S’attaquer aux traînées de condensations
Les traînées de condensation représentent un tiers du réchauffement climatique causé par l’aviation. Comment faire pour les éliminer ?
Une équipe de chercheurs s’est posée la question et a analysé les traînées de condensation du trafic aérien au-dessus du Japon. Ces chercheurs ont fait une découverte cruciale, publiée tout récemment, en 2020.
Ce qu’ils ont trouvé, c’est que 80% de l’impact climat des traînées de condensation vient de seulement 2% des vols. Le gros du problème vient d’une toute petite minorité des trajets, les trajets qui ont lieu dans les “mauvaises” conditions météo. Et ceci est une excellente nouvelle. Pourquoi ?
Parce que faire voler ces avions 600 mètres plus haut ou plus bas permet d’éviter ces conditions météorologiques défavorables et ainsi de diminuer l’impact réchauffant des traînées.
Dévier de 600 m l’altitude de vol de seulement 1.7 % des vols japonais permet de réduire de 59.3 % l’impact climat des traînées de condensation des avions.
SOURCE : Teoh et. al. 2020, “Mitigating the Climate Forcing of Aircraft Contrails by Small-Scale Diversions and Technology Adoption”, p.63
Si on combine ces micro ajustements de l’altitude de vol à des nouvelles technologies de réacteurs qui diminuent l’émission des particules autour desquelles se cristallisent les traînées de condensation, on pourrait même en éliminer plus de 90%.
La principale difficulté avec cette approche : être en mesure d’identifier, à l’avance ou en temps réel, quels sont les 1.7 % des vols à dévier et quand le faire.
Les biocarburants
L’idée ici est de substituer au kérosène des avions des biocarburants produits à partir d’huiles végétales et animales.
Cette pratique est aujourd’hui très marginale.
“ En 2019, moins de 200 000 tonnes de biocarburants ont été produites dans le monde ce qui représentent moins de 0.1 % des 300 millions de tonnes de kérosènes utilisées chaque année par l’aviation commerciale. “
SOURCE : Mc Kinsey, “Clean Skies for Tomorrow Sustainable Aviation Fuels as a Pathway to Net-Zero Aviation”, novembre 2020, p.6
Le plan, de la France et de l’Union Européenne notamment, c’est d’augmenter progressivement la proportion de biocarburants dans les avions afin de diminuer l’impact climatique de 73 à 94 % par rapport à du kérosène classique.
SOURCE : Mc Kinsey, “Clean Skies for Tomorrow Sustainable Aviation Fuels as a Pathway to Net-Zero Aviation”, novembre 2020, p.18
Attention quand même, ces chiffres ne concernent que des biocarburants de “deuxième génération”. Les biocarburants de “première génération” sont produits à partir de plantes destinées à l’alimentation humaine – on pense là à l’éthanol de canne à sucre – spécialité brésilienne – ou au diesel à l’huile de palme – spécialité de Malaisie. Les biocarburants de “deuxième génération”, eux, sont élaborés à partir de déchets : des résidus agricoles ou forestiers, des déchets ménagers ou encore des huiles de cuisson usagées.
Contrairement aux biocarburants de 1ere génération, les 2ème génération ne font pas “concurrence” à l’alimentation humaine et exercent beaucoup moins de pressions à la déforestation. Si jamais le biocarburant est de 1ère génération, alors le bilan carbone est bien moins bon, et même parfois pire que le kérosène. Le “biodiesel” à l’huile de palme par exemple – le même qui sort de la raffinerie Total à La Mède dans les Bouches du Rhône – est un “biocarburant” de première génération qui pourrait émettre 3 fois plus de GES que le diesel classique, quand on compte la déforestation que l’huile de palme génère.
Le deuxième enjeu, c’est que ces biocarburants de 2ème génération sont chers entre 2 et 6 fois plus chers que le kérosène.
