Dédiabolisation du RN : ruse ou réalité ? - Osons Comprendre

Dédiabolisation du RN : ruse ou réalité ?

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S'il y a une stratégie associée à Marine Le Pen, c'est celle de la "dédiabolisation". Mais qu'y a-t-il derrière cette stratégie ? Est-ce une ruse pour conquérir le pouvoir, ou une réalité ? Qu'est-ce qui a changé, et qu'est-ce qui reste de l'héritage de Jean-Marie Le Pen ?

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Points clés

  • Le mot de “dédiabolisation” est piégeux, parce qu’il donne l’impression que c’est de l’extérieur qu’une image négative ou dangereuse est collée au parti. Il cache la responsabilité du FN, de son programme et de ses candidats, dans le fait de pouvoir apparaître comme un projet d’extrême-droite, xénophobe, dangereux pour la démocratie.

 

  • Peu de gens savent que la dédiabolisation est un concept qui vient du Front national. Et peu de gens savent que ce n’est pas Marine le Pen qui a inventé la stratégie de la “dédiabolisation”, mais un personnage un peu oublié, Bruno Mégret. Le but de la dédiabolisation à la sauce Mégret : expurger la rhétorique du parti du vocabulaire raciste pour rendre à nouveau possible des alliances avec la droite, casser le “cordon sanitaire” pour prendre le pouvoir.

 

  • Mais Jean-Marie le Pen était opposé à ce projet d’union, et quand Mégret a voulu être calife à la place du calife, il s’est fait éjecté, et son projet avec lui. C’est après la présidentielle de 2002, et le barrage massif contre le Pen, que la fille de Jean-Marie, Marine le Pen, a décidé de faire de la dédiabolisation le cœur de sa stratégie politique.

 

  • Après sa conquête du pouvoir au FN en 2011, face au négationniste Bruno Gollnisch, Marine le Pen a mis en place le premier levier de sa stratégie de dédiabolisation : rompre avec l’antisémitisme, jusqu’à virer son père du parti, en 2015. Il y a plusieurs cordes à l’arc de sa stratégie.

 

  • Contre son père et contre les tradionalistes de son parti, Marine le Pen a peu a peu accepté le droit à l’avortement, puis le mariage homosexuel, suivant – avec retard – l’évolution de la société française. Pour ne pas avoir l’air trop réactionnaire, sans avoir à proposer de nouveaux droits pour autant, elle a déployé une recette tout bénef qui consiste à accuser les islamistes d’être la vraie menace contre les juifs, les gays, les droits des femmes, etc.

 

  • Elle a aussi continué à euphémiser le discours du parti. Elle a reformulé les attaques contre l’islam et les musulmans en rejet du fondamentalisme islamique, en défense de la laïcité et des valeurs de la république. Comment le RN pourrait-il être anti républicain s’il prétend défendre la République contre un danger totalitaire ? Habile 🙂

 

  • La communication du RN a été ultra lissée. Marine le Pen est devenue la candidate des chats. La formation des cadres du FN est passée de la lecture des penseurs d’extrême-droite – antisémites, fascistes – au media training et à l’apprentissage du programme.

 

  • Mais sur l’immigration et les droits des immigrés, le programme de Marine le Pen est resté étonnamment stable et proche de celui de son père. Malgré l’abandon récente de l’interdiction du voile dans la rue et de la binationalité, le programme du RN continue de défendre de nombreuses mesures radicales et souvent anti-constitutionnelles. Bref, sur ces sujets très importants, Marine le Pen s’est très peu déradicalisée.

 

  • Si ce programme choque moins, c’est peut-être qu’une partie des médias et de la classe politique s’est rapprochée du RN sur ces questions.  C’est notamment le cas de LR qui a négocié conjointement avec le RN la loi immigration et dont l’électorat devient difficile à distinguer de l’électorat frontiste. Il faut dire que le RN de Marine le Pen et de Jordan Bardella a aussi renoncé à la sortie de l’euro chère à Philipot et au Frexit. En 2024, la rigueur budgétaire a été mise en avant, et une grande partie des mesures “sociales” du RN est passée à la trappe pendant les législatives de 2024. Ce rapprochement économique avec la droite LR est une nouvelle étape dans la stratégie de dédiabolisation de Marine le Pen. Est-ce qu’elle suffira à casser le “cordon sanitaire”, à s’allier avec la droite, et à gagner une élection nationale majeure ? Seul l’avenir nous le dira.

Sources et références

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Est-ce que le RN c’est l’extrême droite ?

 

Personne n’aurait posé cette question du Front National – parti cofondé par des waffen SS – en 2002, quand Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.

Pourtant, depuis que Marine le Pen a pris la tête du FN, en 2011, l’image du parti s’est lissée.

La proportion des Français qui jugent le RN d’extrême-droite, xénophobe, ou dangereux pour la démocratie, a nettement diminué.  Alors que le RN était un parti d’extrême-droite pour près de 80% des Français encore en 2015, cette proportion a chuté à 65% en 2023.

[ SOURCE : Fondation Jean Jaurès, “Les Conséquences électorales de la dédiabolisation de Marine Le Pen”, 8 février 2024, Graphique 1, p.2]

 

Les médias ne sont pas en reste. Depuis quelques années, le discours des commentateurs politiques sur le RN et sa candidate ont peu à peu changé. La question de la dédiabolisation du parti de Marine le Pen se pose.

Certains estiment même qu’elle est tranchée. Dans les médias de la galaxie Bolloré – Cnews, Europe 1 – le RN n’est plus qualifié d’extrême-droite, mais avec des euphémismes comme le “parti à la flamme”. Dans d’autres médias, ainsi que l’indique l’article d’Acrimed, certains éditorialistes suivent.

[ SOURCE : Acrimed, “« Le Pen ne fait plus peur » : la faute à qui ?”, 22 avril 2022 ]

 

Faut dire que Marine Le Pen a fait de la “dédiabolisation” et de la normalisation du FN sa priorité. Mais qu’est-ce qu’on appelle la dédiabolisation ? Qu’est-ce qui a changé ?

Est-ce que c’est le passage de témoin de Jean Marie le père, tortureur de la guerre d’Algérie à Marine la fille et amoureuse des chats ?

Est-ce que c’est une affaire de communication politique, de style ?

