

 

Face à la montée en puissance des ultra riches, il y a plein de choses à faire, mais l’une des plus évidentes, c’est de limiter l’explosion de richesse en haut de la pyramide en la taxant un peu pour la redistribuer.

Cette idée de taxer les très gros patrimoines a été poussée par des candidats de gauche un peu partout dans le monde : on vous a parlé des candidats aux primaires démocrates Elisabeth Warren et Berny Sanders, on pense aussi en France aux propositions du candidat Mélenchon à la présidentielle ou encore,, tout récemment, à l’impôt temporaire sur les grandes fortunes que l’Espagne a voté pour mettre à contribution les méga riches durant cette période d’inflation élevée.

Cet impôt sur les hauts patrimoines, il faut faire très attention à bien le construire. On doit s’assurer qu’ils compte bien tout le patrimoine des giga riches, qu’il ne soit pas facilement contournable par l’évasion fiscale ou des astuces de fiscalistes.

 

Ça tombe bien, ça fait quelques années que des économistes spécialistes font des propositions pour définir les modalités d’une telle taxe sur les hauts patrimoines. Et cocorico ! Parmi les plus en pointe sur ce sujet, on retrouve Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, les économistes français en pointe sur les inégalités mondiales et l’enrichissement des méga riches.

En 2022, dans leur dernier papier scientifique consacré au sujet, Zucman et Saez insistent sur le fait qu’une taxe sur le patrimoine doit impérativement inclure les “bien professionnels” dans l’assiette fiscale, c’est-à-dire, inclure les actions de l’entreprise qu’on dirige. Ils le montrent avec l’exemple de l’ISF français.

[ SOURCE : Saez et Zucman, “Wealth Taxation: Lessons from History and Recent Developments”, AEA Papers and Proceedings, 2022 et Saez et Zucman, “Progressive Wealth Taxation”, Booking Papers on Economic Activity, 2019 ]

 

Comme les actions LVMH de Bernard Arnault ou les actions Bolloré de Bolloré n’étaient pas comptées dans le patrimoine taxable par l’ISF, ça fait que ces multi milliardaires ne payaient en moyenne que 0.15 % de leur patrimoine en ISF au lieu des 1.5% qu’ils étaient supposés payer.

[ SOURCE : Saez et Zucman, “Wealth Taxation: Lessons from History and Recent Developments”, AEA Papers and Proceedings, 2022 p.3 et Bach et. al., “Évaluer les effets de l’impôt sur la fortune et de sa suppression sur le tissu productif”, Rapport de l’IPP, 2021 Figure 3.7 p.62 ]

Les propositions récentes d’impôts sur le patrimoine des méga riches sont bien plus ambitieuses que l’ancien IS. Prenons le programme d’Elisabeth Warren, candidate à la primaire démocrate face à Biden en 2020.

Tous les contribuables qui ont plus de 50 millions de dollars de patrimoine doivent s’acquitter chaque année d’une taxe de 2% sur ce qui dépasse 50 millions. Au-delà d’un milliard de patrimoine, ça passe à 3%.

Si vous vous dites : c’est bien beau, mais ils se seraient barrés les milliardaires, avec une telle loi, sachez que le projet de Warren prévoyait que tous les contribuables renonçant à la citoyenneté américaine à la suite de ce nouvel impôt auraient à payer 40 % de taxes sur tout leur patrimoine.

 

En Europe, les Verts européens viennent de proposer leur version de cette taxe sur les très hauts patrimoines. Avec cette taxe sur les hauts patrimoines, la France pourrait récolter 46 milliards d’euros chaque année.

[ SOURCE : Groupe Vert au Parlement européen, “Tax the rich : from slogan to reality”, 15 septembre 2023, p.41 ]

46 milliards d’euros c’est loin d’être ridicule. On parle là de plus de la moitié de ce que rapporte l’impôt sur le revenu (89 milliards d’euros en 2022).
[ SOURCE : Cour des comptes, Analyse de l’exécution budgétaire 2022 – Recettes fiscales de l’Etat, 2023, Graphique 10 p.44 ]

 

Là, si vous vous inquiétez pour la richesse des plus riches, si vous vous dites qu’à les taxer, on risque de les décourager de poursuivre leurs entreprises, rappelez vous que ces super riches se sont enrichis de plusieurs dizaines de millions d’euros ces dernières années. Et pour les 530 milliardaires, c’est des centaines de millions d’euros qu’ils viennent de gagner.

Bernard Arnault avec 1 ou 2% de LVMH en moins chaque année, il serait toujours à la tête de sa boîte, et toujours infiniment riche.

 

Aussi, n’oubliez pas l’info essentielle qu’on donnait déjà dans notre vidéo “Les impôts sont-ils justes?” : les méga riches français paient moins d’impôts que le commun des mortels, proportionnellement à ce qu’ils gagnent. En plus de s’enrichir comme jamais, ils sont aujourd’hui moins taxés que le reste de la population

[ SOURCE : Bozio et. al., Inequality and Redistribution in France, 1990-2018:Evidence from Post-Tax Distributional National Accounts, WID 2018,  (pp 41 ) ]

C’est très important de bien comprendre ça, parce qu’aujourd’hui, une des raisons de l’explosion de la fortune des ultra riches, c’est précisément qu’ils se débrouillent pour être moins taxés que les autres.

 

Autrement dit, l’idée de mettre en place une taxe spéciale sur leur patrimoine, ce n’est pas de “s’acharner sur eux, punir le mérite et la réussite entrepreneuriale”, c’est juste de rétablir une justice fiscale, en les faisant contribuer à la hauteur de leur immense fortune.

Ce n’est même pas leur demander de contribuer plus que les autres. C’est simplement exiger qu’ils payent leur part comme les autres.

 

Bien sûr, là, on est dans un enjeu politique, on vous partage les conséquences qu’on tire de cette explosion des ultra riches. Avec d’autres idées politiques, vous pourrez tirer une autre conclusion des faits qu’on vient d’établir ensemble. Mais au moins, on peut débattre à partir de faits, de données solides, et pas juste sur nos préjugés idéologiques.