Après Gaza, comprendre le projet colonial d'Israël en Cisjordanie - Partie 1 - Osons Comprendre

Après Gaza, comprendre le projet colonial d'Israël en Cisjordanie - Partie 1

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Après les massacres du 7 octobre 2023 et la guerre très destructrice d'Israël en réponse, les regards se sont tournés vers la bande de Gaza en ruines. C'est bien normal. Mais ce qui se joue actuellement en Cisjordanie est aussi très important. Pour comprendre les enjeux actuels du conflit israélo-palestinien, il faut absolument comprendre le projet colonial d'Israël en Cisjordanie, sa profondeur historique, politique. Avec cette vidéo, on va saisir à quel point la société israélienne est embarquée dans un des derniers projets de colonisation de peuplement du XXIème siècle.

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Points clés

A venir d’ici quelques semaines – ma femme vient d’accoucher 🙂
(Ludo)

Sources et références

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Introduction :

 

Depuis les massacres du 7 octobre et les bombardements israéliens qui ont rasé Gaza, le conflit Israélo-palestinien est revenu au centre de l’attention mondiale.

Aujourd’hui, tous nos regards se portent sur la bande de Gaza, avec ses dizaines de milliers de morts et disparus – en majorité des femmes et des enfants – et ses 2 millions de réfugiés qui errent parmi les ruines.

Le sort des Gazaouis n’a jamais été aussi précaire, soumis aux plans de nettoyage ethnique de Trump et de l’extrême-droite israélienne au pouvoir. Mais dans cette vidéo, on ne va pas du tout parler de Gaza.

On va vous parler d’une autre partie de la Palestine qui reste beaucoup trop dans l’ombre, alors que ce qui s’y passe est d’une importance capitale : j’ai nommé la Cisjordanie.

La Cisjordanie, avec Jérusalem-Est, c’est près de 60% de la population de Palestine, mais c’est surtout 94% des territoires palestiniens.

[ SOURCE : Population : Palestinian Central Bureau of Statistics, population à la fin 2022 ]

 

L’armée israélienne a occupé la Cisjordanie en 1967, pendant la Guerre des Six Jours.

A l’époque, elle est peuplée quasi uniquement de Palestiniens, des arabes musulmans, des chrétiens, ou encore des bédouins. Il y a tout au plus quelques centaines de Juifs.

Après la guerre, l’ONU demande à Israël de se retirer des territoires occupés, et notamment de la Cisjordanie. C’est la célèbre résolution 242 de l’ONU.

[ SOURCE : ONU, Résolution 242 du 22 novembre 1967 ]

 

Mais bientôt 60 ans plus tard, Israël n’a jamais cessé son occupation militaire. Au contraire, année après année, Israël s’est approprié les ressources et le territoire cisjordaniens, avec une arme et un projet : la colonisation de peuplement. Aujourd’hui, il y a un demi-million de colons israéliens en Cisjordanie. C’est 1 habitant sur 7.

[ SOURCE : Peace Now, “Settlements Maps 2024” ]

 

Peu de gens savent que plus de 60% de la Cisjordanie est restée depuis 1967 sous le contrôle total et permanent d’Israël, malgré les négociations et les processus de paix. Le territoire plus ou moins sous contrôle palestinien, lui, ressemble à un confeti.

[ SOURCE : B’Tselem & Forensic Architecture, “Conquer and Divide – Map”, 2018 ]

Dans cette vidéo, on va voir comment, pendant des décennies, l’Etat d’Israël a organisé méthodiquement la colonisation de ce territoire occupé. Cette colonisation systématique a bien évidemment rendu beaucoup plus difficile la création d’un Etat palestinien viable.

Vu de loin, on peut croire que la colonisation israélienne est un projet de droite, voire d’extrême droite. Mais en réalité, le projet colonial israélien est largement transpartisan. La colonisation de la Cisjordanie a même commencé sous la gauche israélienne.

Aujourd’hui, les colons israéliens ont les mêmes droits, les mêmes services publics que les autres israéliens. Ils ont leurs routes sécurisées, et vivent pour la plupart tellement séparés et protégés des Palestiniens qu’ils en oublient même qu’ils s’approprient le territoire d’un autre peuple, et qu’ils ne sont pas “en Israël”.

 

Dans cette vidéo, on va comprendre à quel point la colonisation est normalisée dans la société israélienne.