Est-ce que le programme du RN a changé, s’est déradicalisé ?

Est-ce que c’est plutôt l’environnement politique et médiatique qui s’est rapproché du Front National ? Ou est-ce que c’est un peu un mélange de tout ça ?

 

A travers cette question de la “dédiabolisation”, c’est l’évolution politique du FN devenu RN qu’on va analyser ensemble, en cherchant à se baser autant que possible sur des éléments factuels. Faire ce travail, aujourd’hui, alors que le RN n’a jamais été aussi proche du pouvoir, nous apparaît nécessaire.

 

La dédiabolisation n’a pas attendu Marine le Pen

 

Pourquoi le FN a-t-il été “diabolisé” ?

 

Au début des années 1970, l’extrême-droite était largement discréditée en France, notamment à cause de sa collaboration avec les nazis pour exterminer les Juifs d’Europe.

En 1972, Ordre Nouveau, un groupuscule néofasciste violent dissout en 73, crée une vitrine électorale plus “respectable” pour son mouvement, le Front National.

La naissance du FN lui-même était déjà une tentative de “dédiabolisation” de groupuscules d’extrême-droite marginaux.

[ SOURCES : Alexandre Dezé, « La « dédiabolisation ». Une nouvelle stratégie ? », dans Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Mayer, Les Faux-semblants du Front national : sociologie d’un parti politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, pp 25-50 ; Valérie Igounet, Francetvinfo, La dédiabolisation, c’est quoi au juste ?, 2015 ]

 

Mais une fois qu’on a dit ça, le casting des fondateurs du FN est quand même salé ! On y trouve Jean-Marie le Pen bien sûr, mais aussi des sympathisants néonazis comme François Duprat, l’ancien waffen SS Léon Gaultier et des nostalgiques de l’Algérie française membre du groupe terroriste OAS comme Roger Holeindre.

[ SOURCE : Sylvain Crépon, Le FN est-il républicain ?, 2016 ]

Mention particulière à Pierre Bousquet, ancien Waffen SS lui aussi, qui a déposé les statuts du parti en préfecture avec le Pen et est resté trésorier du FN jusqu’en 1981. Ce monsieur affirmera plus tard « ne pas considérer son passé SS comme une erreur de jeunesse ». Sympa 🙂

[ SOURCE : sur Bousquet et d’autres fondateurs du FN, lire Jean-Paul Gautier, Qui créa le Front national ? Première partie : les nostalgiques du nazisme et de la collaboration, Contretemps, 2022 ]

 

Avec ce casting, le FN était clairement un groupuscule d’extrême-droite. Mais Jean-Marie le Pen présentait son parti comme un mouvement de “droite populaire et sociale”.

[ SOURCE: INA, “Occident, GUD, Ordre nouveau : le FN avant le RN”, 4 octobre 2022 ]

Même quand il était littéralement entouré de nazis, le Pen se prétendait “à droite”, et refusait déjà le qualificatif d’extrême-droite.

D’ailleurs, durant des années, Le Pen a intenté des procès contre ceux qui le désignaient comme raciste ou comme d’extrême-droite. Procès qu’il a perdus, mais qui montrent que Marine Le Pen n’est pas la première à refuser l’étiquette d’extrême droite. Son père l’a toujours fait.

[ SOURCE : Nona Mayer, The Radical Right in France, 2018, p.10 ]

 

Mais bon, avec des gens ouvertement néofascistes et néonazis, c’était compliqué ! Au début des années 80’s, le bras droit de Le Pen Jean-Pierre Stirbois, est chargé d’expurger le parti des plus radicaux, comme Bousquet le waffen SS.

[ SOURCE : Nicolas Lebourg, Front National et radicaux, une interaction dynamique, Hommes & libertés, 2014, p. 1 ]

Après la victoire de François Mitterrand en 1981, le FN obtient ses premiers scores à deux chiffres. Ca a été largement oublié aujourd’hui, mais à cette époque, le FN s’allie avec la droite à diverses élections, notamment à Dreux, en 1983, avec la bénédiction de Jacques Chirac.

On vous a raconté ça en détail dans notre vidéo sur le mythe du Front républicain. La droite de l’époque a repris de larges pans du programme du FN sur l’immigration, comme la fin du droit du sol.

[ SOURCE : Valeurs Actuelles, “Droite-FN, l’histoire secrète”, 21 juin 2012 ]

Ce qui a coupé le FN de la droite à la fin des années 80, c’est d’abord et avant tout les sorties antisémites et négationnistes de Jean-Marie Le Pen, les fameuses “provocations”, dont la plus connue, sur les chambres à gaz comme “point de détail” de la seconde guerre mondiale, date de 1987.

[ SOURCE :  INA, Antenne 2, Le Journal de 13H – 15 septembre 1987 ]

Même si au niveau local, comme on vous le raconte dans notre vidéo, on a encore eu des alliances électorales ça et là entre le FN et le droite jusqu’à la fin des années 90, globalement, après les sorties négationnistes de Le Pen sur les chambres à gaz, droite et extrême-droite ne peuvent plus s’allier dans les élections.

 

D’un côté, Jean-Marie Le Pen trouvait aussi son intérêt politique à être coupé de la droite. Ca lui permet de “retourner le stigmate” et de présenter le FN comme un parti “antisystème”, au-delà de la gauche et de la droite parce que mis au ban du jeu politique par l’UMPS.

[ SOURCE : Nona Mayer, The Radical Right in France, 2018, p.10 ]

Mais d’un autre côté, sans alliances électorales avec la droite, difficile de gagner quoi que ce soit pour le FN. Ce “cordon sanitaire” entre droite et extrême droite, c’est jusqu’à aujourd’hui une des principales cibles des partisans de la “dédiabolisation”.

La stratégie et même le mot de “dédiabolisation” a été forgé par une autre figure du FN des années 90 : Bruno Mégret.

 

L’invention oubliée de la “dédiabolisation” : le moment Mégret

 

Bruno Mégret est un haut fonctionnaire, passé par le RPR de Chirac qui entre au FN en 1987. Son crédo à lui c’est de rapprocher le FN de la droite et d’en faire un parti de gouvernement.

