Maladies infectieuses et espérance de vie
C’est un secret pour personne, l’espérance de vie a beaucoup augmenté ces deux derniers siècles. Voici un graphique qui vous montre l’évolution de l’espérance de vie en Angleterre et au Pays de Galles du 16ème siècle à nos jours.
On voit très bien que jusqu’au milieu du 19e siècle, l’espérance de vie variait au gré des épidémies entre 35 et 40 ans. Aujourd’hui, ces pays ont une espérance de vie supérieure à 80 ans.
Evidemment, la mortalité infantile explique une partie de cette faible espérance de vie. Vers 1800, 1 enfant sur 3 mourrait avant 5 ans. Mais cette mortalité infantile massive n’explique pas tout. Vous voyez sur ce graphique que, dans l’Angleterre du 17ème siècle, les adultes ne vivaient pas vieux.
Une personne qui a avait atteint 5 ans n’avait qu’une chance sur 2 seulement de dépasser 50 ans. C’est donc que les gens mourraient en masse, même à l’âge adulte.
De quoi les gens mourraient à cette époque ? Massivement de maladies infectieuses.
En 1850, en Angleterre et au Pays de Galles, les maladies infectieuses étaient la cause de près de la moitié des morts. La tuberculose seule emportait + d’un Anglais sur 7 ! Les maladies intestinales tuaient une personne sur 20. Les infections étaient un fléau, particulièrement en ville.
De nos jours, les maladies infectieuses c’est 6% des décès. La principale cause de mort, et de très très très loin, c’est les maladies dites “non transmissibles”, les problèmes cardiaques, les cancers, le diabète etc.
Ces progrès incroyables ont commencé dans des pays qui se sont industrialisés tôt, comme l’Angleterre ou la France, et concernent aujourd’hui le monde entier. L’espérance de vie à la naissance moyenne mondiale est de plus 73 ans en 2018. Et même les pays les plus durs de la planète, comme au Sud Soudan en République de Centrafrique, l’espérance de vie dépasse celle de l’Angleterre et du Pays de Galles en 1900.
Passer de 35 à 80 ans d’espérance de vie dans les pays riches, et à plus de 73 ans dans le monde entier, réduire à portion congrue les morts de maladies infectieuses, c’est une incroyable transition sanitaire qu’a opéré l’humanité au cours du dernier siècle.
Avant la médecine moderne, moins de morts de maladies infectieuses
La tuberculose c’est une très très sale maladie infectieuse, très contagieuse et qui attaque le plus souvent les poumons. Elle était si mortelle – particulièrement chez les enfants, les personnes âgées et les populations pauvres – qu’on l’a surnommée la “peste blanche”. Aujourd’hui, on est protégé de la tuberculose par le vaccin du BCG et on soigne assez facilement la maladie par un traitement antibiotique long.
Pourtant, avant l’introduction des antibiotiques, on observe la mortalité par tuberculose chuter aux Etats-Unis.
Le même phénomène se produit en Angleterre et au Pays de Galles.
Vous voyez donc qu’on a réussi à combattre la tuberculose, à en diviser la mortalité en gros par 3-4, avant même d’avoir recours à la médecine moderne, aux médicaments de pointe ou aux vaccins.
Vous retrouvez la même évolution pour plusieurs autres maladies infectieuses. Là on est de retour aux USA et vous voyez les mêmes évolutions pour plusieurs maladies infectieuses.
Pour la rougeole (measles en anglais) la mortalité a plus que chuté avant la généralisation du vaccin, pour la scarlatine (une maladie de peau et des bronches) pareil, la mortalité avait commencé à chuter avant les antibio. La diphtérie – sale maladie respiratoire – a aussi vu la mortalité chuter avant le vaccin (oui “toxoid” c’est un vaccin. Le DTpolio, c’est un vaccin qui nous transmet les “toxoids” qui tuent les toxines bactériennes qui nous donnent la diphtérie et le tétanos) . Enfin la fièvre typhoïde, une fièvre bactérienne qui se transmet par l’alimentationet l’eau – à pas confondre avec une autre fièvre presque homonyme, le typhus qui, lui, est transmis par des poux des puces ou des tiques – cette fièvre typhoïde a aussi été de moins en moins mortelle avant qu’on ne trouve l’antibiotique efficace.
Evidemment, avec de telles chutes de mortalité, la part des maladies infectieuses “en général” dans la mortalité a chuté elle aussi.
Pour l’Angleterre et le Pays de Galles, près de la moitié des morts était due aux maladies infectieuses en 1850, en 1939, c’est-à-dire avant la massification des antibiotiques etc, ces maladies ne causaient plus que 14.5 % des morts. Boum, division par 3 de la part des décès, causés par maladies infectieuses.
Comment tout cela a-t-il été possible ? Grâce à la mise en place de mesures pour modifier notre environnement afin de limiter la prolifération des maladies et nous empêcher de tomber malades.
Assécher les marais
Première mesure d’environnement qui a considérablement lutté contre les infections : assécher les marais, canaliser les rivières, soigner les étangs pour empêcher l’eau de croupir. Le but de tout ça : éliminer les réservoirs à insectes, notamment les moustiques, qui transmettent des fièvres comme le paludisme, autrement appelé malaria.