Au pouvoir en Israël, Netanyahu a fait alliance avec une extrême-droite religieuse messianique, ultra radicale, et très forte dans les colonies. Bien avant les massacres du 7 Octobre, cette coalition d’extrême-droite a accéléré la colonisation, et les violences contre les Palestiniens en Cisjordanie ont littéralement explosé. Aujourd’hui, Netanyahu et ses alliés veulent profiter de la complicité de Trump pour annexer purement et simplement une partie la plus large possible de la Cisjordanie.

Sans pression internationale, la situation risque fortement de dégénérer dans les prochains mois et les prochaines années.

C’est pour cela qu’on vous propose cette vidéo aujourd’hui. Comprendre l’Histoire, la profondeur du projet colonial israélien, ses méthodes et ses soutiens politiques, c’est nécessaire pour ouvrir les yeux sur la situation telle qu’elle est. Et puis, pour agir.

 

Partie 1 : Une colonisation de peuplement en Cisjordanie

 

1967-1977 : la gauche israélienne démarre la colonisation

 

Le projet colonial israélien n’a pas commencé aujourd’hui. Le projet sioniste de création d’un foyer juif en Palestine se présentait lui-même explicitement comme colonial.

Si vous voulez en savoir plus sur les origines du sionisme, la création d’Israël et la première guerre israélo-arabe en 48, et sur la Nakba, le déplacement forcé de centaines de milliers de Palestiniens, on y a consacré toute une vidéo, la première de notre série sur le conflit.

[ SOURCE : Henry Laurens, La Question de Palestine – Tome 3 – L’accomplissement des prophéties (1947-1967), 2007, p.272 ]

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’encore aujourd’hui, c’est la guerre de 1948 qui fixe les frontières entre la Palestine et Israël selon le droit international.

Pour l’ONU et le droit international, voilà les frontières légitimes d’Israël et de la Palestine avec, ça ne se voit pas sur la carte, un partage de Jérusalem : l’ouest à Israël, l’est à la Palestine.

 

Ces frontières ont été totalement balayées par la deuxième guerre israélo-arabe, la Guerre des Six Jours. En juin 1967, craignant une attaque imminente de ses voisins arabes menée par l’Egypte de Nasser, Israël prend l’initiative. Elle attaque la première et, grâce à l’effet de surprise et à l’efficacité de son aviation, Israël remporte une victoire écrasante.

On raconte les enjeux de cette guerre, mais aussi de la guerre du Kippour et de la guerre du Liban dans la deuxième vidéo de notre série, Comment Israël a dominé sa région ?

Après la “Guerre des 6 jours”, Israël atteint son extension territoriale maximale.

Il conquiert le Sinaï égyptien, le Golan syrien mais aussi la Cisjordanie et Jérusalem-Est

Israël exerce alors un contrôle TOTAL sur la Palestine, et procède à une nouvelle expulsion massive des Palestiniens.

 

Durant la guerre, 250 000 Palestiniens – soit environ 20%  de la population de l’époque –  sont chassés de Palestine.

[ SOURCE : Henry Laurens, La Question de Palestine – Tome 4 – Le rameau d’olivier et le fusil du combattant (1967-1982), 2011, p.45 et UN, Population and demographic developments in the West Bank and Gaza Strip until 1990, 1994, Chapitre 1, A. 9

L’historien Nur Masalha raconte que les autorités israéliennes font alors signer un document aux expulsés affirmant que leur départ était “volontaire”.

[ SOURCE : Nur Masalha, The Politics of Denial, 2003, p.203 ou 208 via Orient XXI ]

Israël a ensuite empêché le retour de ces réfugiés. 90% n’ont jamais pu rentrer chez eux.

[ SOURCE : Henry Laurens, La Question de Palestine – Tome 4 – Le rameau d’olivier et le fusil du combattant (1967-1982), 2011, pp. 67-68 ]

Ces expulsions ne se sont pas faites au hasard. La vallée du Jourdain, grenier agricole de la région et zone tampon cruciale pour se défendre d’une attaque jordanienne a été vidée de 88 % de sa population palestinienne.

[ SOURCE : Henry Laurens, La Question de Palestine – Tome 4 – Le rameau d’olivier et le fusil du combattant (1967-1982), 2011, p.45 ]

 

Depuis 1967, les frontières d’Israël ont pas mal bougé.

En 1979, le traité de paix avec Israël permet à l’Egypte de reprendre le Sinaï et le précieux contrôle qu’il offre sur le canal de Suez.

