Voilà la deuxième partie de notre critique du discours de Jean-Marc Jancovici sur les énergies renouvelables. Les arguments du jour : 1) le solaire et l'éolien, c'est des énergies très diffuses qui prennent trop de place 2) solaire et éolien sont des énergies inefficaces, avec un taux de retour énergétique trop mauvais pour alimenter nos sociétés complexes, et 3) même les qualités du solaire et de l'éolien dépendent des énergies fossiles sans qui elles seraient beaucoup plus chères. Bonne vidéo !
NB : Afin de faciliter la compréhension de notre message, vous trouverez ici les points clés et sources correspondants aux 2 parties de notre argumentation.
NB : Afin de faciliter la compréhension de notre message, vous trouverez ici les points clés et sources correspondants aux 2 parties de notre argumentation.
Salut à tous, aujourd’hui on va critiquer certains points clés du discours de Jean-Marc Jancovici.
Jean-Marc Jancovici est un ingénieur polytechnicien de 62 ans et c’est probablement la personne la plus influente sur les thèmes du réchauffement climatique et de l’énergie en France.
Depuis les années 2000, il fait un boulot monstre de vulgarisation : les vidéos de ses conférences et interview font des dizaines de millions de vues et sa BD “Un monde sans fin” écrite avec le dessinateur Christophe Blain, a été, avec + de 800 000 exemplaires, le livre le plus vendu de 2022.
[ SOURCE : France Inter, “Comment la BD « Le monde sans fin » est devenue le livre le plus vendu de l’année”, 04/01/2023 ]
Jancovici a fait comprendre à des millions de Françaises et de Français que l’Humanité doit apprendre à se passer des énergies fossiles – le pétrole, le gaz et le charbon – pour deux raisons : 1) elles sont la principale cause du changement climatique, et 2) Avec les pics pétroliers et gaziers qui approchent, leur production va décliner qu’on le veuille ou non
Problème : tout notre monde moderne est fondé sur la consommation de ces énergies fossiles. Téléphones, fringues, nourriture : tout ce qui nous entoure a été produit en utilisant du pétrole, du gaz ou du charbon. Comment les remplacer sans revenir au 19ème siècle ?
Aujourd’hui, parmi les experts de l’énergie, il est consensuel de dire que les énergies renouvelables, en particulier l’éolien et les panneaux solaires, sont une partie indispensable de la solution, en France et dans le monde. Il suffit de parcourir le rapport du GIEC pour comprendre qu’il n’existe aucun scénario sans développement massif des éoliennes et des panneaux solaires pour se passer des énergies fossiles.
[ SOURCE : GIEC, “Special report – Global Warming of 1.5°C”, 2019, Figure 2.15, p.146 ]
A contre-courant du consensus mondial, Jancovici développe depuis longtemps un discours singulier. Lui défend que l’éolien et le photovoltaïque ont de trop gros défauts pour espérer remplacer significativement les énergies fossiles. Ceux qui y croient se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude.
Les solutions que Jancovici met en avant, c’est le nucléaire et la sobriété. En plus de construire plein de centrales, il faut arrêter les grosses bagnoles, prendre beaucoup moins l’avion, manger moins de viande, acheter moins d’objets.
Mais même avec du nucléaire et une bonne dose de sobriété, Jancovici nous peint un futur où l’énergie manquera, et où l’économie mondiale s’effondrera. Dans sa BD comme dans ses conférences, il projette un avenir qui sera quelque part entre “beaucoup plus compliqué” et “totalement catastrophique”.
Quand on écoute Jancovici dérouler ses arguments, on peut avoir l’impression que tout est carré, rigoureux, implacable. Avec lui, on comprend tout, parce que lui-même a tout compris. C’est vrai que Jancovici est un vulgarisateur hors pair.
Beaucoup de gens ont ouvert les yeux grâce à lui sur la menace du changement climatique, sur le rôle fondamental de l’énergie dans nos sociétés et sur l’importance de la sobriété qu’on va devoir apprendre à pratiquer, tant à l’échelle individuelle que collectivement, comme société. Franchement, sans lui, combien de gens auraient entendu parler de quotas de vols en avion ou de l’UNSCEAR, le “GIEC de la radioactivité” ?
Nous mêmes, on a été profondément marqué par ses conférences et ses bouquins et on est admiratif du travail qu’il a accompli.
Mais sur certains sujets, son discours est incomplet, et parfois carrément trompeur. Ce qu’on va vous montrer dans cette vidéo c’est que dès qu’il parle du solaire et de l’éolien, son discours est tellement en décalage avec les faits que ça donne une vision fausse de la transition énergétique en cours, et des priorités.
Là, si vous nous découvrez, vous pouvez vous dire: “ah, voilà, ça va être encore une critique flinguée de Jancovici par un antinucléaire, qui va nous vendre les renouvelables de façon caricaturale.
Mais pas du tout ! Dans les dizaines de vidéos sur l’énergie qu’on a produites ces 4 dernières années sur notre site Osons Comprendre, comme dans notre livre l’Avenir de l’énergie, sorti l’année dernière, on défend la construction de nouvelles centrales en France. Et oui, vous allez découvrir une critique de Jancovici par des pro nucléaires.
Ce qu’on va faire avec vous, c’est examiner les 6 arguments les plus importants de Jancovici pour décrédibiliser le solaire et l’éolien. On va à chaque fois en détailler la logique et vous montrer, sources à l’appui, pourquoi il s’éloignent de la réalité observable aujourd’hui au point d’induire son public en erreur.
Voici ces arguments :
Sur ces 6 arguments – qui sont au cœur de son discours sur les renouvelables – Jean-Marc Jancovici a tort.
S’il ne s’agissait que de petites erreurs sans conséquences, on ne prendrait pas le temps de faire cette vidéo. Mais on pense que derrière ces arguments, se joue quelque chose de fondamental sur l’idée de transition énergétique, le futur de notre pays, et même du monde.
Même si on pense que le nucléaire est utile, le solaire et l’éolien ont un immense rôle à jouer, en France comme ailleurs. Si on ne surestime pas leur défaut et qu’on accepte de leur donner leur juste place, une transition énergétique bien moins “douloureuse” que celle décrite par Jancovici est possible, et c’est une très bonne nouvelle.
Notre but avec cette vidéo, ce n’est pas de s’attaquer à Jancovici comme personne, ni de nier tout ce qu’il a apporté sur le climat et l’énergie. Nous même, on serait pas en train de vous faire cette vidéo si on ne s’était pas passionné pour ces sujets grâce à lui.
Aussi fécond et enthousiasmant qu’il peut être, c’est aussi important de voir quand Jancovici s’écarte des réalités observables aujourd’hui.
Vous le pressentez, on a du pain sur la planche. Pour ne pas faire trop long, on a choisi de vous proposer notre critique de Janco en 2 vidéos. La première explorera les 3 premiers arguments et la seconde les 3 derniers.
On est sûr qu’on va avoir des débats sympas et passionnants en commentaires. Sachez que si on a oublié un point important, si on constate qu’il faut modifier tel ou tel argument, on pourra intégrer vos retours avant de passer un jour les vidéos en accès libre sur Osons Causer. Donc n’hésitez surtout pas. On a conscience qu’aujourd’hui, avec Jancovici, on s’attaque à un monument. On espère être à la hauteur et écrire avec la rigueur et le respect qu’on lui doit. Allez, c’est parti pour le premier argument.
Si vous avez déjà regardé une conf de Jancovici, il y a un graphique que vous avez sûrement vu. C’est celui qui montre l’empilement des énergies utilisées dans le monde.
« Les nouvelles énergies renouvelables, c’est les 3 petits machins du haut, là, dont on vous explique que dans les 30 ans qui viennent, parce que c’est ça qu’il faut faire pour l’Accord de Paris, ça va remplacer tout le reste, dans un approvisionnement énergétique croissant puisqu’il faut bien que la croissance économique ait lieu”
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, CO2 ou PIB, il faut choisir, – Conférence à Sciences Po Paris, 29 août 2019, 26ème minute ]
“Le dernier empilement à date concerne les nouvelles énergies renouvelables, dont on nous parle beaucoup dans le journal, mais quand vous regardez ce que ça représente dans l’approvisionnement mondial, c’est pas grand chose, hein, éolien et solaire ça représente 2%… ou 3%… et j’en profite tout de suite pour vous donner une petite règle qui vous sera utile toute votre vie : il n’y a pas le moindre lien entre l’importance d’un sujet dans le journal et son importance dans la vie réelle”
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “A la racine du business, il y avait l’énergie” – Conférence à KEDGE Paris, 11 mars 2024, 12ème minute ]
Ce graphique, on le trouve aussi dans sa BD et Jancovici a raison, aujourd’hui, le solaire et l’éolien ne forment qu’une toute petite partie de l’énergie mondiale.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, pp.42 et 56 ]
L’énergie reste dominée par le pétrole, le gaz et le charbon. Au passage, le nucléaire, c’est pas grand chose non plus.
Et c’est vrai, de loin, on dirait que ce qui se passe sur le solaire et l’éolien, 2-3% de l’énergie mondiale, c’est presque rien.
Mais si on zoome, on voit que la production solaire et éolienne explose. Oui, on part de très bas, mais ça monte très vite, avec une belle exponentielle.
Entre la COP de Paris en 2015 et 2022, la production solaire et éolienne a augmenté de 18 % (17.8%) par an ! Ces taux de croissance sont immenses, à ce rythme de 18%/an, la production double tous les 4 ans !!
Malheureusement, Jancovici ne montre jamais ces croissances exponentielles dans ses présentations, il les passe totalement sous silence.
Dans le cours de plus de 2h qu’il a consacré aux énergies renouvelables à l’École des Mines en 2019, Jancovici réussit le prodige de montrer le taux de croissance historique de toutes les énergies…. sauf celles du solaire et de l’éolien 🙂
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 127ème minute ]
Pourtant, quand on ajoute le solaire et l’éolien, ça claque. Le solaire et l’éolien progressent à des rythmes impressionnants, bien plus rapides que toutes les autres énergies.
Et là, désolé, mais je ne comprends pas comment Jancovici peut ne jamais montrer une info aussi essentielle que la croissance exponentielle de la production du solaire et de l’éolien.
Surtout que dans ses 2h18 de cours sur les renouvelables, il prend le temps de détailler des choses aussi anecdotiques que le schéma de fonctionnement d’une installation de solaire thermique. Franchement, c’est pas un peu bizarre comme priorisation de l’information ?
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 23ème minute ]
Grâce à ces taux de croissances impressionnants, le monde a plus ajouté d’énergie solaire et éolienne depuis 2019 que d’énergies fossiles.
Mais on ne peut pas se satisfaire d’énergies fossiles qui continuent de croître. Le but est d’arrêter d’additionner les énergies et de commencer à les substituer, à baisser la conso mondiale de pétrole, de gaz et de charbon.
Et là bonne nouvelle, l’Agence Internationale de l’Énergie, quand elle analyse les politiques déjà mises en œuvre par les Etats, nous montre que le déclin des fossiles semble imminent.