C’est Mégret et ses proches qui théorisent l’idée d’un FN “diabolisé” par le système, mis au ban du jeu politique par le “gang des 4”, comprendre le PC, le PS, l’UDF et le RPR alias le système politique dans son ensemble. Evidemment, si le FN est “diabolisé par le système” il importe de le “dédiaboliser” pour casser le jugement moral qui disqualifie le parti.

[ SOURCES : Alexandre Dezé cité dans Le Monde, “Histoire d’une notion : la « dédiabolisation », ritournelle de l’extrême droite”, 8 juin 2022 et Nona Mayer, The Radical Right in France, 2018, p.7 ]

 

C’est un point crucial à retenir : dès qu’on parle de “dédiabolisation du RN” on accepte, de fait, de se caler sur la stratégie politique pensée par le FN de Mégret à la fin des années 80 et au début des années 90’s. Difficile en effet de dire qu’un parti fondé par des SS, qui prône la déchéance de nationalité pour les binationaux et multiplie les discours antisémites et racistes soit “diabolisé” par une force extérieure.

Mais bref, pour “dédiaboliser” le FN, Bruno Mégret pioche dans les réflexions du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne ou GRECE.

Ce groupement d’intellectuels de droite, fondé en 1968 autour du philosophe Alain de Benoist propose – entre autres choses – d’épurer le lexique réactionnaire des références aux “races biologiques”, aux races supérieures et aux races inférieures.

En plus d’être trop contraires à l’idéologie dominante, cette conception du racisme a le défaut d’avoir été clairement démentie par la science.

Le GRECE propose de parler plutôt de “peuples”, de “cultures” et d’histoires spécifiques dont il faut préserver la différence de tous mélanges intempestifs.

[ SOURCE : Sylvain Crépon, Le FN est-il républicain ?, 2016 ]

Autrement dit : les hommes sont tous égaux – bien sûr, on n’est pas raciste – mais mais mais… il faut que chacun reste chez soi, et surtout : pas de mélange, pas de métissage. Chaque religion, chaque “culture”, chaque “peuple” doit rester “lui-même”, et ne pas se perdre dans les migrations.

 

Ce courant est resté sous le nom de “Nouvelle droite”. Dès les années 60, Alain de Benoist et ses amis refusent l’étiquette d’“extrême-droite”, ou de “nouvelle extrême-droite”. Ça vous rappelle quelque chose ? 🙂

Bruno Mégret – ainsi que d’autres cadres du FN venus comme lui des réseaux de la Nouvelle droite comme Jean-Yves Le Gallou ou Yvan Blot – apportent ce nouveau logiciel et cette rhétorique ethno-différentialiste” au FN pour tenter de le “dédiaboliser”.

Bruno Mégret prend des galons dans le parti mais les différentes saillies antisémites et racistes de Jean-Marie Le Pen compliquent son projet de dédiabolisation.

[ SOURCE : INA, “France 2 Journal de 20h – Jean-Marie Le Pen « Je crois à l’inégalité des races »”, 30 août 1996 ]

Jean-Marie le Pen rejette la stratégie mégrétiste d’aller vers une alliance avec la droite, et ce genre de sorties racistes lui permet de saboter le rapprochement tenté par son dauphin.

Face au blocage, Bruno Mégret tente de prendre la tête du FN en 1998, mais il échoue et se fait purger la même année par les fidèles de Jean-Marie, dont sa fille Marine, qui dénonce à l’époque le “putsch” des “félons”.

Les idées de Bruno Mégret en revanche, elles, ne vont pas disparaître.

 

2002 : Le Pen au deuxième tour, un trauma pour le FN

 

On pourrait penser que 2002, avec l’arrivée de Le Pen au deuxième tour face à Chirac a été un immense succès pour les cadres du FN.

Alors oui, mais pour Marine Le Pen et Louis Aliot, son compagnon de l’époque, l’immense réaction de rejet du pays dans l’entre deux tours et le score de plus de 80% de Chirac sont vécus comme un terrible échec.

Pour eux, c’est clair : leur parti fait peur et il faut tirer des leçons de ce barrage massif.

 

Le FN doit absolument se “dédiaboliser”. Il doit apparaître comme un parti “comme les autres”. Mais comment ?

Antisémitisme, racisme anti arabe et antimusulman, homophobie, opposition au droit à l’avortement, beaucoup d’éléments du programme du FN le rattachaient à l’extême droite.

Mais pour Marine le Pen et ses amis, le véritable problème du FN, c’est l’image de parti antisémite.

Louis Aliot, a explicité parfaitement cette stratégie dans un entretien de 2013

[ SOURCE : Louis Aliot, entretien du 6 décembre 2013, in Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours, Paris, 2014, p. 420 ]

A lire Louis Aliot, c’est purement stratégique. SI ça avait été l’islam le facteur bloquant pour le Front national, ça aurait été sur l’islam que le parti aurait changé d’attitude et de discours. Mais non, là il s’agit de l’antisémitisme”.

Pour mener à bien cette stratégie, encore faut-il que Marine le Pen et son clan aient les coudées franches dans le parti. Sa victoire contre Bruno Gollnisch – bras droit de Jean Marie Le Pen, et négationniste notoire – durant le congrès de 2011 est une étape majeure pour mettre en œuvre sa stratégie de dédiabolisation.

 

La dédiabolisation selon Marine le Pen

 

En 2011, Marine Le Pen commence par rassurer les vieux cadres de son parti : certaines choses ne changeront pas au FN : dans ses premier discours elle réaffirme le rôle central de la “Préférence nationale” (Tours, le 17 janvier 2011), pointe le risque de “remplacement d’une partie de la population” que fait courir l’immigration extra européenne’  (Nanterre, le 21 février 2011).

[ SOURCE : Alexandre Dezé, “La construction médiatique de la « nouveauté » FN[1]”, in Mediapart Trois générations de chercheurs décortiquent le FN dans un livre-enquête, 26 octobre 2015]

Mais bien entendu, Marine Le Pen  n’est pas du tout raciste et ne “connaît pas” le grand remplacement ! 🙂

 

Enfin , pour contrebalancer son soutien au PACS et à la loi Veil, Le Pen fille affirme son opposition “totale” au mariage homosexuel (LCI – 28 janvier 2011).