En 1980-81, Israël décide unilatéralement d’annexer le Golan syrien et Jérusalem Est. A partir de cette date, l’Etat hébreu va considérer, à rebours de tout le droit international, ces territoires comme faisant partie d’Israël.

 

Enfin, en 2005, le gouvernement de droite d’Ariel Sharon se retire de la bande de Gaza.

8000 colons israéliens sont expulsés.

[ SOURCE : i24 News, “’Ariel Sharon designed 2005 Gaza disengagement to save West Bank settlements’”, 16 août 2015 ]

En 2007, après la victoire du Hamas aux élections de Gaza, Israël décide d’un blocus tellement complet que la bande de Gaza prend le surnom de “prison à ciel ouvert”.

Maintenant qu’on a en tête les modifications des frontières depuis 1967, on va pouvoir se concentrer sur notre sujet du jour : la Cisjordanie.

 

Après la Guerre des Six Jours, les Israéliens sont face à une question : que faire de la Cisjordanie ?

Le droit international est clair : Israël doit se retirer des territoires occupés lors du récent conflit. C’est ce qu’affirme la célèbre résolution 242 de l’ONU.

[ SOURCE : ONU, Résolution 242 du 22 novembre 1967 ]

Pourtant, la gauche travailliste à l’époque au pouvoir décide de conserver l’ensemble de la Cisjordanie sous contrôle militaire.

C’est pas comme aujourd’hui, à l’époque, les Palestiniens de Cisjordanie étaient libres de circuler, et d’aller et venir librement en Israël, sauf de 1h à 5h du matin.

[ SOURCE : Yael Berda, “Living Emergency: Israel’s Permit Regime in the Occupied West Bank”, 2017, pp.20-21 ou 28-29 pdf ]

 

Malgré ces relatives libertés pour les Palestiniens, la gauche promeut une colonisation nationaliste, sécuritaire et laïque de la Cisjordanie.

[ SOURCE : Omer Bertov, “Chronique d’une radicalisation. Ce que l’occupation fait à Israël – Entretien à la revue Conditions”, 28 octobre 2024 ET Henry Laurens, “La Question de Palestine – Tome 4 – Le rameau d’olivier et le fusil du combattant (1967-1982)”, 2011, pp.143 et sq. ; 271 et sq. et ]

 

Le vice premier ministre rédige même un plan à son nom, le plan Allon, qui prévoit d’annexer une grande partie de la Cisjordanie, et de donner le reste des territoires palestiniens à la Jordanie. Ce plan n’est toutefois pas appliqué, la Jordanie mettant son véto au projet.

[ SOURCE : Henry Laurens, “La Question de Palestine – Tome 4 – Le rameau d’olivier et le fusil du combattant (1967-1982)”, 2011, pp.150-153 et p.348 ]

Avec cette première colonisation sous pilotage travailliste, on a de premières exactions sérieuses.

Récemment, il a été révélé que Golda Meir, première ministre de gauche des années 70, a conduit une politique d’empoisonnement de certaines terres agricoles en Cisjordanie afin d’en chasser les fermiers palestiniens.

Et oui, elle a réussi à donner vie à un des pires clichés antisémites : l’empoisonnement des puits.

[ SOURCE : Haaretz, Israel Poisoned Palestinian Land to Build West Bank Settlement in 1970s, Documents Reveal 23 juin 2023 ]

Cela dit, sous les gouvernements travaillistes, les colons restent peu nombreux. En 1977, il y a tout juste 4400 israéliens qui vivent dans 36 colonies.

[ SOURCE : Nombre de colonies : Ann Mosely Lesch – Israeli Settlements in the Occupied Territories, 1967-1977 p.9 ]

Ces colonies sont soutenues par l’Etat, elles jouent un rôle d’avant-poste militaire et de colonies agricoles, notamment dans la vallée du Jourdain.

 

Si les colons restent rares en Cisjordanie, à Jérusalem Est ce n’est absolument pas le cas.

Pour la gauche, l’Etat juif doit s’étendre dans sa capitale millénaire. Sous les gouvernements travaillistes, une douzaine de banlieues dortoirs sont construites et en 1977, elles accueillent déjà 50 000 colons.

[ SOURCES : B’Tselem, LAND GRAB, Israel’s Settlement Policy in the West Bank, Mai 2002, p. 11 ]

 

Après 1977, la colonisation s’accélère avec la droite

 

En 1977, la droite arrive au pouvoir pour la première fois en Israël, avec la victoire du Likoud.