La croissance impressionnante des renouvelables commence à payer.
[ SOURCE : AIE, World Energy Outlook 2023, Octobre 2023, Figure 1.1 p. 26 ]
Jusqu’à présent, on a abordé le solaire et l’éolien en les comparant à l’ensemble de l’énergie utilisée par l’humanité. Mais s’il y a bien un domaine où le solaire et l’éolien sont loin d’être “l’épaisseur du trait”, c’est la production d’électricité.
En 10 ans, entre 2012 et 2022, le solaire et l’éolien sont passés de 3 % de l’électricité produite dans le monde à 12%. La Chine et les Etats-Unis, même sous la présidence Trump, ont fait mieux, et dans l’UE, c’est impressionnant. De 9% (8.9%) en 2012 l’éolien et le solaire fournissent aujourd’hui un quart (24.4%) de l’électricité européenne !
L’explosion du solaire et de l’éolien dans la production d’électricité est impossible à ignorer. Pourtant on en a trouvé aucune trace dans les expressions publiques de Jean Marc Jancovici.
Et cette explosion du solaire et de l’éolien n’en est qu’à ses débuts.
Quand on analyse les politiques déjà planifiées par les Etats, on trouve que sans nouvel engagement, juste avec ce qui est déjà prévu aujourd’hui, la part du solaire et de l’éolien dans la production mondiale d’électricité devrait passer d’environ 12% en 2022, à 27% en 2030, et à 53% en 2050.
En ajoutant les autres énergies renouvelables, comme les barrages, on arriverait à 73% d’énergies renouvelables dans l’électricité en 2050. Il faudrait encore ajouter le nucléaire pour avoir toutes les énergies bas carbone, ultra majoritaires d’ici 2050. Et encore une fois, c’est les politiques déjà prévues. Rien ne nous empêche d’accélérer encore le mouvement mais, dans tous les cas on est à des kilomètres du discours : “le solaire et l’éolien, c’est rien, l’épaisseur du trait”
Derrière la croissance explosive du solaire et de l’éolien, il y a bien sûr une volonté politique de lutter contre le changement climatique, mais il y a aussi un autre phénomène majeur, l’effondrement des prix du solaire et de l’éolien.
Depuis 2010, au niveau mondial, le prix de l’électricité solaire a été divisé par 10, celui de l’éolien terrestre par 3 et celui de l’éolien en mer par 2 et demi. Alors que le solaire et l’éolien étaient très chers il y a dix ans, aujourd’hui, produire de l’électricité avec une éolienne terrestre et du solaire est même devenu moins cher que de le faire dans une centrale au gaz ou au charbon.
C’est cette chute fulgurante des prix qui permet de comprendre comment il est possible que le Texas, l’État américain qui produit le plus de gaz fossile un État qui remet en cause l’enseignement du changement climatique à l’école, un État farouchement républicain, voit lui aussi un boom du solaire et de l’éolien, à tel point qu’elles produisent aujourd’hui 26 % de son électricité.
Cet effondrement du coût du solaire et de l’éolien, Jancovici ne le montre jamais à son public, dans ses présentations publiques ou dans sa BD.
Alors là, si vous connaissez bien Jancovici, je suis sûr que vous vous dites : ok les prix s’effondrent, mais c’est pas les vrais coûts ! Il faut compter le coût de l’intermittence.
Si on regarde le coût complet d’un système électrique 100% renouvelable, là, ça va être hors de prix. Et encore, si c’est faisable. Ça reste à prouver.
Ne vous inquiétez pas, l’intermittence, ses problèmes et ses coûts, on en parle tout de suite 🙂
C’est quoi le problème de l’intermittence ? Pour le comprendre, il faut d’abord savoir que dans un système électrique, il faut qu’à chaque instant, la production d’électricité soit égale à la consommation. Si on veut éviter le blackout, cet équilibre entre production et consommation est indispensable, et pour ça, les moyens de production pîlotables sont géniaux. Les barrages hydroélectriques, les centrales à gaz ou au charbon, les centrales nucléaires, sont pilotables, parce qu’on peut augmenter ou baisser leur production pour coller à la conso.
Quand à 19h, les gens rentrent chez eux et font cuire une délicieuse ratatouille, on pousse nos centrales électriques et la nuit, quand la consommation est faible, on les met au ralenti.
Le problème c’est que la production des panneaux solaires et des éoliennes dépend de la météo. On ne peut pas faire fonctionner un panneau solaire la nuit, ni une éolienne s’il n’y a pas de vent. Ces énergies sont intermittentes ou “variables”. On ne décide pas quand elles produisent, et si on n’utilise pas la production au moment où elle est là, elle est perdue.
Comment s’assurer d’avoir une production égale à la consommation, quand la production dépend autant de la météo ?
C’est le problème de l’intermittence du solaire et de l’éolien, Jancovici propose deux niveaux de discours pour l’expliquer dans ses interventions et sa BD.
Le premier niveau est le plus “élémentaire” et de très très loin le plus fréquent. Dans sa BD best seller, c’est le combo : avec le soleil et le vent, la bière est tiède et le chirurgien ne peut pas opérer.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.127 ]
Pour régler son problème de l’intermittence “pas de vent, pas d’opération”, Jean-Marc Jancovici présente des solutions carrément absurdes.
Dans ses conférences, c’est souvent “noyer les vallées des Alpes” pour y mettre des barrages réversibles, qui permettent de stocker de l’électricité quand il n’y a ni soleil, ni vent,
“On fait le pari qu’on va avoir en permanence de quoi compenser en permanence l’intermittence qu’on a mis dans le système avec des dispositifs – on prend éventuellement le pari qu’on va réussir à faire des stations de pompage partout dans les Alpes ou qu’on va avoir des batteries partout”
[ SOURCE : Kaizen, “Débat Jancovici – Marignac : Demain, quelles énergies ?”, 5 mars 2023, 73ème minute ]
Mais dans sa BD, il va – en tout cas d’après moi – encore plus loin dans l’abus.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.127 ]
Il imagine que l’Allemagne construise un immense mur/barrage de 150 m de haut tout le long de ses 2400 km de côtes maritimes ! Le projet de “mur de l’Atlantique” bis est un pur délire et, le pire, il ne permettrait que de produire 2 semaines d’électricité. Autrement dit, pas grand chose.
Forcément, quand on écoute Jancovici nous dire que, quand y’a pas de soleil et pas de vent on a le choix entre “pas d’électricité, pas d’hôpital et pas de bière fraîche” d’un côté OU noyer toutes les vallées des Alpes ou murer toutes les côtes allemandes, bah on trouve que les éoliennes et les panneaux solaires, c’est ni souhaitable ni sérieux, c’est une solution qui nous envoie dans le mur.
Ca c’est le discours “élémentaire” de Jancovici sur l’intermittence.
Mais quand il prend le temps de développer, Jancovici est beaucoup plus sérieux. Il montre bien que l’intermittence du solaire et de l’éolien n’est un problème sérieux que lorsqu’il faut stocker de grandes quantités d’électricité et que, pour gérer ce problème, on a largement plus d’outils qu’une solution unique poussée à l’absurde.
“Des moyens de stockage y’en a, on va dire, deux. Un moyen de stockage c’est les barrages réversibles : avec l’électricité qu’on produit quand y’a beaucoup de soleil ou beaucoup de vent on fait remonter de l’eau dans un barrage et quand y’a pas assez de soleil ou pas assez de vent on turbine l’eau du barrage et à ce moment on a de l’électricité.
L’autre solution qui est à beaucoup plus court terme c’est les batteries. Mais les batteries ça permettra, si on a beaucoup de voitures électriques par exemple, de faire du stockage journalier. Ça ne permet pas de faire du stockage qu’on appelle intersaisonnier, par exemple entre hiver et été. Ça ne permet pas non plus de faire du stockage interannuel parce que les conditions météo moyennes sur une année sont variables d’une année sur l’autre. On peut avoir une année avec plus de vent, plus de soleil et une année avec moins de vent et moins de soleil. Et la différence entre une très bonne année et une très mauvaise année peut aller jusqu’à 20-25%. Ca veut dire que si on ne veut courir aucun risque, y’a à peu près un quart de la consommation d’électricité qu’il faut être capable de stocker d’une année sur l’autre.
Ca c’est un rapport RTE/AIE qui le dit. A ces horizons de temps là, ni les stations de pompages actuelles ni les batteries ne peuvent permettre de stocker. Le seul moyen qu’on aurait de stocker c’est de produire du gaz avec de l’électricité quand y’a un surplus d’électricité qu’on stockerait pendant des mois et qu’on brûlerait pour avoir de l’électricité.
Mais le rendement global de cette affaire là est de l’ordre d’un quart. […] Ca veut dire que l’électricité qu’on stockerait d’un trimestre sur l’autre ou d’une année sur l’autre, il faudrait en produire 4 fois plus que ce qu’on récupère à l’arrivée pour que ça flotte. “
Cette présentation est infiniment plus complète. L’intermittence, ce n’est plus “y’a ni soleil ni vent donc on peut pas se faire opérer”. C’est un problème qui se gère non plus avec des solutions uniques absurdes – coucou les Alpes et les côtes allemandes – mais grâce à un bouquet de solutions : les batteries pour le stockage à l’échelle de la journées (pour passer la “nuit” des panneaux solaires par exemple), les barrages réversibles également pour le stockage à court terme ou encore, pour le stockage à plus long terme, la production de gaz avec de l’électricité.
Jancovici numéro 2 donne tort à Jancovici 1 – dommage pour les lecteurs de la BD qui n’auront pas la version complète.
Jancovici 2 identifie en revanche un problème majeur : pour passer des longues périodes avec peu de soleil et peu de vent, il faut du stockage d’électricité à grande échelle : ou inter saisonnier – de l’été à l’hiver par exemple – ou inter annuel.
“A l’échelle de la journée, je le redis, on peut faire des batteries, on a suffisamment de matériaux pour faire des batteries, on peut y arriver c’est pas un problème. Le problème qui reste non résolu, c’est à l’échelle de la saison ou à l’échelle de l’année, et donc ça c’est le deuxième truc, aujourd’hui, on ne sait pas comment faire”
[ SOURCE : Jancovici répond aux lecteurs d’Alternatives Économiques – 20/06/2023, 38ème minute ]
Il a tout à fait raison, c’est à cette échelle de temps que l’intermittence des productions solaires et éoliennes pose le plus de difficultés.
A l’automne 2021, RTE – le gestionnaire du réseau électrique français – a sorti un rapport de référence de + 1000 pages qui évalue précisément la portée de l’intermittence dans un système 100% renouvelable.
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, Rapport complet publié en février 2022, Version préliminaire dès le 25 octobre 2021 ]
Que nous dit ce rapport qui a fait date dans la communauté des experts de l’énergie ?