[SOURCE : Alexandre Dezé, “La construction médiatique de la « nouveauté » FN”, in Mediapart Trois générations de chercheurs décortiquent le FN dans un livre-enquête, 26 octobre 2015]

 

Après avoir montré pâte blanche, Marine le Pen va pouvoir dérouler la stratégie dessinée avec son conjoint : policer l’image du Front national, ce qui commence par en bannir l’antisémitisme.

 

Rompre avec l’antisémitisme : la première étape

 

En 2011, elle déclare que pour elle “la Shoah, c’est le summum de la barbarie”.

[ SOURCE : Le Point; “Marine Le Pen: les camps nazis, « summum de la barbarie »”, 3 février 2011 ]

En avril Alexandre Gabriac, un jeune militant lyonnais qui a été pris en photo en train d’effectuer un salut nazi, est exclu du parti.

C’est une décision personnelle de Marine Le Pen qui s’est opposée à la Commission de résolution des conflits du parti – qui préconisait le blâme – et à son père, qui a publiquement dénoncé une décision “rapide”.

[ SOURCE : JDD, “FN: Gabriac bel et bien exclu”, 27 avril 2011 ]

En juillet, c’est Yvan Benedetti – un élu du Lyonnais – qui est exclu après s’être revendiqué en interview “antisioniste, antisémite et anti juif”. A noter que ce cadre de la campagne de Gollnisch a été exclu du parti seulement pour 2 ans.

[ SOURCE : Libération, “Un très proche de Gollnisch exclu du FN pour deux ans”, 10 juillet 2011 ]

 

Ca montre deux choses : d’abord que le parti est profondément antisémite et que la statégie Alliot n’est pas facile du tout à imposer.

Pour laver l’image du FN antisémite, Marine Le Pen devra tuer le père.

On va pas vous refaire toute l’histoire de l’antisémitisme du père Le Pen – du Point de détail à Durafour crématoire, mais on va quand même vous partager une ptite pépite.

En 1965, Le Pen dirigeait avec quelques amis comme l’ancien waffen SS Paul Gaultier, une maison de disques, qui, à côté de discours de Pétain et autres joyeusetés, éditait ça : “Le IIIème Reich – Voix et chants de la Révolution Allemande” avec plein de discours nazis. Faut quand même se sentir extrêmement détendu pour euphémiser le nazisme en simple “Révolution allemande”. Pour ce disque, il a été condamné pour “apologie de crimes de guerre” [en 1968], première condamnation d’une longue série.

[ SOURCE : Revue Alamer, Jean-Marie Le Pen, éditeur de disques à la gloire du IIIe Reich. Le procès contre la SERP et ses conséquences, 2022 ]

En 2014, Jean-Marie Le Pen, bien qu’âgé, n’a rien perdu de ses réflexes pro nazis. Il propose de réserver à Patrick Bruel une nouvelle “fournée”.

[ SOURCE : Site internet du FN, “Journal de bord n°366 de Jean-Marie Le Pen”, 6 juin 2014, effacé mais reposté par LeLab sur Europe 1 – Youtube, “ Le Pen attaque Bedos, Madonna, Noah et Bruel : « On fera une fournée la prochaine fois », 10 juin 2014 ]

Si vous avez pas la ref, la “fournée” fait référence aux fours crématoires qui ont fait disparaître les cadavres de millions de juifs, homosexuels, tziganes et opposants au régime nazi.

Marine Le Pen réagit mollement à cette blague antisémite, elle fait retirer le blog de son père du site du FN.

 

En avril 2015 par contre, elle tient son prétexte pour exclure le patriarche. En direct à la télé, il persiste sur les chambres à gaz.

[ SOURCE : BFM-TV – Interview de Jean-Marie Le Pen par JJ Bourdin, “Jean-Marie Le Pen persiste sur les chambres à gaz”, 2 avril 2015 ]

Quelques jours plus tard, il signe définitivement ses propos et défend Pétain dans les colonnes de Rivarol, un hebdomadaire d’extrême droite;

[ SOURCE : Le Monde, “Jean-Marie Le Pen réplique à sa fille dans « Rivarol »”, 7 avril 2015 ]

Marine Le Pen suspend son père, fait modifier les statuts du parti et après une rapide bataille judiciaire, parvient à exclure Jean-Marie du Front National.

Depuis, le Front National version Marine Le Pen ne transigera plus sur l’antisémitisme.

L’aboutissement de cette stratégie, c’est la participation de Marine le Pen à la manifestation de novembre 2023 contre l’antisémitisme.

Les organisateurs n’ont pas dû lire les enquêtes qui placent les sympathisants RN en tête des scores d’antisémitisme.

[ SOURCE : CNCDH, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie – Rapport 2023, juin 2024, Figures 24a et 24b, p.265 ]

Il n’empêche que, pour poursuivre sa stratégie de diabolisation Marine le Pen ne va pas s’arrêter à cette rupture avec l’antisémitisme.

 

L’euphémisation des discours

 

Elle va aussi diffuser largement un enseignement rhétorique inspiré de la Nouvelle droite : euphémiser au maximum le discours en ne désignant plus des personnes mais des concepts. Vous allez voir, cette rhétorique est exceptionnellement efficace pour paraître moins radical et violent.

Marine le Pen parlera de moins en moins des immigrés et de plus en plus de l’immigration.

Fini le slogan Lepéniste « 1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés de trop ! », il faut à présent dire “l’immigration augmente le chômage”. La même idée passe, mais ça sonne comme un sujet de dissertation à science Po.

[ SOURCE : Valerie Igounet, “Les Français d’abord : slogans et viralité du discours Front national (1972-2017)”, 2017, p.33 et Lucie Vermersch, “Framing Immigration and National Sovereignty in The French Far-Right: Marine Le Pen’s Rhetoric and The Dédiabolisation Strategy”, 2022 ]

Autre euphémisme, ne plus cibler les “musulmans” ou “l’islam” mais attaquer le “fondamentalisme islamiste”. Les idées sont transmises à l’identique, mais ce ne sont plus des croyants qu’on attaque mais une idéologie radicale.  

 

En 2012, elle insistera particulièrement sur le combat contre le “mondialisme”, concept flou qui permet de dénoncer tout à la fois la trahison des élites de l’UMPS, les délocalisations, la mainmise du FMI et, bien entendu, l’immigration. Mais parler de “mondialisme” c’est convoquer le registre de la souveraineté et non plus celui de la xénophobie.