Cet écart de prix est amené à se réduire dans le futur, à mesure que la production de biocarburants s’industrialise, mais malgré tout : les biocarburants ne sont pas compétitifs face au kérosène, et ne le seront probablement jamais.
Dernier gros enjeu avec les biocarburants, la quantité disponible, le gisement. Aura-t-on assez des résidus agricoles et forestiers, d’huiles usagées et de déchets en tout genre pour produire les biocarburants de l’aviation ?
L’étude de référence sur le sujet a été menée par Mc Kinsey. Leur méthode est assez précise : ils excluent tous les résidus agricoles ou forestiers utilisés pour la nourriture animale ou par l’industrie – notamment pour la production de papier. Ils ne considèrent que le gisement de résidus qui n’est pas déjà utilisé.
Ce rapport affirme qu’en 2030, l’industrie pourrait produire jusqu’à 490 Mt de biocarburants – 20% de plus que la demande de kérosène anticipée à ce moment là.
Du coup, c’est bon ? On est large. Pas vraiment. Ces chiffres sont à prendre comme un maximum très théorique, et ça ne va pas être évident du tout de les atteindre. Pourquoi ?
D’abord, il faudra aller chercher, collecter et valoriser des résidus agricoles et forestiers partout dans le monde – en Asie surtout mais aussi en Afrique et en Océanie. Autre difficulté, l’évaluation de McKinsey ne parvient à ces 490 Mt qu’en incluant des méthodes de production de biocarburant – Alcool-to-jet + Gaseificaiton-FT – qui, aujourd’hui, n’en sont qu’aux stade de prototypes, de démonstrateurs industriels.
La seule technologie de biocarburant mature qui convient aux moteurs des avions aujourd’hui [ HEFA ] ne peut fournir qu’à peine 20 % de la demande anticipée pour 2030.
Consciente de ces limites et difficultés, l’AIE, l’Agence internationale de l’Energie, est plus prudente sur l’utilisation des biocarburants pour l’aviation.
Selon l’AIE, en 2040, les SAF – les carburants durables alternatifs au kérosène – ne satisferont que 19 % de la demande de l’aviation. Et attention, ce chiffre ne compte pas seulement les biocarburants, il inclue également l’autre “carburant bas carbone du futur” : le kérosène de synthèse.
Le kérosène de synthèse
Le “kérosène de synthèse”, ou le “Power to liquid” dans la langue de Shakespeare,’est un carburant qui n’existe pas aujourd’hui.
Son principe est le même que le “Power to gas”. L’ingrédient de base de ce carburant synthétique, c’est de l’hydrogène “vert”, produit à partir d’électricité bas carbone. Cet hydrogène “vert” est ensuite mélangé avec du carbone, capté au bout des cheminées des industries polluantes. Ce mélange d’hydrogène et de carbone donne un “hydro-carbure” qui ressemble au kérosène utilisé aujourd’hui.
Ce kérosène de synthèse – s’il est produit avec de l’hydrogène bas carbone – permet, théoriquement, d’éliminer 99 % des émissions de GES. Théoriquement donc, notre kérosène de synthèse semble parfait.
Le premier et pas des moindre, c’est le prix. En 2030, les experts estiment qu’il sera encore 3 fois plus cher que le kérosène ordinaire et 20-25% plus cher que les biocarburants. En revanche, d’ici 2050, les experts imaginent possible que les prix s’effondrent – notamment si la production d’hydrogène vert devient très peu coûteuse et massive. Le kérosène de synthèse pourrait alors devenir moins cher que la plupart des biocarburants.
Le deuxième obstacle du kérosène de synthèse est aussi très sérieux : il s’agit de la quantité d’électricité bas carbone disponible pour produire l’hydrogène “vert” et, donc, le kérosène de synthèse.
