S’inscrire ou se réinscrire
Voilà le site internet du gouvernement pour s’inscrire, se réinscrire et vérifier son inscription sur les listes électorales.
L’abstention gagne-t-elle toutes les élections ?
Si on regarde l’abstention en France au premier tour des différentes élections depuis les années 1950, on vérifie ce que tout le monde sait : l’abstention a bien explosé.
Elle était autour de 20% dans les années 50-60, et on la retrouve autour de 50-60% pour les dernières élections. La montée de l’abstention est assez ancienne : elle a commencé dans les années 80, le premier moment où on voit des élections à 50% d’abstention.
Le grande exception à cette tendance :les présidentielles, l’élection phare de notre pays. Pour les présidentielles, la montée de l’abstention est beaucoup moins massive. Au premier tour de 2007 et 2012 par exemple, on avait pas plus d’abstention qu’en 1969 ou en 1981.
Remarquons que le niveau d’abstention aux élections européennes a baissé en 2014 puis à nouveau en 2019. D’ailleurs, cette tendance se confirme au niveau européen. En 2019, l’abstention a baissé dans 20 des 28 pays votants.
Maintenant qu’on a vu qu’une abstention dans les 50% n’est pas une fatalité, on a envie de se demander : qui sont les abstentionnistes ?
Qui s’abstient ?
Qui s’abstient ? On va répondre à cette question en nous concentrant sur l’élection où l’abstention est la plus faible, l’élection reine, la présidentielle.
La réponse à cette question, nous est donnée par l’INSEE, notre institut national de la statistique, qui, dans son Enquête sur la participation électorale, a mesuré en détail qui a voté et qui s’est abstenu aux présidentielles et aux législatives de 2002, 2007, 2012 et 2017.L’INSEE construit son enquête en regardant directement les listes d’émargement dans les bureaux de vote. Contrairement aux sondages qui se basent sur les “déclarations” de personnes sélectionnés en ligne, les enquêtes de l’INSEE, c’est du solide, c’est un regard fiable sur qui sont les vrais abstentionnistes.
Et les résultats de ces enquêtes sont hyper intéressants. Pourquoi ? Parce qu’on y vérifie un des grands résultats de la sociologie électorale. Toutes les catégories de la population ne s’abstiennent pas de la même façon. Y’a pas de différence homme femme mais Moins tu es inséré dans la société, moins tu as une position centrale, plus tu t’abstiens.
[ SOURCE : INSEE, En quinze ans, baisse de la participation systématique aux élections présidentielles et législatives, 2017 ]
Celles et ceux qui s’abstiennent le plus souvent, c’est d’abord les jeunes. Si on regarde le premier tour de la présidentielle de 2017, on voit qu’environ 30% des jeunes se sont abstenus, alors que les 50-60 ans étaient à peine plus de 10% à le faire. Un sacré écart.
Au passage, même si les baby boomers votent beaucoup, l’abstention remonte très fort chez les personnes très âgées. Les plus de 85 ans votent encore moins que les jeunes.
Cela dit, ces derniers ne sont pas très nombreux.
Deuxième gros facteur d’abstention après l’âge : le diplôme. Un français sans diplôme a 30 à 40% de chances de s’être abstenu au premier tour de la présidentielle de 2017. A l’autre extrême, les bac+5 sont autour de 10% à s’être abstenus.
De manière générale, moins on est diplômé, moins on vote.
Seule exception, le doctorat : l’abstention remonte d’un coup à 20%, au niveau de celle des brevet des collèges ou des bac pro.
Si on regarde du côté de la profession, on voit que presque la moitié des inactifs (hors retraité) et un quart des ouvriers se sont abstenus en 2017, alors que les cadres ou les agriculteurs étaient seulement 1 sur 10 à le faire.
Si, contrairement à ce qu’on entend toujours dans les médias, les retraités ont une abstention plutôt élevée, vous savez maintenant pourquoi. L’abstention des retraités “en général” est tirée vers le haut par les plus 85 ans qui, eux, enfin surtout elles, votent très peu.
Au passage, si là on vous montre des “grandes” catégories professionnelles, la socio montre qu’à l’intérieur de chacune d’elle, vous retrouvez des différences.
