Imaginez alimenter une voiture, fondre du métal ou produire de l'électricité tout en ne rejetant que de l'eau. Voilà la formidable promesse de l'hydrogène. Mais que vaut, réellement cette énergie du futur ?
Avant de nous aventurer dans les milles possibilités que nous offre l’hydrogène comme énergie du futur, essayons de comprendre comment on l’utilise déjà dans le présent.
L’hydrogène, on en utilise déjà un sacré paquet aujourd’hui. En 2018 selon l’AIE (p.32), le monde en a consommé 115 millions de tonnes. Cet hydrogène est utilisé aujourd’hui uniquement dans l’industrie.
Comme vous le voyez sur ce graphique tiré du Future of Hydrogen (2019) de l’AIE (p.32), l’hydrogène aide à raffiner le pétrole. Il sert aussi à produire l’ammoniac, avec lequel on fait des engrais et des explosifs, et il intervient dans la production du méthanol, qui permet de faire de nombreux plastiques. L’hydrogène est aussi utilisé dans la sidérurgie pour transformer le minerai de fer en métal utilisable ou en alliage d’acier.
La grosse catégorie “autres” regroupe également des usages industriels de l’hydrogène : principalement pour produire de la chaleur dans les hauts fourneaux et lors du raffinage.
L’utilisation de l’hydrogène dans les transports est encore totalement négligeable : c’est moins de 0.01 Mt sur les 115 Mt d’hydrogène utilisés en 2018 dans le monde.
L’hydrogène, on n’en trouve pas à l’état naturel. Il faut d’abord le produire.
Aujourd’hui, environ 40% de l’hydrogène est un coproduit. Un coproduit ça veut dire qu’en produisant autre chose – par exemple des plaquettes de fer – les réactions chimiques vont aussi produire de l’hydrogène en bonus. Il y’a beaucoup d’hydrogène coproduit dans la sidérurgie et le raffinage.
Les 59 % d’hydrogènes restant sont produits dans des “usines à hydrogène” dont voici les carburants.
La quasi totalité de l’hydrogène “produit exprès” l’est grâce à des hydrocarbures : 71% de l’hydrogène est produit à partir de gaz et 27% à partir de charbon. L’hydrogène au charbon, c’est très majoritairement la Chine (p.38).
La production d’hydrogène par “électrolyse de l’eau” – dont le principe est très bien illustré dans cette vidéo du Centre pour l’énergie atomique – est extrêmement minoritaire (1%). Pourtant, c’est le seul moyen de produire de l’hydrogène peu carboné.
La production d’hydrogène au gaz et au charbon émet, au total, 830 Mt de CO2 chaque année (p.37), soit presque 2% des émissions mondiales de CO2. (1.9% exactement, la source des 41.3 Gt CO2 est ici).
Se passer de ses émissions et produire l’intégralité de l’hydrogène demanderait, selon l’AIE (p.43), 3600 TWh d’électricité – soit l’équivalent de la production de l’Union Européenne ou de 13.5 % de l’électricité mondiale (p.56 pour le total). Et on ne parle ici que de la quantité d’hydrogène produite aujourd’hui. Si de nouveaux usages se développent, il faudra en produire davantage et la consommation d’électricité bas carbone augmentera d’autant.
L’hydrogène peut être brûlé directement et permet d’obtenir des hautes chaleurs. Il pourrait alors remplacer le charbon et le gaz qui produisent les hautes chaleurs dans l’industrie de l’acier ou du ciment.
Pour la sidérurgie, l’hydrogène permettrait d’aller encore plus loin. En plus de fournir de la chaleur, l’hydrogène vert pourrait aussi remplacer le charbon ou le gaz utilisés dans les réactions chimiques de production de fer et d’acier. Un procédé mêlant l’hydrogène à l’électricité, permettrait de supprimer TOTALEMENT les émissions de de la production de fer. Ce procédé est déjà testé en Suède dans le projet pilote “Hybrit” Cette usine de fer parvient à émettre seulement 25 kg de CO2 au lieu des 1850 kg habituels pour une tonne de fer.
Le graphique ci-dessous compare les émissions de CO2 de Hybrit avec celles d’une usine sidérurgique suédoise “classique”.
Une étude de Bloomberg Energy estime que l’utilisation d’hydrogène dans les industries du ciment et de l’acier permettrait d’économiser entre 3-4 Gt CO2 (p.8) par an, soit près de 10 % des émissions actuelles de CO2.
Dans les transports, l’hydrogène serait utilisé à travers ce qu’on appelle des “piles à combustible”. Une “pile à combustible” c’est une mini usine électrique qui fonctionne exactement à l’inverse de l’électrolyse et ne rejette que de l’eau. Son fonctionnement est très bien décrit dans la vidéo ci-dessous, réalisée par le CEA, le centre d’énergie atomique.
Le défaut de la pile à combustible, c’est son rendement énergétique qui est inférieur à celui d’une batterie. La batterie, elle se recharge directement sur le réseau électrique. La PAC c’est différent. Elle génère de l’électricité grâce à de l’hydrogène, lui-même produit avec de l’électricité. Cette “étape supplémentaire” de production d’hydrogène rend la PAC moins efficace en énergie qu’une batterie. Conséquence : la PAC n’est pas très intéressante quand on peut utiliser une batterie.