Si l’aviation veut avoir une chance de se décarboner grâce à ce carburant de synthèse, il va falloir que le monde entier produise assez d’électricité bas carbone pour satisfaire la demande actuelle d’électricité, mais aussi pour générer les centaines de millions de tonnes de carburant nécessaires à l’aviation.
On va voir un peu plus tard que c’est loin d’être une promenade de santé !
Avions à hydrogène
Le premier projet, le plus sexy, c’est l’avion à hydrogène, qu’Airbus a annoncé pour 2035. Brûler de l’hydrogène n’émet que de l’eau, un avion à hydrogène pourrait donc être une solution “miracle” pour voler sans nuire au climat.
Quelques limites toutefois.
D’abord, il ne suffit pas de construire l’avion. Pour que l’avion à hydrogène se diffuse il faudra aussi modifier les aéroports, repenser les terminaux, les réservoirs, les machines pour faire le plein. Peut-être construire des hydrogéno-ducs pour acheminer l’hydrogène jusqu’aux aéroports.
Ensuite, l’hydrogène est un gaz très léger et peu dense, il est donc difficile à transporter. Conséquence, les avions à hydrogène qu’on imagine aujourd’hui sont des moyen-courriers avec des rayons d’action compris entre 2000 et 5000 km maximum.
Pour le moment, personne n’imagine un design d’avion capable d’avoir des réservoirs assez gros pour embarquer assez d’hydrogène pour faire un Paris – New-York ou un Londres – Tokyo.
Et c’est un problème important. Aujourd’hui, les vols de plus de 5000 km sont responsables d’un tiers des émissions directes de combustion de CO2.
Et là on a un souci, les vols de + 5000 km , c’est aujourd’hui un tiers des émissions de l’aviation.
Ce qu’on comprend, c’est que même si tout se passe bien, l’avion à hydrogène ne pourra donc rien faire pour éliminer un tiers des émissions de l’aérien.
Autre difficulté, l’avion à hydrogène arrivera peut-être “trop tard” pour décarboner l’avion.
Imaginons que tout se passe bien et que le premier Airbus à hydrogène se vende dès 2035 ce qui est plutôt optimiste. Avec de tels projets industriels, la norme est plutôt d’avoir quelques années de retard sur les calendriers mis en avant lors des annonces. Entre le moment où arrivent les premiers avions à hydrogène et le moment où les aéroports sont équipés pour les accueillir, et où les compagnies changent leurs avions “classiques” pour des avions à hydrogène, il va se passer un paquet d’années. La flotte mondiale ne se renouvelle en moyenne que tous les 20 à 25 ans selon l’Association du transport aérien international (p.16) et le Shift Project (qui cite l’Organisation de l’aviation civile internationale, p.81) respectivement.
Ça veut dire que même si tout se passe magnifiquement bien, on aura pas beaucoup d’avions à hydrogène au-dessus de nos têtes avant les années 2040 ! Quand on connaît l’urgence de la décarbonation, pas sûr qu’on ait ce luxe.
La compensation des émissions de CO2
Si l’on est pas en mesure de stopper les émissions de gaz à effet de serre, une autre piste est de les “compenser”. Un projet de reforestation, de transition énergétique résultant en économie de gaz à effet de serre pourrait compenser les émissions de l’aviation.
Faire payer aux entreprises émettrices des projets vertueux afin de compenser leur impact climat n’est pas une mauvaise idée. Le problème, c’est qu’il faut s’assurer que les projets financés aient réellement retiré des émissions de CO2, qu’ils fassent réellement une différence.
La Commission européenne a commandé une étude en 2016 (p.11) qui, malheureusement, découvre que 85 % des projets avaient une grande probabilité de surestimer les émissions évitées et de cibler des émissions qui auraient été évitées de toute façon, avec ou sans leur financement. Il faudra donc faire mieux pour éviter le greenwashing.