Par exemple, le sociologue Camille Peugny a montré que les ouvriers non qualifiés s’abstiennent plus que les ouvriers qualifiés. Un autre sociologue, Tristan Haute, trouve que les cadres de la fonction publique votent encore plus que les cadres du privé.
[ SOURCES : Camille Peugny, “Pour une prise en compte des clivages au sein des classes populaires », RFSP, 2015 ; Tristan Haute, « Le travail et l’emploi, déterminants négligés de l’abstention », in Haute et Tiberj « Extinction de vote », 2022, p.73 ]
Tristan Haute a trouvé la même logique avec la précarité de l’emploi.
Les gens qui ont un contrat stable, en CDI, s’abstiennent beaucoup moins que les gens en contrats précaires – CDD, intérim.
Abordons maintenant la question du revenu. Est-ce que les pauvres votent moins ? La réponse est oui, massivement.
Le quart des Français qui gagne le moins s’abstient à 38% alors que le quart des Français qui gagne le plus s’abstient seulement à 12%.
Autrement dit, les Français classes moyennes et riches votent massivement, et les Français pauvres et modestes s’abstiennent massivement.
On a une exception à tout ce qu’on vient de voir : les étrangers naturalisés, qui ont acquis le droit de voter, ne s’abstiennent pas davantage que les Français “natifs”.
Voici les stats pour le premier tour de la présidentielle de 2012 parce qu’on a pas les stats précises pour ce tour là en 2017 mais ça se vérifie aussi : les étrangers naturalisés participent tout autant à l’élection reine de notre vie politique que les Français nés en France.
[ SOURCE 2017 : INSEE, “Élections présidentielle et législatives de 2017 : neuf inscrits sur dix ont voté à au moins un tour de scrutin” ]
Malgré cette note positive, les Français les plus insérés – les riches, les gens un peu plus âgés, les diplômés etc. – votent massivement, et les français jeunes, pauvres ou moins diplômés, les classes populaires en général s’abstiennent massivement.
Le problème c’est qu’aux élections où on vote moins, tous ces écarts de participation entre bien et moins bien insérés augmentent.
Pour constater ce phénomène, comparons les écarts d’abstention entre les premiers tours de la présidentielle et celui des législatives de 2017.
L’écart jeune versus 50-60 ans prend 17 points, l’écart entre ouvrier et cadre prend 13 points etc etc. Plus l’abstention à une élection est forte, plus l’écart entre les catégories les plus abstentionnistes et celles qui votent le plus s’accroît.
Le pire c’est que nos écarts entre “plus participants et moins participants” s’accroissent AUSSI avec le temps.
La chercheuse en sciences politiques Céline Braconnier, qui produit un super travail sur l’abstention qu’on a découvert en préparant cette vidéo, explique très bien dans cette conférence récente qu’entre la présidentielle de 2007 et celle de 2017, la situation s’est empirée.
[ SOURCE : Céline Braconnier, “Présidentielle 2022 : l’abstention, vraie gagnante de l’élection ?”, 14 mai 2022 ]
Enfin dernier point, quand on analyse les catégories qui se mettent à l’écart du jeu politique par l’abstention, il ne faut pas oublier une dernière dimension “bonus” : la non inscription.
Parce que oui, pour s’abstenir de voter, il faut déjà être inscrit sur les listes électorales et ça, ce n’est pas le cas de tout le monde.
Parmi les non inscrits, on retrouve nos catégories habituelles : il y a quelques années, les 18-34 ans étaient entre 14 et 18% à ne pas être inscrits sur les listes électorales, contre moins de 8% chez les plus de 60 ans.
Les ouvriers étaient 15% à ne pas être sur les listes, les cadres seulement 6.5% et vous avez la même chose pour le diplôme.
SOURCE : INSEE, “Inscriptions électorales de 2018 : les trentenaires moins inscrits que les autres”, 2018, Données
Heureusement, ces chiffres datent de 2012-2016 et, depuis, la part des non inscrits a été divisée par deux. En 2022, seule 5% de la population en âge de voter n’était pas inscrite sur les listes électorales. Il est donc probable que la part des jeunes, des ouvriers etc non inscrits sur les listes ait pas mal chuté.