Que dans le scénario 100 % renouvelable le plus efficace, l’intermittence interannuelle et intersaisonnière des énergies renouvelables correspond à 6% de la future consommation électrique française, bien moins que ce que disait Jancovici chez Elucid. “Si on ne veut courir aucun risque y’a à peu près un quart de la consommation d’électricité qu’il faut être capable de stocker d’une année sur l’autre”
L’intermittence du 100 % renouvelable pose donc un problème, mais bien moins important que ne l’imagine Jancovici.
Quelle quantité de “gaz vert” doit-on produire pour surmonter notre problème d’intermittence ?
Le rapport RTE nous donne la réponse : il suffit de produire 11 TWh d’électricité avec des “gaz verts”. Ça représente seulement 2% de la consommation électrique de 2060.
On comprend donc que même lorsqu’il est le plus exhaustif, Jancovici déforme la réalité et exagère pas mal les problèmes posés par le 100% renouvelable.
Reste que oui, produire et surtout stocker de l’hydrogène vert ou du méthane de synthèse en quantité suffisante pour produire ne serait-ce que 11 Twh par an, ça reste un défi technique, et ça risque d’être assez cher.
C’est une des raisons pour lesquelles le même rapport RTE estime que le scénario 100 % ENR le plus efficace coûterait “en coûts complets”, environ 20 % plus cher que le scénario avec le plus de nucléaire.
L’étude de RTE dément ainsi qu’un système 100% renouvelables coûterait ultra ultra cher, ce que Jancovici a pourtant répété pendant des années
Encore en 2019 dans son cours des Mines sur les renouvelables, il parvenait, à coup de règles de trois, à montrer qu’un scénario 100 % éolien – que, soit dit en passant, personne n’a jamais proposé, – coûterait 10 à 20 fois plus cher qu’un scénario 100 % nucléaire.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 124ème minute – Slides p.71]
Par rapport aux “20% + cher” que trouve l’étude de RTE, le petit scénario de Janco à base de règles de 3 se trompe d’un ordre de grandeur, pour reprendre une de ses expressions préférées. [ Soulignons toutefois que ce scénario RTE est sorti en 2021, deux ans après le Cours des Mines ] .
Mais ne nous arrêtons pas au prix. Produire et stocker de grandes quantités d’hydrogène ou de gaz vert, c’est un défi technique qu’aujourd’hui, on n’est pas sûr de pouvoir relever. Il y a une incertitude technique que Jancovici, comme RTE du reste, notent très bien. Imaginons qu’on soit obligé de produire l’électricité nécessaire à pallier l’intermittence de notre 100% renouvelable, non pas avec de l’hydrogène vert, mais avec du gaz fossile.
Que représenterait cette consommation de gaz fossile ?
Et bien dites vous qu’en 2019, malgré ses centrales nucléaires et ses barrages, la France a produit 43 (42.6) TWh d’électricité avec du charbon, du pétrole et surtout du gaz.
C’est 4 fois + que les 11 TWh nécessaires à résoudre le principal problème identifié par Jancovici et RTE dans le 100% renouvelable : le stockage d’électricité à long terme.
[ SOURCES RTE, Bilan électrique 2019, p.25 et RTE, Futurs Énergétiques 2050, Rapport complet publié en février 2022, Version préliminaire dès le 25 octobre 2021, Annexes – Bilan Energétique “M23 Réf – Offre hydrogène 2060” ]
Ca veut donc dire que même si on n’arrive pas à produire de l’électricité à l’hydrogène ou au méthane vert et qu’on utilise à la place du gaz fossile, notre électricité de 2050-2060 ne serait pas à 100% renouvelables mais “seulement” à 98 % renouvelable.
Et elle consommerait toujours moins d’énergies fossiles que notre électricité actuelle, avec ses 70% de nucléaire.
Et ça, je suis sûr que vous ne l’avez jamais entendu, ni dans la bouche de Jancovici, ni ailleurs. Ah non, vous l’avez peut-être entendu chez Rodolphe, de la chaîne Le Réveilleur :
“on voit que les modélisations de RTE remettent sérieusement en cause l’idée que le déploiement de moyens renouvelables s’accompagne d’une augmentation de l’utilisation du gaz puisque le scénario M23, 100% renouvelables en 2060 repose moins sur le gaz que la production actuelle d’électricité en France. »
[ SOURCE : Le Réveilleur, “Quelle électricité pour demain ?”, 21 décembre 2021, 35ème minute ]
Bref, quand on s’informe en regardant les meilleures données, on voit que l’intermittence du solaire et de l’éolien est loin d’être un problème aussi insurmontable que le présente Jancovici.
Une fois qu’on a dit ça, il faut quand même savoir qu’en gardant une dose de nucléaire pilotable, on se simplifie grandement la vie.
Avec ne serait-ce que 35 % d’électricité nucléaire, et le reste de renouvelables, le problème du stockage long terme de l’électricité diminue fortement. Avec 50 % de nucléaire, les besoins tombent à zéro, on a les avantages des renouvelables sans leurs inconvénients. Tout est plus facile, moins incertain, et si on en croit RTE, moins cher.
D’où notre position dans nos vidéos et dans notre livre, l’Avenir de l’Énergie : mieux vaut garder une bonne dose de nucléaire à côté des renouvelables.
En clair, l’intermittence, c’est un problème, oui, mais il n’est pas aussi fatal que le prétend Jancovici. En le caricaturant, Jancovici ne nous aide pas à le comprendre.
Pour Jancovici, un défaut majeur du solaire et de l’éolien c’est qu’ils consommeraient trop de métaux, de 10 à 100 fois plus par kwh d’électricité produite que le nucléaire.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.131 ]
“Et ce que vous constatez en gros, c’est que quand vous passez des modes (on va dire) concentrés – dont notamment le nucléaire qui est décarboné mais pas que, que vous avez ici – à des modes diffus (on va dire le vent et le solaire photovoltaïque), vous avez une multiplication par quelques dizaines à quelques centaines (par exemple pour le cuivre).”
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 113ème minute ]
C’est tout à fait exact, solaire et éolien sont beaucoup plus gourmands en métaux que le nucléaire, les centrales gaz, charbon, et les barrages.
Pour Jancovici, ce besoin de métaux rend peu crédibles les scénarios 100% renouvelables “qui marchent sur le papier”.
“ D’abord, les scénarios qu’on regarde ne bouclent pas sur la matière […. ] L’Agence internationale de l’énergie, la même qui disait je vais faire frisou les moustaches, quasiment totalement des ENR, etc. vous disent : ah bah nan on est pas sûrs d’avoir assez de nickel, de cuivre, de lithium, pour suivre les scénarios.”
[ SOURCE : Médiapart, “Débat avec Jean-Marc Jancovici : le nucléaire pour sauver le climat ?”, 12 décembre 2023, 22ème minute ]
On a donc envie d’avoir la réponse à cette question : est-ce qu’on a assez de métal dans la croûte terrestre pour construire les éoliennes, les panneaux solaires, les lignes électriques et les batteries des scénarios 100 % renouvelables ?
Pour répondre à cette question à plusieurs milliards de dollars, ça tombe bien, cette étude toute récente nous mâche le travail.
Elle somme les besoins en métaux jusqu’à 2050 dans les scénarios les plus ambitieux pour le climat, 1,5 et 2°, avec des doses variables d’éolien, de solaire, de barrages, de nucléaire et même de centrales fossiles à capture de CO2. Elle compte tous les métaux nécessaires pour produire l’électricité, pour la distribuer dans des réseaux de transport et de distribution.
Notre étude donne ainsi une approximation acceptable, un “ordre de grandeur” comme aime le dire Jancovici des besoins en métaux de notre infrastructure électrique.
L’étude nous dit donc que la bâtir demanderait moins de 15 % des réserves exploitables aujourd’hui et moins de 5% des ressources totales identifiées d’aluminium, de nickel, de cuivre, d’argent et des autres métaux considérés.
Y’a qu’une exception, le tellure, qu’on utilise aujourd’hui pour produire des panneaux solaires plus efficaces, dont le système électrique mobiliserait la quasi totalité des ressources connues aujourd’hui. Attention, le tellure est loin d’être essentiel, 95 % des panneaux solaires du monde n’en contiennent pas et fonctionnent très bien. Et si vraiment on y tient aux panneaux au tellure, des projets d’explorations minières sont en cours.
[ SOURCE : US Energy Department – Solar Energy Technologies Office, Cadmium Telluride ]
Bref, même si l’étude n’est pas parfaite, elle nous apprend qu’à long terme, on semble avoir largement assez de cuivre, d’argent, etc pour produire toutes les éoliennes, tous les panneaux solaires et toute notre infrastructure électrique bas carbone.
C’est une super nouvelle, ça montre que le stock de métaux n’est pas une limite fondamentale à notre électricité renouvelable.
Mais est-ce qu’on peut extraire ces métaux à la bonne vitesse ? Car oui, c’est bien beau d’en avoir assez dans le sol, mais si on arrive pas à les extraire assez vite, on est tout autant dans la mouise.
C’est ce que nous suggère Jancovici récemment, en commentant un autre rapport de l’AIE :
“ Dans le dernier World Energy Outlook, y a un très beau graphique qui a été sorti, dans lequel ils vous disent : voilà la demande en nickel, en cuivre et en lithium qu’on devrait avoir en 2030, enfin la quantité qu’il faudrait fournir pour suivre le scénario NZE, donc le scénario net zéro, et puis voilà là où on en sera en mettant bout à bout les mines actuellement en fonctionnement et celles qui sont en développement. Et partout c’est en dessous. De 15 à 20%. Et là, on parle que de 2030.”
[ SOURCE : Médiapart, “Débat avec Jean-Marc Jancovici : le nucléaire pour sauver le climat ?”, 12 décembre 2023, 22-23èmes minutes ]
Si c’est vrai, c’est un peu embêtant. Déjà en 2030, dans 6 ans, il nous manquerait 15-20% des métaux dont on va avoir besoin ? Ça semble mal embarqué. Mais est-ce que c’est vrai ?
Pour vérifier, on a retrouvé le graphique dont parle Jancovici : et oui, par rapport à la ligne verte qui montre les besoins en métaux 2030 des scénarios “net zéro” zéro émissions nettes, il manque, même en comptant les “nouveaux déploiement miniers”, en bleu sur le graphique, environ 20% du cuivre, 40 % du lithium et 30 % du nickel.
[ SOURCE : AIE, World Energy Outlook 2023, Octobre 2023, Figure 4.18, p. 179 ]
Il y a deux problèmes avec la façon dont Jancovici fait parler ce graphique.
D’abord, les besoins en métaux que vous voyez ne concernent pas seulement le système électrique, mais aussi les voitures électriques.
Dites-vous que l’électricité renouvelable, avec le solaire, l’éolien, le réseau, les batteries, tout ce que vous voulez, c’est seulement 4% des besoins en lithium que vous voyez sur le graphique, et environ un quart (26,7%) des besoins en nickel. Quand on regarde la transition énergétique, la quasi intégralité de la demande de ces métaux – lithium, nickel, on peut ajouter le cobalt – vient en réalité des voitures électriques.
