Fabriquer des éoliennes, l’Europe le fait
Commençons par la base : qui fabrique les éoliennes ? Est-ce que c’est comme les panneaux solaires, quasiment tout made in China?
Et bien le premier truc intéressant à savoir, c’est que la production d’éoliennes, c’est un marché hyper concentré. En 2020, 15 entreprises seulement ont produit 96% des éoliennes du monde.
[ SOURCE : Wood Mackenzie, “Global wind turbine market: state of play”, 2021 ]
Et bonne nouvelle, les entreprises européennes – le danois Vestas, le germano espagnol Siemens Gamesa, les allemands Nordex et Enercon etc – représentent au moins 30% du marché, 29.7 % exactement.
Autrement dit, l’Europe produit 30% des éoliennes du monde entier. Et comme l’Europe ne représente que 20% de la demande mondiale d’éoliennes, il nous en reste pas mal à exporter vers d’autres pays.
[ SOURCE : GWEC, “Global Wind Report 2022”, 2022, p.107 et 146 ]
Entre 2015 et 2020, l’exportation d’éoliennes a rapporté 15 milliards d’euros aux pays de l’Union européenne.
[ SOURCE : Eurostat, Base de données “DS-645593” ]
Alors même si il n’y a pas de véritable champion industriel français de l’éolienne et qu’on peut le regretter, pouvoir compter sur nos voisins européens est rassurant.
Eolien en mer : le problème des terres rares made in China
Pourquoi les éoliennes en mer contiennent-elles des terres rares, et qu’est-ce que c’est les terres rares ?
En attendant une vidéo dédiée sur le site, nous vous recommandons cette vidéo de Rodolphe sur la chaîne le Réveilleur. Elle constitue une excellente introduction aux enjeux que posent les terres rares.
Certaines de ces terres rares (néodyme, dysprosium, praséodyme et terbium notamment) permettent de faire des aimants extrêmement efficaces que l’on retrouve dans les éoliennes en mer. Pourquoi ? Parce qu’avec leurs pales immenses – les plus grandes mesurent + de 100 m – et leur installation en mer, elles gagnent beaucoup à avoir des aimants légers et très compacts : les aimants permanents qui contiennent des terres rares.
[ SOURCE : Goudarzi et. al., “A review on the development of wind turbine generators across the world”, 2013, pp4-6 ]
Le problème, c’est que ces aimants permanents sont très gourmands en terres rares !
Prenez une éolienne en mer de 6MW équipée d’un aimant permanent, une éolienne offshore assez standard aujourd’hui, dedans vous allez retrouver en moyenne 1080 kg de néodyme, 102 kg de dysprosium, 210 kg de praséodyme et 42 kg de terbium. Au total, c’est pas loin d’une tonne et demie de nos fameuses terres rares que vous allez retrouver dans l’aimant de la turbine.
Le problème c’est qu’aujourd’hui, qui dit terres rares dit Chine. La Chine concentre 87% des capacités de raffinage mondiales de terres rares.
Très logiquement, la Chine assure aussi à elle-seule 90% de la production d’aimants permanents.
Notre dépendance très forte à la Chine sur le marché des terres rares a déjà eu des conséquences sérieuses il y a quelques années.
Laissez-moi vous raconter une petite histoire méconnue, celle de l’explosion des prix des terres rares entre 2010 et 2011.
Dans les années 2000, la Chine produisait près de 95 % des terres rares du monde.
En 2010, la Chine met en place des quotas qui divisent par 2 les exportations de terres rares. Débrouillez-vous les autres pays.
Là dessus, fin 2010, la Chine décide de couper totalement ses exportations de terres rares vers le Japon – je vous passe les détails sur les raisons de l’embrouille, c’est comme d’hab des disputes territoriales au sujet de petites îles.
[ SOURCE : Charles et al. 2021 Ressources en terres rares de l’Europe et du Groenland ]
Quel a été le résultat de ces 2 décisions unilatérales prises par la Chine ? Le prix des terres rares a littéralement explosé.
Entre 2010 et 2011, le prix du néodyme a été multiplié par 4 (passant de 63$/kg à 270), celui du dysprosium a été multiplié par 5 (passant de 310$/kg à 1600) !