Le paludisme, en 1900, on le trouvait presque partout en Europe et dans le monde.
Les fièvres du palu étaient un pb énorme pour les pays européens. Pour endiguer le palu sans bénéficier des insecticides puissants d’aujourd’hui, la méthode appliquée dans les pays européens c’était d’empêcher le moustique de se reproduire en lui détruisant son habitat.
En France, l’exemple parfait de cette stratégie, c’est les Landes. Ce qu’on appelait à l’époque les “fièvres du Médoc” sévissaient dans toute la région. Elles emportaient paysans, bergers et terrassiers. Les marais autour de Lacanau et de Hourtin étaient particulièrement redoutés.
Au milieu du 19e siècle, sous Napoléon III : on a drainé les marais grâce à des canaux et on y a planté massivement et de manière organisée des arbres, des chênes un peu et surtout les fameux pins des landes, tout ça dans le but de pomper toute cette humidité et de priver le moustique d’habitat. En prime, ces arbres ont fait prospérer les paysans de la région qui se sont convertis en exploitants forestiers. Résultats : le palu a régressé dans les Landes à une vitesse plus importante que celles d’autres marais, comme la Sologne, où il est demeuré plus longtemps.
Le même genre de drainage et de canalisation a eu lieu dans les Flandres, dans le sud ouest de l’Angleterre mais aussi au sud de l’Europe, en Italie, en Espagne ou au Portugal. Partout on a fait la chasse à l’eau stagnante, avec les mêmes résultats : un déclin des fièvres et des morts du palu.
Evidemment, l’assèchement des marais n’est pas l’unique cause de la disparition du paludisme mais ça vous montre qu’avant le DDT et les insecticides moderne, réfléchir aux causes environnementales des maladies permettaient, grâce à l’ingéniosité des environnementalistes et des ingénieurs, de lutter contre certaines maladies.
Quarantaines et confinement : les leçons de la peste
Autre arme qui suit la même logique et qu’on connaît bien maintenant : si on ne sait pas soigner une maladie, un outil pour ne pas tomber malade et empêcher les contaminations, c’est d’isoler les malades. Ces mesures de quarantaine, de confinement, de cordon sanitaire, d’attestation de déplacement, de contact tracing ont été inventées de la fin du Moyen Age à la Renaissance pour faire cesser les épidémies de pestes.
Ces épidémies décimaient à chaque fois entre 10% et 50 % de la population – 50 % c’est l’estimation moyenne pour la pire épidémie, la peste noire de 1346. En appliquant consciencieusement ces mesures , l’Europe de l’Ouest a réussi à se prémunir de la peste à partir du XVIIIème siècle
John Snow, le choléra et les égouts
Autre intervention majeure pour limiter la propagation des maladies infectieuses, c’est la gestion des excréments. Le choléra, la dysenterie, ces maladies se transmettent par les particules d’excréments qu’on ingère via les doigts, les aliments ou l’eau qu’on boit. Le problème c’est que, longtemps, les humains l’ignorait.
A Londres, les épidémies de choléra étaient régulières, en gros une tous les 4-5 ans depuis 1832. La croyance de l’époque c’était que c’était l’odeur dégueulasse qui causait la maladie. On ne comprenait pas que la maladie était causée par des microbes, par des germes avec lesquels on était physiquement en contact. Pour assainir son air des odeurs dégueulasses, Londres a passé une loi en 1848 qu’on a surnommé la “choléra bill” qui obligeait les londoniens à vider leurs fosses et à se débarrasser quotidiennement de leurs excréments.
Evidemment, à Londres le moyen le plus simple de le faire, c’était de faire couler tout ça dans la Tamise. Et devinez quelle eau buvaient les londoniens ? Celle de la Tamise ! Résultat : la “cholera bill” a encore rendu l’épidémie suivante de choléra terriblement meurtrière. Elle a causé plus de 14 000 morts.
A cette époque, un médecin suspectait que le choléra se transmettait par la flotte et pas par l’odeur, c’est le fameux John Snow. C’était un savant reconnu (il a accouché la reine Victoria) mais il a eu beaucoup de mal à convaincre les autorités londoniennes que, pour en finir avec le choléra il fallait gérer les égouts bien sûr mais aussi l’eau consommée par les Londoniens.
Pour en savoir plus sur l’enquête et le travail de John Snow sur le choléra, je vous conseille ce super TED TALK, traduit en français, qui raconte toute l’histoire de manière ludique.
L’enquête de John Snow a abouti au grand projet des égouts “modernes” de Londres, + 700 km de galeries avec des pompes géantes pour faire sortir les eaux et les boues en AVAL de Londres, juste avant l’estuaire de la Tamise et ainsi éviter que les londoniens boivent de l’eau contaminée par leurs égouts.
Des égouts sérieux, c’est un premier pas pour limiter l’intoxication de l’eau, mais ça ne suffit pas à limiter assez les contaminations pour toutes les maladies infectieuses transmises par l’eau.