Voilà pourquoi on rejoint Jancovici dans son invitation à se passer de la voiture – même électrique – quand c’est possible, et si on a pas trop le choix, à préférer des voitures petites et légères aux SUV. La sobriété, ça limite les besoins en métaux et la pression minière dans le monde.
Deuxième problème, plus fondamental. Dans le graph ci-dessus, il y ‘a une ligne jaune, qui montre la demande en métaux nécessaires pour tenir les engagements actuels des Etats.
C’est à elle qu’il faut comparer la production minière des prochaines années. On ne voit pas trop pourquoi les industriels ouvriraient des mines pour satisfaire les rythmes de production d’un scénario “zero émissions nettes” que les Etats n’ont pas encore décidés. Et quand on compare à la ligne jaune – ce à quoi se sont engagés les Etats – , on voit qu’il ne manque que quelques pourcent du cuivre, du lithium et du nickel dont on aura besoin en 2030.
C’est un problème qui peut compliquer le déploiement des voitures électriques, c’est vrai mais il suffit de quelques nouveaux projets miniers ou de quelques substitutions technologiques pour y arriver : on peut par exemple remplacer le cuivre des lignes ou des moteurs électriques par de l’aluminium – ça se fait déjà très bien – ou remplacer le nickel des voitures électriques par des batteries “lithium fer phosphate” – batteries de plus en plus utilisées.
On comprend ainsi que, si on s’informe sur les besoins en métaux du solaire et de l’éolien en ne lisant et n’écoutant que Jancovici, il y a de grandes chances qu’on surestime les problèmes que ça pose. En réalité, on a des réserves et des ressources suffisantes en métaux pour un déploiement massif et rapide du solaire et de l’éolien.
Pas d’alarme donc. Pensez-y quand vous écouterez quelqu’un s’inquiéter de la terrible “gourmandise en métaux des panneaux solaires et des éoliennes” ou quelqu’un décrire le déploiement rapide de panneaux solaires et d’éoliennes comme une folie hors sol.
Parmi ses griefs contre le photovoltaïque et les éoliennes, Jancovici pointe régulièrement la quantité d’espace que ces énergies peu denses occupent.
Dans sa BD, on peut lire que malgré des progrès “les éoliennes restent diffuses, peu denses et demandent beaucoup de ressources et de place”. “Si l’éolien devait fournir la totalité de l’énergie de France, il faudrait quadriller le territoire avec une éolienne tous les km”.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, pp.126-127 ]
Il ajoute : “tu vivrais en permanence avec des éoliennes au-dessus de ta tête. Il n’y aurait plus un endroit vierge.” Qui veut vivre avec des éoliennes en permanence au-dessus de sa tête ? Qui veut qu’il n’y ait “plus un endroit vierge” ? Ça donne pas envie.
Un peu plus loin, Jean-Marc Jancovici tient un raisonnement similaire sur le solaire : quand un réacteur nucléaire de 1 GW (1 milliards de watts) occupe 3 hectares, il faut 1000 hectares de panneaux solaires pour avoir la même puissance d’1 GW.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.131 ]
Janco ajoute que la France prévoit de “remplacer des champs agricoles et de la forêt par des panneaux solaires sur une superficie équivalente à 3 fois la ville de Paris”
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.160]
La vignette de la BD est claire : le solaire, c’est des forêts rasées et des animaux sauvages qui perdent leur habitat. Encore une fois, ça ne donne pas envie.
Commentons d’abord son affirmation sur l’éolien où, franchement, il déconne tout à fait.
Pour aboutir à 1 éolienne par km, Jancovici imagine que TOUTE l’énergie de la France d’aujourd’hui devrait être produite UNIQUEMENT par des éoliennes. Pas “seulement” toute l’électricité, toute l’énergie, donc aussi toute l’énergie du chauffage, du transport, et de toute l’industrie. C’est comme ça qu’il arrive à une éolienne par km2, ce qui ferait près 544 000 éoliennes à installer en France.
C’est tout à fait absurde, parce qu’en réalité, les éoliennes n’ont vocation qu’à produire une partie de l’électricité française. Même dans une France qui se passera totalement des énergies fossiles, il existera toujours d’autres énergies à côté de l’électricité : on brûlera toujours du bois, des pellets ou comme les énergéticien disent de la “biomasse” dans nos chaudières, on utilisera aussi du biogaz et quelques biocarburants.
Si l’on en croit la Stratégie nationale bas carbone actuelle, en 2050, l’électricité ne fournira que 55 % de l’énergie consommée dans le pays.
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, 2022, Figure 1.2, p.47]
Ça sera probablement un peu plus que ce que prévoit ce texte – on explore pourquoi dans notre livre et dans nos vidéos sur le bois énergie – mais personne n’imagine que toute l’énergie d’un pays sera sous forme d’électricité et absolument personne – pas même le lobby des éoliennes – n’imagine que TOUTE l’électricité française sera produite par des éoliennes. Dans les scénarios 100 % renouvelables, il y a des barrages, des panneaux solaires, tout un bouquet de solutions qui font que JAMAIS DE LA VIE on aura 543 000 éoliennes à installer en France.
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, 2022, p.236 ]
En réalité, le scénario 100% renouvelable qui prévoit d’installer le + d’éoliennes en France n’imagine pas en construire plus de 35 000 !!! Et encore, ça serait sûrement nettement moins, parce que les éoliennes sont de plus en plus grandes et efficaces.
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, 2022, Figure 12.62, p.741 ]
Ça a l’air encore beaucoup dit comme ça, ça fait 1 éoliennes tous les 15 km². Ça fait aussi un parc de 10 éoliennes tous les 150km², ce qui fait moins peur. Pour mettre les choses en perspective, dîtes vous que l’Allemagne en a déjà installée + de 30 000 alors que son territoire est un tiers plus petit que celui de notre beau pays.
Si les Allemands y arrivent déjà, probablement qu’on peut le faire dans les 30 prochaines années. Je sais qu’il y a beaucoup à critiquer dans la transition allemande 🙂 je ne vous dis pas ça pour en faire un modèle, mais juste pour comprendre qu’en aucun cas la France n’aura besoin de devenir une forêt d’éoliennes.
Passons au solaire maintenant. Les panneaux solaires qui prennent de l’espace, ce sont ceux des fermes solaires, ceux installés au sol.
Ces grandes installations ont l’intérêt de produire une électricité moins chère que les panneaux solaires installés sur les toits des maisons, des parkings ou des entrepôts, mais leur défaut c’est qu’elles prennent de l’espace et là Jancovici ne fait pas d’erreur.
Au moment où il a écrit sa BD, on prévoyait bien d’installer entre 330 et 400 km² de panneaux solaires au sol, entre 3 et 4 fois la taille de Paris.
[ SOURCE : Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, 2019-2028, p.125 ]
Si on décidait d’aller vers du 100% renouvelable, il faudrait même installer beaucoup plus de panneaux solaires.
Dans le scénario 100 % renouvelable de RTE – scénario sorti après la rédaction de la BD donc c’est normal que Jancovici ne l’ai pas utilisé – on voit que les panneaux solaires au sol pourraient occuper dans une trentaine d’années un peu + de 1000 km²
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, 2022, Figure 12.57 “Scénario M23”, p.735 ]
1000 km², pour visualiser, c’est Paris, toute sa petite couronne et même un bonus. Ça a l’air énorme.
Et on est pas au bout de nos peines. Si, comme dans la figure 12.57 reproduite plus haut, on ajoute au solaire l’espace occupé par les éoliennes, les barrages, les lignes haute tension, les batteries – un système électrique complet 100% renouvelable occuperait 1300 km² (colonne “M23”).
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, 2022, Figure 12.57 “Scénario M23”, p.735 ]
Là, pas besoin d’être anti renouvelables pour se dire : ah ouais, ça en fait quand même de l’espace pour de l’électricité 100 % renouvelable. C’est chaud, non ?
Et bien, pour se faire une idée, mettons maintenant nos km2 de panneaux solaires en perspective.
Voici le territoire de la France métropolitaine, représentée avec 100 petits carrés. On y voit les forêts, les terres agricoles avec, à part, les terres agricoles utilisées pour la culture des biocarburants qui alimentent nos voitures. C’est surtout des cultures de colza, de tournesol ou de blé.
Ensuite, en bleu, on voit les terrains artificialisés : les bâtiments, les routes, les aéroports, etc.. Maintenant, pour voir notre système électrique 100% renouvelable, il faut zoomer sur ce carré bleu, qui représente 1% du territoire “artificialisé”.
Un système électrique 100 % renouvelable tout entier, c’est toute la zone en orange et jaune et, parmi ce système électrique, les panneaux solaires n’occupent que les 6 carrés oranges, moins de 0.2 % du territoire métropolitain.
Quand on prend un peu de recul, on voit que construire un système électrique 100% renouvelable avec plein de panneaux solaires prendrait beaucoup moins d’espace – presque 7 fois moins – que ce qu’on utilise déjà aujourd’hui pour produire des biocarburants.
Les 8 800 km² de cultures qui, en 2019, ont servi à faire le biodiesel et le bioéthanol de nos voitures, ont fourni l’équivalent de 41 (40.9) TWh d’énergie. En comparaison, les 1300 km² de notre système électrique 100% renouvelable fourniraient 771 TWh d’électricité, presque 19 fois plus, et plus de la moitié de la consommation énergétique du pays dans 30 ans !
DÉTAILS DU CALCUL DONNÉ DANS LA VIDÉO
En 2019, les biocarburants ont couvert, selon FranceAgriMer, environ 8 800 km² (3.08 % de 28.554 Mha).
Ces 8 800 km² ont fourni, selon la Cour des comptes (p.33), 4 802 Ml de biocarburants. Soit, d’après les facteurs de conversion donnés par les Douanes, 147 157 TJ ou 40.87 TWh.
1 km² de biocarburant a donc fourni 40.87/8800 = 0.0046 TWh en 2019.
En 2050, dans le scénario 100 % renouvelable M23 de RTE, les 1300 km² de système électrique et 1 000 km² de panneaux solaires au sol (Futurs Energétiques 2050, figure 12.57 p.735) fournissent respectivement 726TWh et 153 TWh (Futurs Energétiques 2050, Annexe – Bilan Energétique M23, p.900) .
Un km² M23 fournira donc 726 /1300 = 0.56 TWh et un km² Solaire M23 153 / 1000 = 0.153 TWh soit respectivement 121 et 33 fois plus que le km² de biocarburants 2019.
ERRATUM : Dans la vidéo, nous disons “129 fois plus” au lieu de 121. Nous avons pris par erreur la production électrique de 2060 (771 TWh) au lieu de celle de 2050 (726 TWh). Nous nous excusons pour cette erreur qui, fort heureusement, ne change rien au raisonnement.
Il n’y a donc pas de drame à remplacer quelques champs de colza par des panneaux solaires.
Une fois qu’on a dit ça, oui, Jancovici a raison de dire qu’avec du nucléaire, énergie très concentrée, le système électrique prend moins de place.