La droite israélienne est résolument opposée à l’idée d’un Etat palestinien. Pour elle, la Cisjordanie n’existe même pas. Elle a vocation à être intégrée dans un “Grand Israël”, “de la mer au Jourdain”

Les motivations de l’époque sont clairement plus nationalistes que religieuses. La droite veut étendre au maximum les frontières d’Israël pour le contrôle des ressources et la puissance du pays bien plus que parce que c’est écrit dans la Torah et le Talmud.

Les grands dirigeants de l’époque, Menahem Begin, Yitzak Shamir et Ariel Sharon sont tous passés par la lutte armée et même, pour Begin et Shamir, par le terrorisme. Il sont clairement “extrêmes” dans leur prétention à étendre Israël mais n’ont rien de religieux.

C’étaient des ultra nationalistes sionistes … laïcs.

 

Cette droite a vite compris que la colonisation de la Cisjordanie l’aiderait à se l’approprier, et à empêcher les Palestiniens d’en faire leur État.

[ SOURCE 2 : B’Tselem, LAND GRAB, Israel’s Settlement Policy in the West Bank, Mai 2002, pp. 13-14 ]

Le gouvernement a même élaboré un plan, le “Plan 100 000” pour arriver le plus vite possible à 100 000 colons en Cisjordanie.

[ SOURCE  : B’Tselem, LAND GRAB, Israel’s Settlement Policy in the West Bank, Mai 2002, p. 14 ]

Difficile de faire plus explicite. L’objectif n’a pas été atteint mais, entre 1977 et 1986, la population des colonies en Cisjordanie est multipliée par 13, passant d’un peu plus de 4000 à 53 000.

Qui sont ces dizaines de milliers de nouveaux colons ?

Certains sont des “faucons sécuritaires laïcs”. Ils fondent la colonie Ariel en 1978, qui est aujourd’hui la plus gosse colonie enfoncée au milieu du territoire palestinien.

[ SOURCE : New York Times, “A West Bank Enclave Is on Edge”, 9 septembre 2010 & B’Tselem, “Land Grab”, 2002, pp.113 et sq  ]

 

D’autres colons viennent du mouvement fondamentaliste messianique Gush Emunim, le “bloc de la foi”, fondé en 1974.

 

Même si la droite nationaliste du Likoud n’était pas particulièrement “religieuse”, elle a utilisé cet élan “religieux” pour accélérer la colonisation.

En 1977, le tout fraîchement élu premier ministre de droite Menahem Begin s’est rendu à Kedumim, une colonie illégale fondée  par les sionistes religieux de Gush Emunim. Il a déclaré : “Nous nous tenons ici sur la terre d’Israël libérée.” et a promis que d’autres colonies suivront dans les environs.

[ SOURCE : Allan Gerson, “Israel, the West Bank and international law”, 1978, p.150 ]

 

Le père spirituel du Gush Emunim, c’est le rabbin Zvi Yehouda Kook, fils du Rabbi Kook, un personnage absolument essentiel pour comprendre l’extrême-droite religieuse israélienne aujourd’hui.

[ SOURCE : Charles Enderlin, “Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)”, 2013, pp. 44-45 ]

 

Très tôt, ce rabbin interprète la Torah d’une manière totalement nouvelle.

Depuis des siècles, les rabbins disaient que les Juifs devaient attendre le retour du Messie et le don d’Israël aux Juifs par Dieu, à la fin des temps.

[ SOURCE : voir par exemple : Collu Moran, “Le sionisme et le retour à la terre”, Transversalités, 2011 ]

 

Mais le rabbin Kook dit que c’est le contraire : les Juifs doivent conquérir Israël tout entier, si besoin par la force militaire, et c’est cette conquête elle-même qui déclenchera le retour du Messie. C’est l’invention d’un sionisme religieux messianique.

[ SOURCE : Charles Enderlin, “Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)”, 2013, p. 13 et pp. 27-29 ]

Avant la guerre des 6 jours, Kook était ultra marginal, ses idées étaient cantonnées à quelques écoles religieuses.

Mais la victoire éclatante de 1967, et la conquête éclair d’un très large territoire, d’un “Grand Israël”, a suscité dans le pays un élan messianique qui a donné des ailes aux courants messianiques du rabbin Kook.