[ SOURCE : Paulick et. al., “The global rare earth element exploration boom: An analysis of resources outside of China and discussion of development perspectives”, 2017 via IFRI, “La Chine et les terres rares. Son rôle critique dans la nouvelle économie “, 2019, p.20 ]
Conséquence, au pic de l’envolée des prix en 2011, les terres rares ont représenté à elles-seules jusqu’à 10% du coût total d’une éolienne offshore.
[ SOURCE : PWC, “Tendances de la transition énergétique”, 2019 p.4 ]
Est-ce qu’on peut sortir de mainmise chinoise sur offshore ?
Commençons par une bonne nouvelle, la Chine n’occupe plus de place hégémonique dans la production de terres rares.
Alors que jusqu’à 2010, la Chine minait quasiment 100% des terres rares du monde, aujourd’hui elle ne monopolise plus “que” 60% de la production. C’est la conséquence du choc de 2010-2011. Des mines de terres rares ont été ouvertes un peu partout dans le monde.
Pour être rigoureux, je dois vous dire que ces stats sous-estiment un peu le poids de la Chine parce qu’il y a pas mal d’extractions illégales de terres rares en Chine qui ne sont pas comptées dans ces chiffres officiels, mais vous voyez la tendance.
Si la production dans les mines s’est aujourd’hui diversifiée, le raffinage des terres rares reste encore, on l’a vu, un quasi monopole chinois.
On raffine 12% des terres rares en Malaisie. Il s’agit là des usines de l’entreprise minière de terres rares australienne Lynas. Et 12%, ça reste pas grand chose. Pour finir de sortir de la dépendance à la Chine, le Pentagone a annoncé il y a quelques semaines la signature avec l’entreprise australienne Lynas d’un contrat de 120 millions pour monter une usine de raffinage de terres rares lourdes au Texas
Et en Europe vous me direz, on fait quoi ? Malheureusement, pas grand chose. On a bien deux petites usines de séparation et de raffinage de terres rares, une en Estonie, qui répond au doux nom de Molycorp et une usine française – cocorico – l’Usine Solvay qui se trouve à La Rochelle. L’usine Solvay en France existe depuis des décennies. Y a même un moment où la France était le leader mondial du raffinage de terres rares, donc on ne manque pas de connaissances techniques et d’expérience. Mais les quantités traitées sont petites. Et comme le traitement, la séparation et le raffinage des terres rares sont polluants et surtout très gourmands en eau, on peut craindre que ça ne soit pas évident de convaincre les populations de faire ça en Europe.
Imaginons maintenant qu’on échoue à réorienter notre approvisionnement ou que, scénario catastrophe – la Chine coupe l’accès aux terres rares ou aux aimants permanents nécessaires à nos éoliennes offshore.
Est-ce qu’on serait empêché de faire des éoliennes en mer ?
Non, il nous resterait une solution de secours : installer des éoliennes aux technologies nécessitant MOINS de terres rares.
Si on reprend notre exemple d’une éolienne de 6 MW, la construire sans aimant permanent permettrait de baisser le besoin de terres rares de 1.4 tonnes à 260 kg.
Il est même possible, avec la technologie la plus économique, de n’avoir plus besoin que de 80 kg de terres rares, soit 17 fois moins que la technologie dominante.
En ce moment, la situation des fabricants d’éoliennes européens n’est pas rose.
En 2022, avec la montée des prix des matières premières, plusieurs géants de l’éolien européen connaissent des difficultés. Le numéro 1 du secteur, le danois Vestas, a perdu 765 millions d’euros au premier trimestre 2022, et annoncé son intention de fermer trois usines et de supprimer 275 postes.
Siemens Energy a dû lancer en mai une offre publique d’achat pour sauver de l’hémorragie financière sa filiale espagnole Gamesa, spécialisée dans la fabrication d’éoliennes.
[ SOURCE : Marine Godelier, La Tribune, mai 2022, Éolien : les coûts de construction explosent, le modèle européen ne tient plus face à la concurrence chinoise ]