Le cens caché
Le fait que les jeunes, les pauvres, les ouvriers, les peu diplômés votent beaucoup moins, ça fait que l’abstention n’est pas neutre politiquement.Elle réduit le poids politique des catégories qui s’abstiennent le plus.
Dans les années 70, le politologue Daniel Gaxie a trouvé une formule choc pour résumer les inégalités face à l’abstention : le cens caché.
Le cens, historiquement, c’était l’obligation d’avoir un certain niveau de revenu pour pouvoir voter. Avec le suffrage censitaire, pauvres étaient privés du droit de vote.
Le suffrage “universel masculin” leur a permis de voter avant l’arrivée, à la libération avec le droit de vote des femmes, du suffrage réellement universel.
Aujourd’hui, dans nos démocraties modernes, il n’y a plus de suffrage censitaire mais un cens caché, les pauvres et, en général, les gens les moins insérés socialement, s’auto excluent du vote par l’abstention.
Au premier tour des législatives de 2017, les 60-69 ans représentaient 25% d’électeurs en + que leur poids réel sur les listes électorales et les jeunes de 18-29 ans, tenez vous bien, du fait de leur abstention, leur poids parmi les électeurs était 40 % en dessous de leur poids sur les listes électorales.
On retrouve la même logique pour les ouvriers VS les cadres, les moins diplômés vs les plus diplômés, les pauvres vs les riches etc etc .
[ SOURCE : INSEE, Enquête sur la participation électorale 2017, via CAE, “Les absents ont toujours tort Une analyse économique de l’abstention et de ses remèdes”, 2022, pp 6-7 ]
Notre démocratie actuelle ne fonctionne pas avec un citoyen une voix, des citoyens sont absents de notre vie démocratique : le suffrage est universel mais de facto en partie censitaire : les plus exclus socialement s’auto excluent politiquement par l’abstention .
Cette auto exclusion d’une partie importante de l’électorat a des conséquences politiques. Les politiciens peuvent être moins enclins à s’adresser aux plus jeunes ou aux plus dominés puisqu’ils votent moins. Et cela finit par se voir dans les lois votées.
En Australie, le vote a été rendu obligatoire, progressivement, région par région, durant toute la première moitié du XXème siècle. Les chercheurs se sont rendu compte qu’à chaque élection, les régions qui venaient de passer au vote obligatoire avaient – bien sûr + de participation – mais surtout – en faisant voter des populations qui, jusqu’à présent, ne votaient pas – il y a eu + de votes pour le Labour, le parti de gauche et, au total, de meilleures politiques sociales – notamment de retraites.
[ SOURCE : Fowler 2013 Electoral and Policy Consequences of Voter Turnout: Evidence from Compulsory Voting in Australia ]
Maintenant qu’on comprend le vrai danger de l’abstention, celui du cens caché qui marginalise les préférences politiques de toute une partie de la population, on peut mieux comprendre pourquoi les gens qui s‘abstiennent le font.
Pourquoi les gens s’abstiennent ?
Comment expliquer que l’abstention augmente ?
La théorie la plus à la mode – théorie assez convaincante selon nous – c’est une individualisation croissante du rapport au vote.
On parle là d’un mouvement général, mais qui touche particulièrement les jeunes générations : on vote moins “par devoir”, parce qu’il faut aller voter, mais on ne vote que lorsque l’élection paraît suffisamment importante, qu’il y a suffisamment d’enjeu pour que ça “vaille le coup” de se déplacer.
[ SOURCE : Vincent Tiberj, “Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France”, PUF, 2017 ]
Cette théorie se vérifie d’ailleurs déjà : l’élection reine, la présidentielle, génère beaucoup moins d’abstention que les autres élections perçues comme “mineures”. On ne peut pas dire que les Français “ne vont plus voter” ou “sont totalement détachés de la politique”, ils s’y intéressent et se bougent, quand ça leur paraît important et que ça les intéresse.