Admettons qu’en 2060, on ait construit autant de nouvelles centrales nucléaires que l’industrie nucléaire l’estime possible. Et bien ce système électrique “le plus nucléarisé possible”, il occuperait presque 2 fois moins d’espace qu’un système 100 % renouvelables : 724 km² contre 1300 km².
[ SOURCE : RTE, Futurs Énergétiques 2050, février 2022, Figure 12.57 – Scénario N03 vs M23, p.735 ]
Donc si on veut diminuer la prise au sol qui handicape la biodiversité – pour des raisons écologiques ou simplement parce qu’on est un petit pays – coucou les Belges ou les Suisses ! – construire des centrales nucléaires est une solution efficace.
Cela dit, Jancovici a raison de dire qu’il y a certains endroits où des panneaux solaires vont remplacer du terrain agricole ou de la forêt.
Pour éviter ça au maximum, on peut installer les panneaux solaires sur des surfaces déjà artificialisées comme les toits de maison, de parking ou d’entrepôts. On peut aussi développer l’agrovoltaïsme, qui, sur un même espace, combine des activités agricoles ou d’élevage et de la production solaire
Le besoin d’espace du solaire et de l’éolien peut donc être vu comme un défaut et comme une bonne raison de faire du nucléaire. C’est une analyse qu’on partage avec Jancovici. Mais contrairement à ce qu’il laisse entendre, le solaire ne va pas recouvrir nos champs et nous faire massivement raser les forêts de notre pays.
Attaquons-nous maintenant à un autre défaut du solaire et de l’éolien fréquemment répété par Jancovici : ces énergies sont trop inefficaces pour permettre de soutenir une société complexe et moderne.
Jancovici oppose souvent l’efficacité des énergies fossiles, denses, pratiques à stocker et à utiliser, à l’inefficacité des énergies renouvelables solaire et éolienne, diffuses et intermittentes.
D’après Jancovici, le solaire et l’éolien sont des énergies tellement inefficaces qu’un monde qui irait progressivement vers le 100% renouvelables en espérant remplacer les énergies fossiles irait vers la catastrophe.
“Donc une blague qu’il m’arrive souvent de faire est de dire un monde 100% renouvelables je sais très bien à quoi ça correspond […] c’est le monde il y a 3 siècles. 700 millions, l’espérance de vie 30 ans et quasi que des agriculteurs”
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 15ème minute ]
“C’est c’est et moi ce que je dis c’est avec le parc d’infrastructure qu’on a sur les bras euh je ne pense pas qu’on puisse transitionner vers un monde 100 % renouvelable en gardant la société thermo-industrielle qu’on a aujourd’hui avec des laminoires des camions des avions des ordinateurs euh des des des chemises pour 20 € etc. je ne pense pas qu’on puisse pour des raisons physiques voilà.”
“Un monde 100% ENR est un monde où notre pouvoir d’achat est divisé par n’importe quoi entre 5 et 40. On peut très bien faire, mais ça n’est certainement pas un monde qui correspond à la situation économique actuelle”
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 27ème minute ]
Jancovici aime nous rappeler que le monde a longtemps été “100% renouvelable”, et que si on est passé aux énergies fossiles, c’est parce qu’elles seraient supérieures, plus efficaces “pour des raisons physiques”.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.36 ]
Pour lui, le pétrole, le charbon et le gaz ne sont pas seulement des énergies supérieures à un moulin à vent du 19ème siècle – parce que ça, ok, il y a pas trop de doutes 🙂 – mais aussi plus efficaces que les éoliennes modernes, comme cette immense éolienne offshore, avec des pales plus grandes qu’un terrain de foot
[ SOURCE : Business Insider, “China is installing offshore wind turbines as tall as 30 Rock in the Taiwan Strait”, 30/07/2023 ]
Pour illustrer et prouver en même temps que les panneaux solaires et les éoliennes modernes ne sont pas compatibles avec le maintien de notre niveau de vie actuel, Jancovici a popularisé en France le concept de “taux de retour énergétique”, ou d’EROI Energy returned on Investment, dans mon meilleur anglais.
Cet argument – le taux de retour énergétique montre physiquement l’inanité d’une transition basée sur les renouvelables – a été diffusé aussi bien par des effondristes comme Pablo Servigne, que par des partisans de la décroissance, comme Timothée Parrique.
Rodolphe, de l’excellente chaîne le Réveilleur, a consacré pas mal de temps à décortiquer ce concept et il a produit, entres autres, une critique de la page de la BD de Jean-Marc Jancovici qui y est consacrée. Plutôt que de réinventer la roue, on l’a invité à en faire un résumé ici.
[ Rodolphe de la chaîne “Le Réveilleur” ]
Salut les gars et merci pour l’invitation. Ce n’est pas un sujet facile, la vidéo où je décortique tout ça fait près d’une heure et demie.
[ SOURCE : Le Réveilleur, “Taux de retour énergétique : J.M. Jancovici dans l’erreur ?”, 8 octobre 2023 ]
N’hésitez pas à aller la voir, on m’a fait plusieurs fois le retour que c’était une des meilleures de la chaîne donc ça l’air d’être du temps bien investi. Ici, je vais faire une petite synthèse.
Le taux de retour énergétique est le ratio entre l’énergie délivrée par un système énergétique et l’énergie investie dans ce système.
Par exemple, si on doit investir 1 baril de pétrole pour obtenir 10 barils, le taux de retour énergétique est de 10.
Dit comme ça, on peut avoir l’impression d’une métrique physique objective. Mais c’est un concept de comptabilité aux définitions fluctuantes. Après tout, vous ne mettez pas de barils de pétrole dans votre voiture. Et entre le baril et votre réservoir, il y a des étapes qui nécessitent aussi de l’énergie : transport, raffinage et distribution. Suivant, l’étape où vous évaluez le taux de retour énergétique et ce que vous considérez ou non comme un investissement, les résultats varient énormément.
Plus qu’une métrique physique, le taux de retour énergétique est un concept comptable qui se heurte aux multiples problèmes des conventions énergétiques et présente d’importantes variations méthodologiques entre diverses évaluations. La page de la BD “Un monde sans fin” est une parfaite illustration de ça.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, p.161 ]
Jean-Marc Jancovici y compare des choses qui n’ont rien à voir avec des évaluations appliquant différentes méthodologies et provenant de différentes sources. C’est une erreur de comparer le taux de retour énergétique d’un baril de pétrole au niveau de l’extraction avec le taux de retour énergétique de l’électricité en sortie d’éolienne, quasi immédiatement utilisable.
Bosser sur le sujet m’a laissé sceptique sur ce qu’on fait dire au concept au point de douter de son utilité dans un cadre de vulgarisation et d’enseignement.
Pour celles et ceux qui resteraient attachés au concept de taux de retour énergétique, un article scientifique récent montre que quand on regarde tous les investissements énergétiques des technologies de production d’électricité, les ressources fossiles sont entre 2 et 4 alors que le photovoltaïque est à 10, l’éolien et le nucléaire autour de 20 et l’hydroélectricité à 50. Oui, vous avez bien entendu : le solaire et l’éolien ont un MEILLEUR taux de retour énergétique que les fossiles pour produire de l’électricité.
[ SOURCE : Murphy et. al., “Energy return on investment of major energy carriers: Review and harmonization”, Sustainability, 2022 ]
J’utilise ensuite le rapport de RTE déjà évoqué par Ludo et Stéph pour montrer que même la prise en compte des moyens de stockage nécessaires à des scénarios avec beaucoup de renouvelables ne change pas beaucoup ce résultat. Avec les éléments scientifiques et techniques disponibles, il semblerait que le taux de retour énergétique d’un système 100% renouvelable soit correct.
Les travaux les plus récents sur le taux de retour énergétique tendent plutôt à montrer les avantages de l’électrification et les bonnes caractéristiques physiques des technologies bas carbone, éolien et photovoltaïque compris. L’utilisation du taux de retour énergétique pour lutter contre les technologies bas carbone est difficilement défendable…
Si vous voulez être à la pointe de l’actualité scientifique, un article vient de sortir dans Nature qui évalue le taux de retour énergétique jusqu’à l’utilisation de l’énergie. La dernière phrase de l’abstract cadre bien avec cette vidéo : les résultats suggèrent que la transition énergétique peut se faire sans diminution des services énergétiques, ce qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle les systèmes d’énergie renouvelable ne peuvent pas remplacer les combustibles fossiles sans encourir une pénalité énergétique importante.
Est-ce que ça veut dire que ça va être facile ou qu’on peut faire n’importe quoi de l’énergie ?
Non ! Réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre reste un défi complexe et des réductions de demande peuvent y aider. Produire et utiliser de l’énergie a des impacts, la gâcher ne sera jamais justifié. Les bonnes performances des technologies bas carbone ne nous éviteront pas une discussion sérieuse sur la sobriété.
Tout est clair Ludo ?
[ A NOUVEAU LUDO ]
Oui, tout est très clair Rodolphe, merci !
Mais peut-être que vous vous demandez : comment est-ce possible que le solaire et l’éolien – qui sont peu denses et intermittents – soient plus efficaces énergétiquement que les fossiles ?
C’est parce que ces énergies fossiles ont un désavantage majeur dont Jancovici ne parle quasiment jamais à son public : les convertisseurs fossiles sont très inefficaces par rapport aux convertisseurs électriques. Qu’est-ce que je veux dire par là ?
Je veux dire que dans une voiture par exemple, un moteur électrique est beaucoup plus efficace pour convertir de l’énergie en mouvement qu’un moteur thermique qui, comme son nom l’indique, convertit d’abord l’essence en chaleur puis cette chaleur en mouvement.
Quand vous mettez une unité d’énergie dans une voiture électrique, environ 90 % de cette énergie va être utilisée pour vous déplacer alors qu’une voiture à essence ne va en conserver qu’autour de 20 %.
Vous avez bien entendu : environ 80 % de l’énergie contenue dans votre litre d’essence est perdue en chaleur ou en friction. Oups.
Là, c’était un exemple pour montrer l’inefficacité énergétique du convertisseur “énergie fossile => mouvement” mais on retrouve le même phénomène pour le chauffage.
Alors qu’une chaudière à gaz convertit autour de 90% de l’énergie contenue en chaleur, une pompe à chaleur électrique fait bien bien mieux. Avec une unité d’énergie électrique investie, elle en restitue entre 3 et 4 sous forme de chaleur.
[ SOURCES : Gibb et al., “Coming in from the cold: Heat pump efficiency at low temperatures”, Joule, Septembre 2023 et Zenon Research, “Beyond Primary Energy – The energy transition needs new lens”, Juillet 2023, Figure 8 Box 3, p.9 ]
Avec 1 kWh d’électricité, les pompes à chaleur air-air ou air-eau produisent sur l’année entre 3 et 4 kWh de chaleur, et 2,74 entre -10° et +5°, d’après des mesures en situation réelle
Autrement dit, pour obtenir la même chaleur chez soi, on a besoin de 3 à 4 fois moins d’énergie quand on utilise une pompe à chaleur qu’avec la chaudière à gaz la plus efficace.