[ SOURCE: Cécile Alduy – Tribune au Monde, “Mythologie du discours frontiste”, 6 juillet 2013 ]

A côté de cette rhétorique de l’euphémisation, un autre chantier pour Marine Le Pen a été de dépoussiérer le FN de ses combats les plus traditionnalistes.

 

Autres déradicalisations emblématiques : IVG et mariage gay

 

Prenons le droit à l’avortement. Le FN de Jean-Marie le Pen y était opposé.

[ SOURCE: INA Politique – Youtube, “Jean-Marie Le Pen dans L’Heure de Vérité | 13/02/1984 | Archive INA”, 22 janvier 2020, 19ème minute ]

Malgré l’opposition de la frange catholique traditionaliste du FN, proche de son adversaire Bruno Gollnisch, Marine le Pen a fait évoluer son parti par petites touches.

A la présidentielle de 2012, elle ne compte plus interdire l’avortement, mais elle défend encore le “déremboursement des avortements de confort”.

[ SOURCE : Le Monde, “IVG : ce que disait (vraiment) Marine Le Pen en 2012”, 14 décembre 2016 ]

 

A partir de 2017, elle ne remet plus en cause le remboursement des IVG. Le FN aura donc mis plus de 40 ans pour accepter la loi Veil votée en 75.

Et encore, “accepter le droit à l’avortement”, faut le dire vite. Quand, en 2024, les députés votent pour placer le droit à l’IVG dans la Constitution et ainsi le protéger de tout recul futur Marine Le Pen vote pour. Mais malgré ce vote de leur cheffe, près de 40% des députés RN refusent de soutenir ce droit des femmes.

[ SOURCE : Le Figaro, “IVG dans la Constitution: le groupe parlementaire RN parvient à contenir ses divisions sur le sujet”, 30 janvier 2024 ]

Ça montre que la frange catholique réactionnaire est encore bien présente parmi les députés du parti et reste une cible électorale à conserver.

 

Autre sujet sur lequel Marine Le Pen a tenu à faire bouger son parti : les droits des homosexuels. Rappelons le, en campagne pour prendre le parti, Marine le Pen avait martelé son “opposition totale” au mariage des couples de même sexe.

[SOURCE : Alexandre Dezé, “La construction médiatique de la « nouveauté » FN”, in Mediapart Trois générations de chercheurs décortiquent le FN dans un livre-enquête, 26 octobre 2015]

A l’occasion du mouvement de la “Manif pour tous” – qui, en 2012-2013 s’est opposée au mariage des couples de même sexe – Marine le Pen a tenu à ce que le FN ne se positionne pas et n’a participé à aucun cortège.

Bon, l’aile conservatrice du parti – représentée notamment par Bruno Gollnisch ou Marion Maréchal défilait ainsi que son compagnon, Louis Aliot.

[ SOURCE : Huffingtonpost, Mariage gay: Marine Le Pen a annoncé qu’elle « abolirait le mariage pour tous » si elle arrivait au pouvoir, 19 Mai 2013 ]

Si le FN en tant que tel ne battait pas le pavé avec les catholiques intégristes, le programme de Marine le Pen aux élections de 2012 et de 2017 prévoyait toujours d’abolir la loi Taubira sur le mariage pour tous. Ce n’est qu’en 2022 que Marine Le Pen a cessé de s’y opposer.

[ SOURCE : Mediapart, Entre homophobie et façade gay-friendly, le double jeu du RN, 14 Janvier 2024 et Marianne, “Droits des LGBT : Marine Le Pen prépare discrètement la grande régression”, 28 avril 2017]

 

On voit que Marine le Pen cherche à suivre – avec du retard – l’évolution de la société française, et à ne pas s’enfermer dans des positions conservatrices de plus en plus minoritaires.

 

Sur les sujets sociétaux, blâmer les islamistes

 

Pour paraître moins réactionnaire, tout en ménageant les conservateurs, Marine le Pen a une recette implacable – qu’elle emprunte à l’extrême droite néerlandaise et qu’on doit absolument partager avec vous : blâmer le fondamentalisme musulman.

[ SOURCE : Mediapart, “Entre homophobie et façade gay-friendly, le double jeu du RN”, 14 janvier 2024 ]

L’idée est simple : dès que vous devez prendre position sur un sujet qui touche les Juifs, les droits des femmes ou ceux des minorités sexuelles, ne proposez aucun droit nouveau. Pas besoin.

A la place, il suffit d’attaquer le fondamentalisme islamiste et de dire que c’est lui qui menace les juifs, les femmes, les gays, qui vous voulez.

Deux exemples éloquents, en 2016 et 2018.

 

“Derrière le communautarisme et le multiculturalisme […] notre pays vit une période folle qui voit les droits des femmes s’effacer, de plus en plus rapidement, derrière les victoires du fondamentalisme ! Je dis aux Françaises, et à tous ceux qui les aiment pour ce qu’elles sont, qu’elles pourront compter sur moi ! »

[ SOURCE : Discours de Marine Le Pen aux Estivales de Fréjus – le 18 septembre 2016 – 19ème minute ]

« L’homophobie qui se développe dans notre pays a pour origine principale la montée du fondamentalisme islamiste. Vais-je à nouveau être la seule à oser le dire ? »

[ SOURCE : Marine Le Pen – Youtube, “Marine le Pen sur Sud Radio”, 31 octobre 2018, 22ème minute ]

 

Cette recette permet au FN de faire d’une pierre deux coups : casser une image anti féministe, antisémite ou anti LGBT tout en désignant l’ennemi qui cimente sa stratégie et son électorat : la culture musulmane, perçue comme une menace à éliminer.

[ SOURCE : François Debras, “Les discours féministes des partis politiques d’extrême droite”, juin 2023 ]

 

Pour attaquer les musulmans, dire défendre la laïcité

 

Autre recette essentielle de la dédiabolisation made in Marine : ne plus cibler directement les musulmans pour ce qu’ils sont, mais emballer sa critique de signifiants inattaquables comme la République ou la Laïcité.

En 2017, c’est au nom du “droit des femmes” qu’elle propose “d’étendre la laïcité à l’ensemble de l’espace public” comprendre : interdire le voile (mais pas la kippa, allez savoir) dans la rue. 