[ SOURCE : Charles Enderlin, “Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)”, 2013, pp. 31-32 ]

 

Ce sionisme messianique fondamentaliste, c’est aujourd’hui l’idéologie du ministre des finances de Netanyahu, Bezalel Smotrich, lui-même colon et chef du “parti sioniste religieux”.

Cette lecture messianique de la religion juive a infusé bien au-delà de l’extrême-droite. Elle est de plus en plus implantée dans le Likoud, et est devenue de plus en plus mainstream dans la société israélienne.

On y reviendra un peu plus tard. Pour l’instant, on est au début des années 1990. Les travaillistes reviennent au pouvoir, avec Itzhak Rabin, et le projet de grand Israël de la droite israélienne est menacé.

 

Les accords d’Oslo entre Rabin et Arafat

 

Au début des années 90, Rabin et Arafat démarrent un processus de paix, sous le haut patronage de Bill Clinton, président des Etats-Unis.

A cette époque là, l’URSS vient de s’effondrer, les Etats-Unis sont au sommet de leur influence et se rêvent les “gendarmes du monde”.

 

Autre trait de l’époque nos 3 acteurs – Rabin, Arafat et Clinton, viennent tous de la gauche ou du centre-gauche laïque.

Oui, ça n’a pas grand chose à voir avec Netanyahu, Trump et le Hamas.

 

La logique des négociations menées à Oslo en 1993, c’est la paix pour Israël, contre le retrait des territoires palestiniens occupés.

Pour cela, Arafat reconnaît l’existence de l’Etat d’Israël, et Rabin reconnaît que l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine, est le représentant légitime des Palestiniens.

La poignée de main entre Rabin et Arafat qui scelle les accords d’Oslo est restée iconique

Ces Accords se donnent l’objectif d’un retrait progressif de l’armée israélienne en Cisjordanie. Ils ne sont qu’un premier pas mais au moins, le retrait israélien est à l’horizon. L’état d’esprit d’Oslo est évident. il est venu le temps de faire la paix.

 

La droite menée – déjà – par Netanyahu, et l’extrême-droite sont furieuses et déclenchent une campagne ultra violente contre Ytzhak Rabin.

Pour Netanyahu, en renonçant au Grand Israël et en reconnaissant l’OLP, les Accords d’Oslo, loin d’assurer la sécurité de l’Etat juif, sont un nouveau Munich.

Ils signent le “début de la destruction de l’Etat d’Israël” qui pourrait mener à un nouvel Holocauste (p. 484). En le signant, et là je cite Netanyahu, Rabin est un “traître au sionisme, au judaïsme et à Israël”.

[ SOURCES : Henry Laurens, La question de Palestine – Tome 5 – La Paix impossible 1982-2001, 2015, pp.469, 484 & 525  & Charles Enderlin, Au Nom du temple. Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), 2013, pp. 134-135 ]

Rabin est habillé en SS, et sa tête est imprimée au centre d’une cible de sniper.

 

A la télé, une jeune colon excité, qui tient dans sa main l’insigne qu’il a arraché à la voiture de Rabin, menace : « Nous avons eu sa voiture, et nous l’aurons lui aussi »

[ SOURCE : Le Monde, Ben Gvir, le mauvais génie de la droite israélienne, 3 novembre 2022 ]

Cet extrémiste qui menace Rabin dans le plus grand des calmes, c’est pas n’importe qui.

C’est Itamar Ben Gvir, le ministre de la sécurité nationale de Netanyahu entre 2022 et début 2025. On le retrouvera un peu plus tard.

 

Début 1994, la violence franchit un cap : un colon radicalisé, Baruch Goldstein, s’introduit armé et en uniforme militaire, dans le tombeau des Patriarches – lieu saint de Hébron, commun au judaïsme et à l’islam – et fusille les croyants Palestiniens qui y priaient. Bilan, 29 morts, dont plusieurs enfants, et 125 blessés. Un vrai carnage.

[ SOURCE : Henry Laurens, La question de Palestine – Tome 5 – La Paix impossible 1982-2001, 2015, pp.518 et sq. & Charles Enderlin, “Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)”, 2013, pp 141 et sq. ]

L’assassin est enterré à Kyriat Arba, une colonie fondée par Goush Emounim à la lisière d’Hébron. Et là, Le rabbin qui assure les funérailles ne condamne pas du tout l’assassin. Au contraire, il bénit le tueur et déclare qu’il a agi “au nom de Dieu”.