Autre élément qui illustre la montée de ce rapport plus “individuel” au vote, mais cette fois plus particulièrement chez les milieux populaires, c’est l’affaiblissement des institutions de politisations “ouvrières” j’ai nommé le parti communiste et les syndicats.
La grande abstention des ouvriers et des pauvres s’expliquent aussi par le fort recul des partis et syndicats de masse qui jouaient le rôle d’institutions collectives de politisation et, donc, de participation aux élections.
Enfin, autre grand facteur que les sociologues mettent en avant pour expliquer une partie de l’abstention : la MAL INSCRIPTION.
Être mal inscrit, c’est être inscrit dans un autre bureau de vote que là où on habite. Quand quelqu’un est mal-inscrit, il a entre 3.7 et 5.6 fois + de risques de s’abstenir que quelqu’un qui a son bureau de vote à côté de chez lui.
Autrement dit, la mal-inscription est une machine à abstention.
Evidemment, + le bureau de vote est loin, + les risques d’abstention sont forts. Si on est inscrit dans une autre commune, un autre département ou, pire, une autre région, le risque d’abstention monte en flèche.
[ SOURCE : Braconnier et. al., “Sociologie de la mal-inscription et de ses conséquences sur la participation électorale”, Revue française de sociologie, 2016, Tableau 10]
Les procurations qui permettent de confier son vote à quelqu’un d’autre atténuent bien sûr l’impact de la mal inscription, mais, vous vous en doutez, la procuration n’est pas une pratique également répartie dans la société : c’est ce que nous apprend le sociologue Baptiste Coulmont
[ SOURCE : Baptiste Coulmont, ““In absentia” Le vote par procuration, une participation électorale à distance”, Revue française de science politique, 2020 ]
Maintenant, il nous reste à étudier les solutions pour “diminuer l’abstention” et par conséquent diminuer les inégalités de poids politiques entre riches et pauvres, jeunes et vieux etc etc.
Les solutions pour diminuer l’abstention ?
Des études et des rapports ont montré des pistes qui semblent diminuer abstention : faciliter les procurations, grouper les scrutins pour ne pas saouler les électeurs – c’est vrai que bloquer son dimanche juste pour voter aux départementales, bon… – mettre de la proportionnelle pour que les partis minoritaires soient mieux représentés et que leurs partisans trouvent un intérêt à voter, former les ado à la politique à l’école.
Plusieurs pistes existent, ça part un peu dans tous les sens. Mais il y a bien 2 mesures qui, dans les études scientifiques, font consensus : lorsqu’on les applique, l’abstention diminue.
[ SOURCE : Daniel Stockermer, “What Affects Voter Turnout? A Review Article/Meta-Analysis of Aggregate Research”, 2016 ]
La première : s’attaquer à la mal inscription, les gens dont le bureau de vote est loin de leur domicile.
En complément du fichier numérique unique que met en place la France, la manière “radicale” de régler le problème de la distance au bureau de vote, c’est le vote électronique. En votant en ligne, on peut voter “depuis n’importe où”.
Si le vote en ligne règle le problème de la mal-inscription, est-ce qu’il permet de diminuer l’abstention ?
La réponse n’est pas claire du tout, sur certaines élections oui, sur d’autres non, bref, l’effet n’a pas l’air massif et évident.
Voter par internet de n’importe où en 2-3 minutes, ça peut être cool, mais c’est pas la solution magique pour faire reculer l’abstention.
[ SOURCE : Marie Neihouser, “Le vote électronique, une réponse à l’abstention?” in Haute et Tiberj, “Extinction de vote”, PUF, 2022 ]
Deuxième solution qui, elle, semble de manière claire et évidente réduire l’abstention : rendre le vote obligatoire.
Le vote est obligatoire dans plusieurs pays comme l’Australie, dont on vous a déjà parlé, ou encore la Belgique, le Brésil ou l’Autriche. D’après une méta analyse de 2016, le vote obligatoire fonctionne, l’abstention a bien diminué d’environ 10 points de pourcentage à chaque fois que ça a été mis en place.
[ SOURCE : Daniel Stockermer, “What Affects Voter Turnout? A Review Article/Meta-Analysis of Aggregate Research”, 2016 ]