[ SOURCE : RASSEMBLEMENT NATIONAL, « Harcèlements des femmes dans le quartier La Chapelle-Pajol : la sécurité et l’égalité ne sont pas négociables ! », 19 mai 2017 ]

Bien sûr, celles et ceux qui ont vu nos vidéos sur la laïcité à la française et sur les polémiques sur islam et laïcité savent que cette proposition est contraire à la fois au texte et à l’esprit de la loi de 1905.

La laïcité protège la liberté de vivre sa religion comme on l’entend dans l’espace public, tant qu’on ne nuit pas à celle des autres. S’attaquer au droit de porter un voile ou une kippa sur sa tête en public, c’est s’attaquer à un principe laïc fondamental.

Mais peu de gens pointent ce dévoiement de la laïcité par Marine le Pen. Dans ses discours, elle va de plus en plus souvent présenter ses critiques des musulmans et de leurs pratiques comme une simple défense de la “laïcité” et des “valeurs républicaines”.

[ SOURCE : Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, “Marine Le Pen prise aux mots”, 2015 et François Debras, “Laïcité : outil rhétorique pour l’extrême droite”, mars 2022 ]

 

Des discours de campagne qui se durcissent sur l’immigration (2012-2022)

 

Avec ces évolutions et euphémisations, peut-on savoir si, au total, le discours de Marine le Pen est + ou – radical que par le passé ?

Tout récemment, un travail de recherche a analysé les discours présidentiels de Marine le Pen, en 2012, en 2017 et en 2022, avec à chaque fois un meeting dans un Zénith – le plus gros meeting de la campagne – et un meeting de province.

[ SOURCE : Lucie Vermersch, “Framing Immigration and National Sovereignty in The French Far-Right: Marine Le Pen’s Rhetoric and The Dédiabolisation Strategy”, 2022 ]

Elle a fait ce travail pour un mémoire de science politique de l’université de Chicago, et je dois vous dire : la méthodologie est claire, rigoureuse, c’est vraiment un taff impressionnant, j’suis pas sûr que j’aurais pû faire ça en master. Donc chapeau à Lucie Vermersch.

 

Que nous apprend son travail ?

Lorsqu’on analyse les discours présidentiels de Marine Le Pen, phrase par phrase, tirade par tirade, et qu’on code leur thème et leur radicalité, on constate qu’entre 2012 et 2022, Marine le Pen n’est pas devenue moins radicale dans ses déclarations sur l’immigration et la souveraineté nationale. En fait, 2012 a sans doute été sa campagne la moins extrémiste.”

[ SOURCE : Lucie Vermersch, “Framing Immigration and National Sovereignty in The French Far-Right: Marine Le Pen’s Rhetoric and The Dédiabolisation Strategy”, 2022, pp. 7-8 ]

 

Ca, je pense pas que vous ayez déjà entendu quelqu’un vous le dire 🙂

 

Sur l’immigration, la radicalité de chacune des tirades de Marine le Pen prise isolément a bien diminué un petit peu. Le score moyen de radicalité identifié par la chercheuse passe de 0.51 en 2012 à 0.47 en 2022 pour les passages abordant l’immigration.

On retrouve là la stratégie qui consiste à euphémiser le discours.

[ SOURCE : Lucie Vermersch, “Framing Immigration and National Sovereignty in The French Far-Right: Marine Le Pen’s Rhetoric and The Dédiabolisation Strategy”, 2022, pp. 34-35]

Mais Marine le Pen parle BEAUCOUP plus souvent d’immigration en 2022 (et en 2017) qu’en 2012.

Et elle en parle d’une façon, avec un narratif, qui fait de l’immigration une menace identitaire pour la France et les Français.

Entre 2012 et 2022, Lucie Vermersch mesure une multiplication par 2 du nombre de passages qui présentent l’immigration comme un problème pour le respect des valeurs de la République.

Elle constate aussi une véritable explosion des passages qui parlent de protéger les femmes face à l’islamisme radical.

Pareil, les attaques qui présentent la culture et la religion des immigrés comme des menaces pour la laïcité ont fait plus que doubler

Les tirades sur les immigrés – pardon, l’immigration 🙂 – antisémites qui menaceraient les Juifs ont aussi augmenté entre 2012 et 2017, mais elles ont disparu en 2022. C’était pas dans l’actu.

 

Quand on regarde l’évolution des discours de Marine le Pen, on retrouve toutes les ficelles dont on vous a parlé plus tôt : sous couvert de défense des femmes, des juifs, de la laïcité ou encore des valeurs républicaines, l’immigration est présentée à longueur de discours comme un gros problème, sinon comme le principal problème de la France.0

Honnêtement, c’est un bingo.

 

C’est très important, parce que ça nous permet de comprendre quelque chose de pas forcément intuitif : euphémiser les mots d’un discours, ce n’est pas forcément le rendre moins radical.

Sur l’immigration, si on suit les conclusions de cette étude, les discours de campagne présidentielle de Marine le Pen semblent plutôt s’être durci.

 

Le choix d’une communication lisse : la dame des chats

 

Bon, on progresse dans la stratégie de Marine Le Pen pour dédiaboliser le parti mais toujours pas un mot sur les chats ! Ils arrivent.

Pour se distinguer de son père et donner au Front National une image plus policée, Marine le Pen le sait, elle doit cultiver une image “lisse et proche des gens”.

On a retrouvé ce qui, à notre connaissance, est la première trace de l’amour de Marine Le Pen pour les chats. C’est dans un portrait que Paris Match lui consacre fin 2010.

On  y apprend qu’en vacances en Espagne, elle a décidé de recueillir une chatte abandonnée.

En plus de sa passion pour les chats, Marine Le Pen se présente comme une “bonne copine”, elle veut devenir “Marine” contre “Le Pen”, entendre “son père”.

[ SOURCE : Paris Match, “Marine Le Pen : le nouveau visage de l’extrême droite”, 5 novembre 2010 ]

On y découvre une mère qui fait ce qu’elle peut pour élever ses 3 enfants  “Quand des types comme Gollnisch ou Le Pen rentrent à 2 heures du matin après une émission de télé, ils peuvent dormir le lendemain. Moi, à 7 heures, je suis debout pour m’occuper de leur petit déjeuner.”