[ SOURCE, Charles Enderlin, “Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)”, 2013, p.143 & Mediapart, “À Kiryat Arba, laboratoire du sionisme religieux : « Ben Gvir nous représente tous ! »”, 18 mars 2023 ]

Et oui, le fondamentaliste religieux meurtrier ne se trouve malheureusement pas seulement du côté du Hamas.

Le Hamas, parlons-en. Avec le Jihad islamique, ces mouvements sont tout aussi hostiles aux Accords d’Oslo que la droite israélienne et les colons. Ils lancent des vagues d’attentats aussi bien contre la puissance occupante israélienne que contre les partisans d’Arafat. Leur but : retourner par la violence les opinions publiques contre la paix.

[ SOURCE : Henry Laurens, La question de Palestine – Tome 5 – La Paix impossible 1982-2001, 2015, pp 542-543, 576-578, 585-586 et 590-592 ]

 

Cette danse à deux des extrémistes israéliens et palestiniens culmine en 1995, avec l’assassinat d’Yzhac Rabin.

Rabin a été tué en plein meeting de 3 balles tirées par Yigal Amir, un étudiant israélien de 25 ans radicalisé d’extrême droite.

[ SOURCE : Henry Laurens, La question de Palestine – Tome 5 – La Paix impossible 1982-2001, 2015, pp.620. et sq.]

 

Là, je vous donne une anecdote peu connue, racontée par l’excellent journaliste israélien Charles Enderlin : l’assassin de Rabin était présent le jour des funérailles du terroriste du tombeau des Patriarches, et selon lui, c’est ce jour-là qu’il a décidé d’assassiner Rabin “Au nom de Dieu”.

[ SOURCE : Charles Enderlin, ‘Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013), 2013’, p.143 ]

 

Conséquence de ces vagues de terreur et d’assassinats : alors qu’à la signature des accords d’Oslo, seulement 31% des israéliens y était opposés (p.138), quelques mois plus tard, la société israélienne se raidit, et remet la droite israélienne au pouvoir.

[ SOURCE : Charles Enderlin, “Au Nom du temple – Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif (1967-2013)”, 2013, p.138 ]

 

Dès 1996, c’est le retour du Likoud, et pour la première fois, Netanyahu devient premier ministre.

 

Ce qui reste d’Oslo après Rabin

 

Contrôle israélien de la zone C, 61% de la Cisjordanie

 

La droite n’a pas tout jeté des accords d’Oslo. De ces accords, elle a gardé la partition de la Cisjordanie en 3 zones, A, B et C.

[ SOURCE : B’Tselem & Forensic Architecture, “Conquer and Divide – Map”, 2018 ]

 

Ce découpage devait être provisoire, mais ce provisoire dure maintenant depuis 30 ans. Qu’est-ce que c’est que ces zones A, B, C ?

A Oslo, Israël a concédé à l’autorité palestinienne le contrôle civil ET militaire de la zone A, qui correspond aux grosses villes palestiniennes : Hébron, Naplouse, Jénine et Ramallah.

 

Dans la zone B, en gros les villages et communes rurales palestiniens, l’autorité palestinienne a le contrôle civil mais partage le contrôle militaire avec Israël.

 

Dans la zone C, tout le contrôle est israélien.

[ SOURCE Définies par Accord intérimaire de 1995 “Oslo 2” 24/12/1995 Israeli-Palestinian Interim Agreement on the West Bank and the Gaza Strip (a.k.a. “Oslo II”) Article XII ]

 

Initialement, la zone C représentait pas loin des 3/4  de la Cisjordanie, mais en 1998, avec les accords de Wye Plantation, Bill Clinton a forcé Netanyahu à rendre un peu du territoire aux Palestiniens. Depuis, la zone C ne fait plus “que” 61% de la Cisjordanie.

 

C’est la situation actuelle, telle que figurée dans la carte.

Le zonage est établi avec une logique claire : Israël a gardé le contrôle d’un maximum de territoire, contenant un minimum de Palestiniens.

Avec la zone C, Israël contrôle intégralement 61 % de la Cisjordanie, avec seulement 3% de sa population arabe de l’époque (statistiques de 99).

[ SOURCE : Amnesty International, Israel and the Occupied Territories: The Demolition and Dispossession of Palestinian Homes, Décembre 1999, p.10 ou 12 ET Zimmerman et. al., “The Million Person Gap: The Arab Population in the West Bank and Gaza”, 2006 Figure 4.1 p.40  ]

 

… une zone C riche en ressources

 

La zone C donne à Israël le contrôle sur des ressources naturelles importantes.