Mais comment une pompe à chaleur peut avoir 300 à 400% de rendement ? Quelle est cette sorcellerie ?
Comme son nom l’indique, la pompe à chaleur va POMPER la chaleur de l’air extérieur pour chauffer votre logement. C’est cette énergie contenue dans l’air extérieur qui permet d’avoir des rendements de 3-400 %. Et si vous vous posez la question, oui, une pompe à chaleur arrive à pomper de l’énergie dehors même quand il fait très froid. Si vous voulez en savoir plus sur les pompes à chaleur, on vous recommande cette vidéo du Monde qui est bien faite.
[ SOURCE : Le Monde – Youtube, “Pompe à chaleur : sauver l’humanité avec son radiateur ?”, 29 janvier 2023 ]
L’avantage des convertisseurs électriques sur les convertisseurs thermiques explique un fait majeur de la transition énergétique : en passant des voitures thermiques aux voitures électriques, des chaudières à gaz aux pompes à chaleur électriques, on va très fortement BAISSER la quantité d’énergie nécessaire pour obtenir le même service.
Voilà pourquoi, à mesure que la transition bas carbone avance et que le monde s’électrifie, la consommation d’énergie va décroître.
Est-ce que vous avez déjà entendu Jancovici vous dire que La France de 2050 pourrait consommer environ 40 % d’énergie en moins que celle d’aujourd’hui, en grande partie grâce à l’électrification ?
Ouep, l’électrification, passer aux voitures électriques et aux pompes à chaleur, peut éliminer, sans rien changer à nos habitudes, 25 % de l’énergie consommée. Sympa, non ? 🙂
[ SOURCE : EDF, Net Zero Scenario, Powering Carbon Neutrality In Europe By 2050, mars 2024, p. 4 ]
A l’échelle mondiale, on retrouve la même logique : d’après le GIEC, un monde de 2060 qui a accompli sa transition énergétique, avec une forte électrification, pourrait consommer 14% d’énergie en moins que le monde de 2019.
[ SOURCE : GIEC AR6 WG3, 2022, Figure 6.1, p.617 – Scénario 2° – Consommation d’énergie finale ]
Vous avez bien entendu ! Moins d’énergie, malgré 2 milliards d’habitants en plus, et une certaine croissance économique, particulièrement dans les pays pauvres.
Ces faits absolument majeurs de la transition énergétique, Jean-Marc Jancovici ne les mentionne jamais, ni dans sa BD, ni dans ses conférences.
Pourtant, on a là une leçon absolument majeure : réussir la transition énergétique ce n’est pas devoir remplacer 1 pour 1 les énergies fossiles. En passant aux convertisseurs électriques, on gagne tellement en efficacité qu’on a besoin d’investir moins d’énergie pour faire la même chose.
Et grâce à Rodolphe – allez voir sa vidéo 🙂 – on a aussi appris que Jancovici fait erreur sur le TRE. Il n’y aucune raison “thermodynamique” ou “physique” qui empêcherait une société complexe avec confort, santé et retraites, de fonctionner avec énormément et même pourquoi pas 100% d’énergie renouvelable.
Donc, quand Jancovici nous dit “Un monde 100% renouvelable est un monde où notre pouvoir d’achat est divisé par n’importe quoi entre 5 et 40”, il a de grandes chances de s’écarter des données scientifiques.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 27ème minute ]
Mais là, vient le dernier argument de Jancovici qu’on va analyser ensemble aujourd’hui :
Si on arrive à fabriquer de l’éolien et du solaire en masse pour pas cher aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’on les produit en utilisant des énergies fossiles.
Pour Jancovici, le solaire et l’éolien, même quand c’est bien, c’est grâce aux énergies fossiles.
“Qu’est-ce qu’il reste de cette compétitivité des énergies renouvelables modernes – donc l’éolien et le solaire – dans un monde où il n’y a plus le charbon pour faire la métallurgie, où il n’y a plus le pétrole pour faire les transports et la mise en place des dispositifs, où il n’y a plus de pétrole pour faire toute la chimie organique qui est totalement indispensable aujourd’hui pour faire des éoliennes et des panneaux solaires etc. Qu’est-ce qui reste de cette compétitivité des renouvelables ?”
[ SOURCE : Kaizen, “Débat Jancovici – Marignac : Demain, quelles énergies ?”, 5 mars 2023, 59ème minute ]
“D’abord c’est pas sûr que vous puissiez les transporter. Parce que dans un monde qui n’a plus de pétrole, de charbon ou de gaz, les panneaux solaires faits en Chine vous les amenez comment ? Avec la marine à voile ? Ou à dos d’âne comme à l’époque de Marco Polo. Vous les fabriquez comment ?”
“Ca veut dire – comme l’expliquait très bien Jean-Baptiste Fressoz – qu’on a imbriqué les énergies et qu’aujourd’hui les dispositifs de collecte des énergies renouvelables sont faits avec des énergies fossiles.
Parce que pour faire une éolienne ou un panneau solaire aujourd’hui qu’est-ce qu’on fait en pratique ? Par exemple pour un panneau solaire, on a de l’acier. L’acier c’est des engins de mines qui excavent du minerai de fer. Et il faut voir à quoi ressemble une mine de fer. C’est des engins de mines qui excavent du charbon métallurgique. C’est des minéraliers qui transportent ça jusqu’à des hauts fourneaux. Les hauts fourneaux, c’est des énormes machines qui produisent de l’acier et qui en font pas que pour les panneaux photovoltaïques – sinon ça coûterait beaucoup plus cher que ce que on voit. C’est du silicium qu’on fond à plus de 1000 degrés, comme dans Les Indestructibles. C’est du cuivre pour câbler tout ça etc. C’est des porte-conteneurs parce que les panneaux sont tous faits en Chine et rapatriés chez nous.
Donc c’est des industries, c’est de l’énergie fossile par tous les bouts, il y a rien d’électrique pour faire tout ça. En fait c’est donc qu’on a imbriqué les énergies.
[…]
On n’a pas le mécanisme intellectuel qui permet de comprendre ce que ça signifie de désimbriquer les énergies. Et moi ce que je crois, en termes strictement économiques, c’est que si on faisait ça, le prix du panneau solaire ou de l’éolienne serait multiplié par 30.
[…]
C’est une autre manière de dire que les prix réels ont été divisés par un facteur de plusieurs dizaines en un siècle et demi grâce à l’avènement des combustibles fossiles. Donc si je fais le chemin dans l’autre sens, si je supprime les combustibles fossiles, ça revient à dire qu’économiquement, ce que je devrais observer peu ou proue, c’est une multiplication par quelques dizaines du prix réel de n’importe quoi. “
Vous l’avez entendu, pour Jancovici, produire des éoliennes et des panneaux solaires sans énergies fossiles coûterait quelque chose comme 30 fois plus cher. Autrement dit, ça serait totalement hors de prix.
Depuis un an ou deux, Jancovici répète beaucoup cet argument de l’imbrication, qui donne l’impression que, si on sortait vraiment des énergies fossiles, le pari des renouvelables s’écroulerait sur lui-même, un peu comme un château de cartes.
Mais est-ce que c’est vrai ? Est-ce qu’on a des bonnes raisons de penser, comme Jancovici, qu’on ne pourra pas, d’ici 30, 40, 50 ans, produire des éoliennes et des panneaux solaires sans utiliser d’énergies fossiles, ET sans que ça coûte un prix démentiel ?
Disons d’abord que, malheureusement, Jancovici a raison sur un point : il n’existe pas d’étude ou de rapport qui nous donne la réponse de manière claire et limpide.
On est donc parti à la pêche aux sources de qualité et, pour les panneaux solaires, on a trouvé assez d’infos pour vous offrir un tableau à peu près complet. Et vous allez voir, ce qu’on a trouvé est intéressant !
Pour le solaire, on a trouvé des rapports de l’Agence Internationale de l’Énergie, une source que Jancovici aime bien citer, qui décomposent les étapes de fabrication d’un panneau.
[ SOURCES : AIE, “Special Report on Solar PV Global Supply Chains”, Août 2022 et AIE, Energy Technology Perspectives 2023, Janvier 2023
Pour la fabrication, plus de 82% de l’énergie utilisée, c’est de l’électricité. Aujourd’hui, comme la Chine domine le marché, une bonne part de cette électricité est produite dans des centrales à charbon. Mais, en Chine comme ailleurs, les énergies bas carbone se déploient aujourd’hui à toute vitesse. Il n’existe aucun obstacle technique majeur pour se débarrasser des fossiles dans la production d’électricité, surtout d’ici 30-40 ans. Certains pays l’ont déjà fait.
Avec de l’électricité bas carbone – renouvelables et, si on veut, nucléaire – on peut donc éliminer les énergies fossiles de plus de 82% de l’énergie utilisée dans la fabrication de panneaux solaires. On est déjà plus si imbriqués que ça.
Est-ce qu’une électricité sans énergies fossiles, ça sera beaucoup plus cher ? Et bien contrairement à ce qu’on pourrait penser, non, pas forcément.
Si on regarde les scénarios mondiaux de l’AIE, on voit qu’après une petite montée des coûts au début, le coût complet de l’électricité sans fossile sera tout à fait comparable, en moyenne mondiale, à celui qu’on paie aujourd’hui.
On voit que quand Jancovici nous dit : “Les panneaux sont tous faits en Chine et rapatriés chez nous. Donc c’est des industries, c’est de l’énergie fossile par tous les bouts, il y a rien d’électrique pour faire tout ça.” …il se trompe. En réalité, pour les panneaux solaires, il y a de l’électrique dans la fabrication, et il y en a même beaucoup.
Maintenant, est-ce qu’on peut aller plus loin et se débarrasser des 18% de la production qui utilisent encore du charbon ou du gaz directement ?
Les 4 % de charbon est utilisé à la fois comme combustible et comme matière première, pour séparer le silicium du minerai de silice. Le silicium, c’est ce qu’on utilise pour faire les cellules des panneaux solaires.
[ SOURCE : L’Élémentarium, Article “Silicium” ]
Les 14 % de gaz sont utilisés aux étapes d’après, pour transformer ce silicium en un silicium ultra pur, utilisable pour faire des panneaux solaires.
D’après les analyses cycle de vie qui décomposent chaque étape de production d’un panneau solaire, le gaz est utilisé pour produire de la chaleur.
[ SOURCES : AIE, “Life Cycle Inventories and Life Cycle Assessments of Photovoltaic Systems 2020”, 2020, Table 9 et 12 pp.29 et 32 OU Liang et You, “Reshoring silicon photovoltaics manufacturing contributes to decarbonization and climate change mitigation”, Nature Communications, 2023, “Supplementary Materials – Table S1 – “sc-Si”, p.14 ” OU Yang et. al., “Life-cycle assessment of China’s multi-crystalline silicon photovoltaic modules considering international trade”, Journal of Cleaner Production, 2015, Tables 2-4 ]
On peut donc imaginer produire cette chaleur à l’électricité, même s’il faudrait des experts de ces procédés industriels pour savoir à quel point c’est facile ou non de le faire à un prix compétitif avec la chaleur produire au gaz fossile.