Pour paraître cool et dans le vent, elle parle même du régime Dukan – oui oui, si vous en doutiez là c’est sûr, on est bien en 2010.

 

Cet article est un concentré de l’image  “FN dédiabolisé à la sauce Marine” que les médias s’arrachent depuis.

C’est pas nous le disons, c’est Alexandre Dezé, un prof de science politique à l’université de Montpellier qui, en 2015, a montré que de nombreux médias ont repris à fond ce narratif de la “dédiabolisation” : avec articles élogieux, reprise de communiqués de presse et commentaires de sondages très favorables.

[SOURCE : Dezé, “La construction médiatique de la « nouveauté » FN[1]”, in Mediapart Trois générations de chercheurs décortiquent le FN dans un livre-enquête, 26 octobre 2015 ]

Depuis 2015, les médias n’ont pas vraiment changé leur fusil d’épaule. Pour vous en convaincre, on vous invite à lire le super dossier qu’Acrimed – l’association de critique des médias – a consacré au traitement médiatique de la campagne présidentielle de 2022. C’est juste affligeant.

[ SOURCE : Acrimed, “« Le Pen ne fait plus peur » : la faute à qui ?”, 22 avril 2022 ]

Cette image lisse qui passe si bien auprès des médias, le FN fait tout pour la transmettre à ses candidats.

Dans la formation des militants et, surtout, des cadres et futurs candidats FN aux élections, la lecture du panthéon des penseurs d’extrême droite a été remplacée par le media training.

 

 “Au FN, encore dans les années 90 vous étiez un jeune militant vous arriviez à l’université d’été, on vous faisait lire des textes de chaque doctrinaire de chaque courant de l’extrême droite. Un texte de Charles Maurras théoricien royaliste, un texte de Maurice Bardèche théoricien fasciste. On vous donnait une culture générale des extrêmes droites. Après l’an 2000 après l’an 2000 ça s’arrête ça se fait plus. Il n’y a plus de formation sur les courant des extrêmes droites, on vous forme au programme et au média training.

Ce qui fait que ça change complètement la physionomie du Front national c’est plus les mêmes bonshommes parce que pour de vrai ils peuvent pas dire une connerie en ayant cité un théoricien fasciste il le connaissent pas. Bardella n’a pas du tout bénéficié de ce type de formation”  Nicolas Labourg, Historien spécialiste de l’extrême droite. 

[ SOURCE : Au Poste – David Dufrêne, “Entretien avec Maxime Macé et Nicolas Lebourg – RN et groupuscules: et (beaucoup) plus si affinités #Extremorama”, 1er juillet 2024, 67ème minute ]

 

Malgré ces formations, à chaque élection, de nombreux candidats du Front et du Rassemblement National multiplient les déclarations racistes, antisémites ou les preuves manifestes d’incompétence.

Un exemple parmi des dizaines, aux municipales de 2014, où une candidate FN à Rethel dans les Ardennes avait comparé la ministre Christiane Taubira à un singe.

Le FN est parfaitement conscient de la menace que ces candidats font peser sur son narratif de “dédiabolisation”.

Mediapart a prouvé que, au moins en 2017, le FN tenait un fichier où il recensait scrupuleusement l’expression numérique de ces potentiels candidats, leurs posts facebook, twitter, etc., pour vérifier qu’ils ne sortaient pas trop de dingueries.

[ SOURCE : Mediapart, “Législatives: comment le Front national a fiché ses candidats”, 14 janvier 2018 ]

Malgré cette attention, malgré ce contrôle, encore tout récemment, aux législatives de 2024, il suffisait de gratter un peu le vernis du média training et de la dédiabolisation sur les candidats RN pour que les vieux démons ressurgissent.

On a eu droit, entre autres,  à une casquette de Waffen SS, à des posts racistes, à un curée de couleur ou à un l’ophtalmo juif

France 3 et la presse locale ont particulièrement enquêté et relayé ce passé sulfureux des candidats, mais pour l’essentiel les grandes voix médiatiques nationaux s’en sont tenus aux narratif de la “dédiabolisation” servi par Marine le Pen et le RN.

[ SOURCE : Acrimed, “« Le Pen ne fait plus peur » : la faute à qui ?”, 22 avril 2022 ]

 

Et pourtant, des limites, il y en a, et pas que dans les profils facebook des candidats.

 

La radicalité qui reste : xénophobie et lutte contre l’immigration

 

On l’a vu, il y a bien eu, sur l’antisémitisme ou sur certaines questions de société, une certaine déradicalisation.

Mais pour juger de l’évolution du Rassemblement National, et notamment de son caractère d’extrême droite, il faut aussi regarder l’évolution des positions de Marine Le Pen sur l’immigration et les étrangers.

Mais le programme du FN sur l’immigration et les droits des étrangers s’est-il dé-radicalisé ?

 

Un programme radical sur l’immigration, les étrangers et leurs enfants

 

Et bien non, le programme sur l’immigration est resté largement inchangé depuis que Marine le Pen est à la tête du FN.

Aux présidentielles de 2022, le programme du RN prévoyait toujours de supprimer le droit du sol, de supprimer le droit au regroupement familial, d’enlever la carte de séjour aux étrangers qui n’avaient pas travaillé depuis 1 an, même s’ils vivaient en France depuis 15 ou 20 ans, Y avait aussi la suppression des aides sociales pour les étrangers qui travaillaient en France depuis moins de 5 ans.

On avait aussi la priorité nationale pour dans l’emploi et les HLM – ça veut dire pas de logement pour un travailleur étranger pauvre et sa famille si un Français de classe moyenne en veut. Y avait aussi la suppression de l’Aide médicale d’Etat pour les étrangers.

Pour les musulmans, on avait l’interdiction du foulard dans l’espace public – mais encore une fois pas la kippa.

Le programme du RN de 2022 prévoyait aussi de criminaliser le fait d’aider un immigrant en situation irrégulière, ou d’affaiblir le droit d’asile en acceptant uniquement de traiter les demandes faites hors de France.

[ SOURCES : Rassemblement national, “22 mesures pour 2022” et “Livrets Thématiques 2022” ]

 

L’esprit général de toutes ces mesures reste le même : chercher à décourager le plus possible l’immigration, et à rogner sur les droits des étrangers en France.