Croissance verte de l’aviation : réaliste ou greenwashing ? Le verdict
Une fois étudiées les principales recettes sur la table pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre du kérosène des avions, c’est le moment de vérité. On va répondre à LA QUESTION :
Pouvons-nous, en combinant toutes ces recettes, décarboner l’aviation assez profondément pour que le trafic aérien puisse poursuivre sa croissance de 4 % par an sans détruire le climat ?
Ça tombe bien, l’excellent rapport du Shift project, publié en 2021, “Pouvoir voler en 2050”, répond pile à notre question. Pour ce rapport, ils ont travaillé main dans la main avec des gens de l’industrie aéronautique, notamment les ingénieurs du collectif Supaéro décarbo.
Nous allons étudier le scénario de décarbonation nommé “Iceman” dans le cadre d’un trafic aérien qui, à partir de 2025 croit à un rythme de 4 % par an.
Iceman est un scénario de décarbonation qualifié d’“Optimiste” par les auteurs du rapport eux-mêmes (p.116).
Ce scénario Iceman utilise donc beaucoup de biocarburants – la moitié du gisement total de biocarburant identifié par McKinsey – beaucoup de kérosène de synthèse et un peu d’hydrogène pur (H2) parce que l’avion d’Airbus ne se déploie qu’à partir de 2040. Enfin, la compensation carbone tourne à plein.
Il s’agit donc d’un scénario très ambitieux, où la décarbonation du secteur aérien avance très vite, beaucoup plus vite que le rythme actuel ou que celui envisagé par l’AIE par exemple.
Pour vous faire comprendre à quel point c’est un scénario ambitieux, il faut regarder quelle production électrique est nécessaire pour produire tout le carburant de synthèse et tout l’hydrogène qu’ils imaginent avoir en 2050.
Il faudrait d’ici 30 ans un bon 6389 TwH de plus chaque année d’électricité bas carbone pour l’aviation (p.12).
SOURCES : BP, Statistical Review of World Energy 2020, p.59 /// Production nucléaire centrale Blayais /// Production éolienne GE “Haliade X” /// Production éolienne ordinaire France
On voit que, concrètement, 6389 TWh équivalent la production électrique de deux Unions européennes, de 250 centrales ou 1010 centrales nucléaires du Blayais, 94 500 éoliennes géantes General Electric ou d’1.5 millions d’éoliennes ordinaire françaises, le tout, dédié uniquement à l’aviation.
Le scénario Iceman prévoit donc des quantités d’électricité et d’investissements absolument astronomiques !
Sachant tout cela, est-ce que, dans le scénario Iceman, le trafic aérien peut continuer de croître de 4% chaque année tout en respectant ses budgets carbone compatible avec une réchauffement climatique de 2° ?
Et bien la réponse va peut-être vous surprendre, ou pas je sais pas 🙂 c’est non !
Même avec une décarbonation aussi rapide et ambitieuse, le Shift calcule que les émissions du secteur aérien en 2050 seraient encore de 11.2 Gt CO2 au-dessus de son budget carbone compatible avec 2°.
C’est beaucoup mieux que “si on ne fait rien” OK mais il n’en reste pas moins que même les mesures optimistes du scénario Iceman ne suffisent pas à rendre l’aviation décarbonée si le trafic continue de croître de 4% chaque année.
Si on veut respecter nos engagements climatiques. Il faut diminuer la croissance du secteur aérien. Il faut même faire plus que ça. D’après le Shift, la seule chance de rendre ce scénario Iceman compatible avec un budget carbone 2°, c’est de faire décroître le trafic aérien mondial de 0.6 % / an à partir de 2025, année où le trafic retrouve son niveau pré-Covid. Il s’agit d’une rupture de croissance très importante par rapport au scénario tendanciel.
Malheureusement, ce besoin de décroissance de 0,6%/an est sûrement trop optimiste. Si jamais les hypothèses on fait moins bien que le scénario Iceman, alors, une aviation “compatible 2°” demandera une décroissance du trafic aérien encore plus rapide.