Se débarrasser du charbon a l’air plus compliqué pour l’instant. Peut-être qu’il est possible de remplacer le charbon fossile par du charbon de bois – qu’on peut produire sans énergies fossiles – ou par du carbone capturé dans les fumées des cimenteries. Mais comme le charbon sert ici de matière première, il pourrait être difficile de s’en passer dans les décennies qui viennent. Mais, heureusement, ça ne représente même pas 4 % de l’énergie qu’on utilise pour le solaire.
[ SOURCE : Énergie et environnement – Philippe Gauthier, “Combien de charbon pour un panneau solaire?, 2022 ]
Faisons un petit point. A ce stade, on a appris que pour la production des panneaux solaires, il y a entre 82 et 96 % de l’énergie utilisée qui peut être obtenue sans énergies fossiles, et sans trop d’efforts.
Cela dit, on n’a pas encore toute la chaîne de production du panneau solaire les amis, il faut aussi regarder l’amont et l’aval, c’est-à-dire : les mines, et le transport. Continuons notre enquête.
Dans la chaîne de production des panneaux solaires, l’étape de la mine ou des carrières de silice représente une part négligeable des émissions de CO2, et donc de l’énergie utilisée.
[ SOURCE : AIE, Energy Technology Perspectives 2023, Janvier 2023, Figure 2.24, p.133 ]
Est-ce qu’on utilise directement des énergies fossiles pour miner la silice ?
D’après ce qu’on a trouvé, la réponse est plutôt non, parce qu’au moins en Chine, le premier producteur mondial, de très loin, les opérations de minage et de broyage sont alimentées à l’électricité.
La mine de silice ne semble donc pas être un obstacle majeur qui empêcherait de produire des panneaux solaires sans énergies fossiles.
Passons maintenant au transport, le transport des mines aux usines et des usines aux clients finaux.
Une étude de l’AIE – encore elle ! 🙂 – nous montre que le transport ne représente que 3 % des émissions de CO2 de l’industrie photovoltaïque toute entière. On peut donc penser que le transport représente aussi une très faible part de l’énergie.
[ SOURCE : AIE, “Special Report on Solar PV Global Supply Chains”, Août 2022, p.43 ]
Mais pour les besoins de notre petite enquête, posons-nous la question de la désimbrication jusqu’au bout : est-ce que c’est absurde d’imaginer que d’ici 30, 40 ou 50 ans, on réussira à faire du transport par camion ou par porte conteneurs sans utiliser d’énergies fossiles ?
Et bien sûr, sans revenir à la marine à voile toute lente et hors de prix du Moyen-Âge, ou aux diligences tirées par des chevaux 🙂
Pour les camions, l’option dominante chez les experts est d’éliminer le diesel grâce à l’électrification. Il faudrait produire des camions électriques à batteries avec, en complément, des “autoroutes électriques” où les camions se brancheraient directement au réseau.
[ SOURCE : Siemens Mobility, “World’s Longest Electric Highway (eHighway) for Trucks”, 4 mai 2020 ]
Ces solutions, ce sont notamment celles proposées par le Shift Project, dans son rapport sur la décarbonation du FRET.
Le Shift, c’est un un think tank associatif fondé il y a 15 ans par Jean-Marc Jancovici lui-même, et qui réunit des ingénieurs et des passionnés hyper compétents, qui cherchent à comprendre comment on peut éliminer les énergies fossiles concrètement dans chaque secteur. Le Shift Project produit des infos très intéressantes qu’on consulte régulièrement – merci à vous les Shifters et contributeurs du Shift – et merci à Jancovici d’avoir impulsé ça.
Les camions électriques, ça s’achète déjà aujourd’hui et la Suède et l’Allemagne testent les autoroutes électriques sur de très petits tronçons. On n’est donc qu’au tout tout début de l’électrification des camions. Mais rien n’oblige à penser que dans 30-40-50 ans, le transport routier se fera encore au pétrole.
Pour le coût, Carbone 4 – le cabinet de conseil énergie et climat de Jean-Marc Jancovici – a produit une étude sur les camions électriques de petit rayon d’action, qui conclut qu’un camion électrique de 2023 coûte seulement 16% de plus au kilomètre qu’un camion diesel, et ça avant toute subvention.
Avouez que si on a seulement 16% de surcoût sur les camions électriques “petite portée” de 2023, ça parait raisonnable de parier que d’ici 10 à 20 ans au plus tard, les camions électriques “tout court” seront compétitifs. Je pourrais même parier une partie de mes économies, comme dirait l’autre 🙂
Blague à part, on voit qu’on semble très très loin de la “multiplication du prix par 30” que nous promet parfois Jancovici.
Si se passer des énergies fossiles dans le transport routier paraît accessible, y parvenir dans le transport maritime et les porte-conteneurs s’annonce plus délicat.
Aujourd’hui, les portes conteneurs fonctionnent au fioul ou au gaz. La piste dominante pour les remplacer, c’était jusqu’à récemment de les alimenter à l’hydrogène, lui-même produit à partir d’une électricité bas carbone, renouvelable ou nucléaire.
Le hic c’est que l’hydrogène est un gaz très volatile et explosif qui se conserve difficilement de façon sûre. Voilà pourquoi les experts du secteur parlent de plus en plus de faire voguer les bâteaux avec des dérivés de l’hydrogène : de l’ammoniac ou du méthane de synthèse, beaucoup plus pratiques à transporter.
Si vous voulez en savoir plus sur l’hydrogène – ses promesses, et ses limites – on y avait consacré une des premières vidéos de notre site Osons Comprendre il y a plus de 4 ans maintenant. Ça ne nous rajeunit pas ! 🙂 Et je l’ai revue, elle a pas si mal vieilli ma foi 🙂
Aujourd’hui, des projets de navires avec des moteurs à l’ammoniac commencent à être développés. Ces projets de méthaniers ou de porte-conteneurs ne sont que des prototypes pour le moment. Ne crions pas victoire tout de suite.
[ SOURCE : Global Maritime Forum, “NoGAPS: Nordic Green Ammonia Powered Ships”, 2021 et Communiqué de presse YARA, “The world’s first clean ammonia-powered container ship”, 30 novembre 2023 ]
Mais on a trouvé une étude de 2024 d’une équipe de chercheurs d’Oxford qui est encourageante. Elle suggère que d’ici à 2050 le coût complet d’un transport maritime à l’ammoniac – en incluant tous les investissements nécessaires dans les ports, la production et la distribution de l’ammoniac – serait similaire à celui du fioul utilisé aujourd’hui dans nos portes conteneurs
C’est évidemment très exploratoire, il est probablement trop tôt pour tirer des conclusions. Mais ces prototypes et cette étude scientifique d’Oxford montrent déjà une chose : un transport maritime sans énergies fossiles d’ici quelques dizaines d’années, ce n’est pas aussi impossible à concevoir que ne le suggère le discours sur l’imbrication de Jean-Marc Jancovici ou de Jean-Baptiste Fressoz.
On est sûrement pas condamnés à revenir à la marine à voile d’antan pour le commerce international. On gardera le plaisir de la voile pour les plaisanciers 🙂
Si un transport maritime moderne sans énergies fossiles est déjà envisageable à un prix correct à l’horizon 2050, pourquoi ça serait impossible d’ici 2060, 2070, avec des décennies d’apprentissage et d’innovation scientifique et technique ?
Attention, même si on a couvert toute la production du panneau solaire, de la mine au client final, il manque encore énormément de choses dans cette petite analyse. On est bien conscient qu’il faudrait faire le même exercice avec tous les objets qu’il y a autour du panneau : l’onduleur, le transformateur électrique, etc.
Il faudrait aussi parler de l’acier et des autres métaux nécessaires à produire les machines qui produisent les panneaux solaires.
Et pourquoi s’arrêter au solaire ? Il faudrait montrer les mêmes possibilités de désimbrication pour les éoliennes, les batteries, les moteurs de véhicules électriques et, en réalité, si on pousse le raisonnement jusqu’au bout, pour l’ensemble de l’économie.
J’imagine que ça va vous choquer, mais NON, on ne va malheureusement pas pouvoir conduire ici une analyse aussi ambitieuse.
Mais on aimerait partager avec vous encore deux infos très intéressantes sur la production des métaux qu’on a trouvées dans un rapport de l’AIE tout frais, qui date de 2023, et dont je suis quasiment sûr que vous n’en avez pas entendu parler.
[ SOURCE : AIE, Energy Technology Perspectives 2023, Janvier 2023 ]
En 2021 et à l’échelle mondiale, 80 % de l’énergie utilisée pour extraire et raffiner le cuivre, métal clé de la transition énergétique, c’est de l’électricité. Pour le nickel, c’est 40 %. Pour le cobalt, c’est un tiers.
Quant à l’aluminium, c’est 50%. Et l’aluminium produit en Europe, lui, c’est le boss : il n’utilise déjà plus qu’un riquiqui pourcent et demi d’énergies fossiles.
Mais parmi tous ces métaux il manque le roi, le métal qui représente à lui tout seul 94 % des métaux produits dans le monde : le FER, à partir duquel on fabrique l’acier.
[ SOURCE : World mining data – 2022 , Table 6.2 ]
Aujourd’hui, la production d’acier demande beaucoup d’énergies fossiles, et émet beaucoup de CO2. Mais le même rapport de l’AIE nous montre qu’on pourrait produire de l’acier sans charbon, et sans gaz, au même prix qu’aujourd’hui, d’ici à 2030, autrement dit, après-demain.
[ SOURCE : AIE, Energy Technology Perspectives 2023, Janvier 2023, Figure 6.12, p.413 ]
Notons, au passage, que la figure ci-dessus suggère également que l’hydrogène et l’ammoniac bas-carbone pourraient devenir compétitifs avec leurs concurrents fossiles d’ici quelques années seulement.
Là, j’aimerais éviter un malentendu. On n’est pas en train d’essayer de vous convaincre que ça sera une promenade de santé d’éliminer le pétrole, le charbon et le gaz de tous les secteurs, facilement et pour pas cher, dans les décennies qui viennent.
Vous avez pu l’entendre dans les “peut-être”, les “pourrait”, les ‘il semble”, il y a encore de nombreuses incertitudes et tout un tas de problèmes à résoudre.
Pour certains procédés, comme l’utilisation du charbon pour séparer la silice de son minerai, on n’est pas du tout certain d’y arriver sans charbon pour pas cher, même dans 40 ou 50 ans. On aurait pu aussi parler de la production de ciment, dans laquelle le charbon sert aussi de matière première à une réaction chimique. Bref : on est pas des bisounours qui vous disent que la technologie va tout résoudre et que la transition se fera les mains dans les poches.