Mais les PAC ont un avantage sur les batteries : pour une même puissance, elles sont moins lourdes. Pour les bus, les camions, ou les bateaux, les batteries conviennent mal. Elles sont trop lourdes et ne délivrent pas une puissance suffisante pour bouger de telles masses. Le combo “PAC + réservoir à hydrogène” est plus léger et permet de générer assez d’électricité pour faire avancer ces engins “lourds”.
Ici on ne parle que de l’efficacité “énergétique”. D’autres paramètres entrent en jeu : le coût, l’autonomie, les infrastructures, les métaux (notamment le platine utilisé dans les piles à combustibles) etc. Mais on peut pas tout dire sur la voiture à hydrogène ici.
Convertir l’hydrogène en ammoniac est aussi une piste pour décarboner les transports.
L’ammoniac, c’est de l’hydrogène combiné avec de l’azote. C’est facile à produire – 78% de l’air qu’on respire c’est de l’azote – et ça se conserve facilement à l’état liquide. Il suffit d’un peu le refroidir. D’après l’AIE(, p.78) , il est déjà moins cher de transporter de l’H2 à longue distance en le convertissant en ammoniac. Cet ammoniac on peut le “reconvertir” en hydrogène pour alimenter des PAC. Mais on est pas obligés. On peut aussi l’utiliser directement. Il existe à la fois des PAC et des moteurs qui fonctionnent à l’ammoniac.
Pour les grands bateaux, les portes conteneurs, supertankers etc. il ne serait pas très compliqué de convertir certains nouveaux moteur à gaz pour qu’ils fonctionnent à l’ammoniac. Ces “moteurs à l’ammoniac” ils ont l’immense avantage de ne pas rejeter de GES mais seulement de l’azote.
Attention quand même, l’ammoniac est corrosif et toxique donc faudra absolument éviter les fuites. Et si on en maîtrise mal la combustion, un moteur à ammoniac peut rejeter des oxydes d’azote qui causent à la fois du réchauffement climatique et des pollutions de l’air et de l’eau. Donc l’ammoniac c’est une piste à manipuler avec précaution.
Le troisième grand usage à développer pour ’hydrogène du futur, c’est de s’en servir comme moyen de stockage d’électricité, pour pallier à l’intermittence des éoliennes et des panneaux solaires.
Comment ça marche l’hydrogène “stockage” ? Quand il y a tellement de vent ou de soleil qu’on produit plus d’électricité qu’on en utilise, on a de l’électricité “en trop”. Cette électricité “en trop”, on l’utilise pour produire de l’hydrogène par électrolyse. Cet hydrogène on le stocke et, quand y’a une longue période sans vent et soleil, on l’utilise pour produire l’électricité dont on a besoin.
Deux solutions sont possibles pour utiliser l’hydrogène comme moyen de stockage de l’électricité. L’utiliser directement et le convertir en électricité grâce à une pile à combustible ou transformer l’hydrogène en méthane de synthèse puis brûler ce méthane de synthèse pour générer de l’électricité.
Ces deux méthodes n’ont pas le même rendement énergétique. Selon RTE (p.22 et 18), le rendement total d’une pile à combustible est de 35 %. Pour 100 unités d’électricité investies pour produire l’hydrogène, une pile à combustible permet d’en produire 35 plus tard. En revanche, si l’hydrogène utilisé est converti en méthane, le rendement total tombe à 25 %. En clair, on ne récupère à la fin qu’un quart de l’électricité qu’on avait produite au début.
La “filière méthane” a néanmoins un avantage. Elle facilite de beaucoup le stockage et le transport de l’hydrogène. Rappelons que l’hydrogène est le gaz le plus léger de l’univers. Un kilogramme de dihydrogène occupe plus de 11 mètres cubes, le conserver à l’état liquide impose de le réfrigérer à – 253° ou de le compresser à 700 bars (p.35). Convertir l’hydrogène en méthane supprime complètement ces difficultés de transport et de stockage.
L’agence financière spécialisée dans l’énergie Bloomberg Energy a publié le 30 mars 2020 une étude pour évaluer le potentiel de l’hydrogène en 2050.
Dans cette étude, Bloomberg envisage le maximum théorique d’utilisation de l’hydrogène en 2050.
Selon cette étude, la demande théorique maximale d’hydrogène (colonne de gauche) se répartirait quasi également entre les secteurs des transports (524 Mt), de l’industrie (515 Mt) et de l’électricité (439 Mt). Cette demande pourrait monter jusqu’à 1370 Mt au total, soit plus de 10 fois la demande actuelle.
Pour produire ces 1370 millions de tonnes d’hydrogène par électrolyse, il faudrait mobiliser 42900 TWh soit 1.6 fois la production d’électricité totale de la planète en 2018.
En revanche, une telle utilisation de l’hydrogène permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre des énergies fossiles de 34 % (p.7).