Une eau propre
L’eau, rappelons le, ça a longtemps été l’eau du puits, de la source, de la fontaine. Cette eau était souvent croupie, l’été, les puits étaient des nids à moustiques, à insectes, et il était fréquent, dans les villes et les campagnes, de boire de l’eau verdie ou brunie par la boue et les parasites.
Les villes “modernes” ne cherchaient pas nécessairement à s’approvisionner en eau à des sources sûres. Dans les années 1870’s, l’hygiéniste Allemand Max von Pettenkofer a bataillé pour convaincre la ville de Munich de s’approvisionner en eau à 40 km dans les montagnes qui surplombent la vallée de Mangfall (carte p.12) plutôt que dans la rivière Isar très polluée. Encore aujourd’hui, ces sources de la vallée de Mangfall fournissent 80 % de l’approvisionnement en eau de Munich. Ce canal a permis de faire chuter la mortalité par fièvre typhoïde de + de 80 %.
Même chose à New York.qui un peu plus tôt à fait construire le “Old croton aqueduc”, un aqueduc le plus souvent souterrain qui approvisionnait Manhattan en eau du lac Croton situé à + de 40 km de la grande ville.
Mais la vraie innovation qui a complètement changé la donne sur l’eau, c’est les dispositifs de désinfection.
Désinfecter l’eau ça peut se faire par une technique simple, mais coûteuse en énergie pour les plus pauvres, c’est de faire bouillir l’eau qu’on boit. Des milliers d’affiches ont été placardées à Londres, à la suite des découvertes de John Snow, pour inciter tout le monde à se protéger du choléra en faisant bouillir la flotte.
Autre dispositif efficace, c’est la filtration et l’adjonction de chlore. Mettre du chlore dans les réservoirs d’eau élimine la plupart des bactéries génératrices de maladies infectieuses. Les premières tentatives de chloration de l’eau ont eu lieu en 1908 au New Jersey et le système a été petit à petit généralisé pour protéger les villes des épidémies. Et l’efficacité de ces traitements de l’eau a été proprement fulgurante.
Voici la mortalité par fièvre typhoïde, maladie transmise par l’eau, à Pittsburgh – une grande ville industrielle de l’est des USA.
On voit clairement que les traitements de l’eau ont fait spectaculairement chuter les morts de cette maladie infectieuse.
Au total, ces deux innovations : un système d’égouts efficace et le traitement de l’eau potable ont contribué, si on en croit les chercheurs qui ont étudié le cas allemand, à plus de la moitié de la baisse de la mortalité par maladies infectieuses “transmises par l’eau” [SOURCE : Gallardo-Albarran 2020, p20]
“Taken together, improvements in water quality and sewage disposal account for more than half of the decline in deaths from this category.”
Ajoutons qu’il n’y a pas que l’eau que l’on a désinfectée à cette époque, il y a aussi le lait. Le lait était en Europe un aliment crucial. Il nourrit les enfants (et on a vu les niveaux de mortalité infantile) et, surtout, le lait peut transmettre des bactéries courantes dans les élevages mais terribles pour l’homme : la brucellose, la listériose, la salmonelle mais, surtout, les redoutées tuberculose et fièvres typhoïdes. La massification de la pasteurisation – rendue obligatoire par la loi dans de nombreux pays – a été déterminante pour rendre le lait sain.
Antiseptiques et développement de l’hygiène
Enfin, dernière grande intervention environnementale pour baisser la mortalité par maladie infectieuses : la désinfection des mains et des objets utilisés dans les moments “à risque” .
Ça passe d’abord par le savon et le lavage de mains. Cette pratique qui semble aujourd’hui “évidente” surtout en pleine épidémie de covid, ne l’a pas toujours été. Le promoteur du “lavage de main” c’est Semmelweis, un médecin hongrois, considéré ajd comme le père de l’hygiène, qui a exercé à la maternité de Vienne.
En arrivant à l’hôpital de Vienne, il a remarqué une différence de mortalité colossale (3% vs 40%) entre les femmes accouchées dans le pavillon de l’école des sage-femme et celles accouchées dans le pavillon des étudiants en médecine. Il a fait ses recherches et a remarqué que les étudiants en médecine passaient directement des autopsies de cadavres aux accouchements, évidemment sans se laver les mains. Il s’est donc bagarré avec ses collègues médecins pour qu’ils se lavent les mains avec du chlore.
Cette pratique a fini par se généraliser et, en plus des mains, les médecins du monde entier ont commencé à désinfecter leurs outils avec des antiseptiques conçus pour : du chlore d’abord puis des phénols, de l’éther ou de l’alcool purifié.
Le lavage de main, les antiseptiques et la stérilisation ces pratiques d’hygiène ont transformé la les salles d’opération ou d’accouchement de dépotoirs dangereux en vrais lieux de soins.
Grâce à d’innombrables campagnes de santé publique menées par les gouvernements du monde entier, ces pratiques d’hygiène se sont, peu à peu, étendues à l’ensemble de la population. Évidemment, en se lavant les mains, en nettoyant les aliments avant de les manger, les risques de contaminations ont considérablement décru.