D’abord, les terres agricoles. La zone C concentre 63% des ressources agricoles de la Cisjordanie, dont certaines comptent parmi les plus fertiles et les meilleures pour le bétail.

[ SOURCE : United Nations Conference on Trade and Development, The Besieged Palestinian Agricultural Sector, 2015, p.23 ]

Pour Israël, la zone C, c’est les terres arables, sans les arabes.

 

Côté palestinien, même sur les terres agricoles qu’ils contrôlent, c’est compliqué : seulement 2.3% des terres cultivées en Cisjordanie sont irriguées – le reste dépend de l’eau de pluie pour pousser – car les Palestiniens manquent d’eau. On verra plus tard qu’Israël n’y est pas pour rien.

[ SOURCE : United Nations Development Programme, Agriculture in area C, 2015 p.36 ]

 

La zone C contient aussi des ressources minérales, notamment dans les boues de la mer morte, très riches en potasse, en brome ou encore en magnésium. Les Palestiniens n’ont aucun accès à ces ressources, qu’Israël va exploiter à son bénéfice.

[ SOURCE : World Bank, Area C and the future of the Palestinian economy, 2014, pp. 21-22 ]

Dans cette zone C entièrement sous son contrôle, Israël va mettre en place une double politique : exclure au maximum les Palestiniens, et la transformer en prolongement d’Israël, peuplé de colons israéliens.

 

Une colonisation massive en zone C

 

Depuis les années 90, Israël a traité la Zone C – et Jérusalem-Est annexé en 1980 – comme si elles faisaient partie du territoire israélien.

Voici la carte des colonies israéliennes aujourd’hui.
[ SOURCE : Peace Now, “Settlements Maps 2024” ]

Chaque point rouge, c’est 1000 colons israéliens. Il y en a un peu partout dans la zone C, mais la grande majorité se concentrent le long de la frontière avec Israël et particulièrement autour de Jérusalem.

Deux exceptions notables qu’on a déjà évoqués : la ville d’Ariel, avec ses 20.000 habitants en plein milieu du territoire palestinien, et les 8000 colons de Kiryat Arba à Hébron, très liés aux messianiques religieux extrêmistes de Goush Emounim.

 

Au total, il y a environ 710.000 colons israéliens : 233 600 colons à Jérusalem Est et 478 600 en Cisjordanie. 

[ SOURCE : Israeli Bureau of Statistics via Peace Now, “Data – Population & Jerusalem”, 2024 ]

 

En Cisjordanie, les colons représentent aujourd’hui 14 % de la population. Pour vous donner un point de comparaison, en 1954, à l’apogée de la colonisation française de peuplement en Algérie, les 980 000 “européens”, comme on les appelait, ne représentaient “que” 10 % de la population en Algérie.

[ SOURCE : Centre de documentation historique sur l’Algérie, L’évolution démographique de l’Algérie Française et ses conséquences, Table 2 ]

La colonisation israélienne de la Cisjordanie est donc un phénomène absolument massif, et il n’a rien de spontané.  Elle a été organisée et soutenue directement par l’Etat d’Israël pendant des décennies, par la droite et l’extrême-droite, mais aussi par une grande partie de la gauche.

 

Conclusion

 

Mais pour voir COMMENT Israël a organisé cette colonisation, avec quelles astuces, avec quelles stratégies, jusqu’à aujourd’hui, il vous faudra patienter un petit peu. Je vous rassure pas, longtemps, la deuxième partie de cette vidéo sortira avant la fin du mois 🙂

 

On a décidé de couper la vidéo en 2 parties, parce que sans ça, elle allait faire entre 1h15 et 1h30. Et une vidéo de plus d’une heure, ça a deux défauts.

D’abord ça fait énormément de travail pour pour nos monteurs, qu’on a déjà pas mal mis à l’épreuve avec la vidéo sur Elon Musk.

 

Et ensuite, les vidéos longues et très denses, ça fait, si on en croit certains mails qu’on reçoit, beaucoup d’infos à digérer d’un coup.

 

Mais on est curieux : on veut bien votre avis. Vous nous direz si c’est un bon pari de découper en deux quand la vidéo fait plus d’une heure, ou si vous préférez avoir une maxi vidéo d’un seul coup.