Cet inventaire n’est pas exhaustif. On pourrait développer chaque point pour discuter de ses implications. Mais vous pouvez retenir que sur l’immigration, la dédiabolisation se cantonne à la com’. Le programme, lui, reste proche de celui que défendait Jean-Marie.

 

Seule évolution notable : en 2022, Marine le Pen a abandonné l’interdiction de la double nationalité pour  “seulement” interdire certains emplois aux binationaux.

Pendant les législatives de 2024, cette mesure a fait polémique – on a expliqué pourquoi dans cette vidéo – et Jordan Bardella a tout fait pour en minimiser la portée.

Marine le Pen a aussi lâché pendant la campagne sur l’interdiction du port du voile en public, une mesure clairement anti laïque et anticonstitutionnelle.

[ SOURCE : Le Monde, “Marine Le Pen n’assume plus de vouloir interdire le port du voile”, 18 avril 2022 ]

 

Mais la dédiabolisation trouve là ses limites. Il y a un pan entier du programme du FN que Marine le Pen a conservé, celui qui vise l’immigration et les droits des étrangers.

Si ni le programme ni les discours durs de Marine le Pen sur l’immigration n’ont remis en cause l’image de plus en plus “dédiabolisée” de Marine le Pen, serait-ce parce qu’entre 2012 et 2017, une partie du système médiatique et politique, une partie de la société française peut-être, s’est rapprochée des positions du RN sur ces sujets ?

 

RN et droite LR : la fin du cordon sanitaire ?

 

Malgré tous les efforts de dédiabolisation de Marine le Pen, le “cordon sanitaire” qui empêche le RN de s’allier avec la droite n’a pas encore disparu.

Certes, le patron des LR, Eric Ciotti, a rallié Le Pen pour les législatives de 2024. Mais presque aucun cadre du parti ne l’a suivi.

Quand on lit le programme du RN sur l’immigration, on pourrait croire naïvement que c’est cette radicalité qui pose problème à la droite “républicaine”.

Mais quand on observe l’évolution des positions des Républicains sur l’immigration, on voit qu’ils sont de plus en plus proches de celles du RN.

Cela s’est manifesté de manière éclatante lors du vote de la “Loi Immigration” de 2023. Délit de séjour irrégulier, durcissement du droit du sol et du regroupement familial, délai de 5 ans pour que les étrangers aient droit aux aides sociales, le RN et LR ont négocié et voté ensemble un texte tellement dur qu’il était largement anticonstitutionnel.

[ SOURCE : Europe 1, “Loi immigration : ce que contient le texte adopté par le Parlement”, 20 décembre 2023 et Politis, “La loi immigration adoptée, l’union des droites et de l’extrême droite entérinée”, 20 décembre 2023 ]

 

De manière générale, sur les sujets culturels, et notamment sur l’immigration et le rapport aux musulmans, l’électorat LR est de plus en plus proche de l’électorat RN.

C’est ce que montre une enquête menée entre 2010 et 2020 par la Fondation Jean Jaurès.

[ SOURCE : Fondation Jean Jaurès, “2022 : Évaluation du risque Le Pen”, 21 avril 2021 ]

Quand on demande à des électeurs LR s’ils pensent que l’islam veut imposer son mode de fonctionnement à la société, ils répondent oui exactement dans les mêmes proportions que les électeurs RN. Ils sont impossible à distinguer.

Les électeurs RN sont encore 10 points au dessus des LR quand on leur demande s’il y a trop d’étrangers en France, ou si l’Islam est compatible avec la société française, mais l’écart ne fait que diminuer.

Malheureusement, l’étude s’arrête en 2020, avant la candidature Zemmour, avant que Cnews et Europe 1 deviennent des médias au service du projet de Vincent Bolloré de créer les conditions d’une réunion de la droite et de l’extrême-droite.

Il n’est pas impossible que la convergence entre ces deux électorats soit encore plus proche aujourd’hui.

 

D’autant plus que sur l’économie aussi, les programmes du RN et de LR sont de plus en plus difficiles à distinguer.

Après l’échec de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen a décidé de normaliser les positions économiques du parti. Plus question de Frexit ou de sortie de l’euro, le parti doit devenir respectable et cesser d’effrayer l’électeur de droite.

Florian Philippot – qui était à l’origine de cette stratégie eurosceptique – est débarqué. Pour ne plus effrayer la ménagère, le Front National est rebaptisé “Rassemblement national” et le nouveau dauphin de Marine sera Jordan Bardella – un gendre idéal à l’image lisse.

 

Aux législatives de 2024, le RN joue à fond la carte du sérieux budgétaire : pour rassurer Bruxelles et les marchés, Bardella s’est engagé à faire un audit des comptes publics et à ne pas laisser filer le déficit.

Exit donc les augmentations de salaires pour les enseignants, il n’est plus certain non plus de revenir sur la retraite à 64 ans de Macron. Les baisses ou suppression de TVA sur le fioul ou sur les produits de première nécessité ne sont plus à l’ordre du jour.

[ SOURCE : Libération, “Réforme des retraites, fiscalité, augmentation des salaires des profs : la liste des renoncements du RN avant les législatives s’allonge”, 18 juin 2024 ]

 

Marine Le Pen semble entrer dans la dernière phase de sa stratégie de “dédiabolisation” : avec les reculades sur l’économie, l’abandon du gros de son programme “social”, et les convergences sur l’islam et l’immigration, plus grand chose ne s’oppose à ce que l’électorat de droite porte la candidate RN jusqu’à l’Elysée.

D’autant plus qu’à l’Assemblée Nationale, le RN continue de jouer la carte de la respectabilité, en acceptant un gouvernement Barnier négocié avec Macron. Barnier avait, pour plaire au RN, de ne pas avoir appelé à un vote de Front républicain.

 

Mais bien sûr, rien n’est écrit : nous verrons les positionnements respectifs du RN et de la droite à la présidentielle de 2027, ou aux éventuelles législatives de 2025. On peut aussi se demander jusqu’où le RN pourra droitiser son programme économique sans risquer de perdre son électorat populaire. Si, pour s’allier avec la droite, “le social” se résume à ce qui peut être financé en enlevant des droits aux étrangers, ça peut vite faire un peu léger.