Mais, mais, mais, il ne faut pas exagérer non plus le problème de l’imbrication.
C’est essentiel de comprendre que dans beaucoup de cas, OU on peut DÉJÀ se passer des énergies fossiles aujourd’hui, OU on a de très bonnes raisons de penser pouvoir le faire dans les décennies qui viennent, et à un prix compétitif.
Maintenant, imaginons que tous les prototypes, que toutes les études et tous les rapports qu’on vient de voir sur la décarbonation du transport routier, des portes conteneurs ou de l’acier se trompent, et qu’on réussisse à éliminer les énergies fossiles uniquement dans la production d’électricité.
Est-ce que ça voudrait dire que faire plein d’énergies renouvelables est inutile ?
Bah, non, clairement pas. Si on parvient – grâce au solaire et à l’éolien – à produire une électricité bas carbone, on aura déjà de quoi se passer entièrement 1- du gaz et du charbon dans la production d’électricité, ça va de soit, mais aussi 2- du gaz et du fioul dans le chauffage des bâtiments et 3- du pétrole consommé par les voitures.
[ SOURCE : AIE, Net Zero by 2050 Scenario, Tables for scenario projections (Annex A) – “World CO2” ]
Décarboner ne serait-ce que ces 3 secteurs représenterait une diminution de 60% [59.55 %] des émissions de CO2 liées à l’énergie.
A ces trois secteurs, il faudrait aussi ajouter le gaz et le charbon qu’on peut remplacer par de l’électricité dans l’industrie. Mais comme on ne peut pas facilement l’évaluer, on préfère ne pas le compter et vous donner ici un chiffre très conservateur, très pessimiste.
Un monde où grâce au solaire et à l’éolien, on parviendrait à se passer de quasi 60% des émissions de CO2 liées à l’énergie, MAIS où on garde un peu de fossiles dans l’industrie et le transport maritime, c’est un monde qui reste préférable à un monde où on ne fait rien et où on continue à brûler des fossiles pour plus de 80% de notre énergie.
Voilà pourquoi, même si l’argument de l’imbrication était entièrement vrai – ce qui nous paraît très discutable – il faudrait quand même nous débarrasser du maximum d’énergie fossiles possibles et donc installer des panneaux solaires et des éoliennes.
L’unique manière de réussir à éliminer 100% ou presque des énergies fossiles dans quelques décennies, c’est de commencer à le faire aujourd’hui dans les secteurs où on peut le faire facilement et pour pas cher, comme la production d’électricité.
Honnêtement, dans notre manière de réfléchir, on peut même aller plus loin. On peut dire que, pour ce qu’on a à faire maintenant, c’est pas du tout pertinent de se demander si ça serait un peu, beaucoup, passionnément plus difficile ou plus cher de produire des énergies renouvelables avec zéro fossiles. La question n e se pose pas.
Elle se posera peut-être dans 30 ou 40 ans, quand on aura éliminé les fossiles de l’électricité, de l’essentiel du chauffage et du transport, et d’une bonne part de l’industrie. Mais aujourd’hui, “l’imbrication du solaire et de l’éolien dans les énergies fossiles” n’est pas DU TOUT un argument pertinent à opposer à leur déploiement.
Surtout qu’il y a quelque chose de tristement ironique dans la position argumentative de Jean-Marc Jancovici. Tout ce qu’il dit de la dépendance du solaire et de l’éolien aux énergies fossiles peut être dit exactement de la même manière pour le nucléaire.
Aujourd’hui, on ne sait pas plus produire l’acier ou le béton des centrales nucléaires, miner, raffiner et transporter l’uranium sans utiliser un gramme d’énergie fossile qu’on ne sait le faire pour les énergies renouvelables.
Imaginez qu’au moment où la France s’est lancée dans le plan Messmer – qui a construit 58 réacteurs nucléaires en quelques décennies – un Jean-Marc Jancovici ou un Jean-Baptiste Fressoz étaient apparus pour dire : “Attendez, on ne pourra jamais construire une centrale et l’alimenter en uranium sans utiliser une goutte de pétrole – et si jamais on y parvient, ça coûtera terriblement plus cher – donc arrêtons-tout, ne construisons pas ces centrales nucléaires qui vont nous permettre d’éliminer SEULEMENT le pétrole et le charbon de notre électricité.”
Comment pensez-vous que le Jean-Marc Jancovici d’aujourd’hui aurait accueilli cet argument de l’imbrication ?
On est pas devin, mais à mon avis, il l’aurait balayé d’un revers de main et aurait dit : “Attendez, nous passer de tous ces barils de pétrole c’est déjà très bien, faisons ça et on verra plus tard pour le reste”.
Un bon indice qui nous fait dire que Jancovici aurait répondu ça, c’est qu’à AUCUN moment il ne présente le besoin de fossiles pour la construction des centrales nucléaires comme un problème. Il n’avance cet argument de l’imbrication des fossiles QUE et UNIQUEMENT QUE pour décrédibiliser l’idée d’aller vers du 100% renouvelable, avec beaucoup de solaire et d’éolien.
Attention à ne pas tomber dans le piège de la solution parfaite, à ne pas rejeter des outils qui nous aident énormément, juste parce qu’ils ne solutionnent pas tout d’un coup, et parce qu’ils n’ont pas zéro défaut.
Exiger la solution parfaite, c’est la meilleure recette pour rester dépendant des énergies fossiles, c’est la recette de l’échec. Jancovici nous met en garde de ne pas tomber dans ce piège de la solution parfaite avec le nucléaire. Peut-être que nous devrions aussi le faire pour le solaire et l’éolien.
C’est le moment de conclure et de voir ce qu’on peut retenir de tout ce qu’on vient de voir ensemble.
Le discours de Jean-Marc Jancovici, dans sa BD comme dans ses conférences, disqualifie systématiquement le potentiel du solaire et de l’éolien pour se passer des énergies fossiles.
Quand on l’écoute, on entend que
Ce tableau bien noir amène évidemment la majorité du public de Jean-Marc Jancovici à la conclusion que le solaire et l’éolien ne nous aideront pas, ou très peu, à nous passer des énergies fossiles.
Nous-même, on est passé par là en découvrant Jancovici, il y a quelques années.
Même aujourd’hui, alors que le solaire et l’éolien explosent partout dans le monde, Jancovici persiste et signe. Ecoutez ce qu’il disait tout récemment, fin novembre 2023, sur les projets solaire et éolien en France :
“Oui effectivement je serais favorable à un moratoire [sur le solaire et l’éolien]. Alors ça voulait dire, dans mon esprit, que je serais favorable à ce qu’on prenne un peu de recul et que, avant de foncer comme des bêtes, on se pose la question de savoir là où on va. Et si on on arrête tous les projets pendant 6 mois pour se poser sérieusement la question, je pense que ça vaut le coup”
[ SOURCE : Conférence de Jean-Marc Jancovici à CentraleSupélec, 29/11/2023, 40è minute ]
Vous avez bien entendu. Jancovici pense que c’est une bonne idée de geler pour 6 mois tous les projets en cours de panneaux solaires et d’éoliennes en France, au risque de mettre à plat toutes les filières d’installation en France.
Cette idée de moratoire, elle montre à quel point pour lui, le solaire et l’éolien n’ont aucun intérêt en France. On retrouve la même vision dans sa BD. Vous vous souvenez de cette page sur le taux de retour énergétique ?
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, “Un monde sans fin”, Octobre 2021, pp.161-162 ]
A la page d’après, on lit que “le retour aux énergies renouvelables, même sophistiquées, ne permettra pas de garder une société d’abondance complexe, avec son système de santé, sa culture, telle que nous la connaissons”
Juste après, Jancovici nous décrit le nucléaire comme un “parachute”, qui nous permettra de “conserver une partie, et une partie seulement, de ce que nous avons aujourd’hui. Et d’amortir une chute trop brutale”.
“Je pense que la quantité de civilisation industrielle que nous allons conserver est liée, à une fraction significative, à la quantité de nucléaire que nous allons réussir à garder ou à développer”
Bon bah c’est très clair.
Juste après, toujours dans la même page 162 de sa BD, Jancovici se moque des antinucléaires qui refusent ce “parachute”
On voit ensuite plein de pseudos solutions pas prêtes, qu’il faudrait “tricoter” [NB : Erratum : dans la vidéo nous disons “bricoler”].
Et là, y a l’éolien. Oui l’éolien ! Pour Jancovici, l’éolien c’est au même niveau que l’hydrogène et les smart city.
Pour les probablement 1 million de personnes qui ont lu sa BD, le message est clair : l’éolien, ça sert à rien, c’est un truc qu’on “tricote” [bricole], c’est dans la famille des “trucs qui moussent” et qui “n’existent pas encore”.
Jancovici se moque des antinucléaires qui rejettent une énergie utile à la décarbonation, mais comme on l’a montré, il fait exactement pareil avec le solaire et l’éolien.
Produisons autant d’éoliennes et de panneaux solaires qu’on le peut pour décarboner la production mondiale d’électricité, et on verra plus tard pour se débarrasser des fossiles dans les usages les plus délicats. Surtout qu’en parcourant la chaîne de production du solaire, on s’est rendu compte que ce problème de “l’imbrication dans les énergies fossiles” est largement surestimé par Jancovici et par Jean-Baptiste Fressoz, autre tenant de cette thèse.
Après avoir compris tout ça, après avoir “complété” le discours de Jancovici, notre vision des enjeux de la transition énergétique et du futur qu’on peut espérer construire n’est plus la même.
C’est vrai que le nucléaire aide à limiter le problème de l’intermittence, et à avoir les qualités des renouvelables, notamment leur faible coût, sans certains de leurs défauts.
C’est vrai que la sobriété nous aide, en baissant nos besoins d’énergie, de métaux, de matières.
Mais c’est au moins tout aussi vrai que, à l’échelle mondiale, le solaire et l’éolien sont parmi nos meilleurs outils, nos meilleurs parachutes, pour nous passer des énergies fossiles. Et en France, comme aucune centrale nucléaire ne sera construite avant 10-15 ans au plus tôt, si on veut plus d’électricité, il nous faut du solaire et de l’éolien, et pas des moratoires.
En réalité, on n’a pas besoin de choisir entre nucléaire, sobriété, solaire et éolien. On peut et, d’après nous, on doit utiliser tous les outils qui sont à notre disposition pour réussir la transition.
En proposant une image déformée et erronée du solaire et de l’éolien, Jean-Marc Jancovici ferme des portes à son public.
Il construit un monde où seuls le nucléaire et la sobriété ont leur place, un monde où comme le montrent sa BD et de nombreuses conférences, “notre niveau de vie et de confort sera divisé par n’importe quoi entre 5 et 40”.
[ SOURCE : Jean-Marc Jancovici, “7 – Énergies renouvelables – Cours à l’École des Mines”, mai 2019, 26ème minute ]
Mais il manque une jambe, un “parachute” au monde de Jean-Marc Jancovici : les énergies solaires et éoliennes.
Quand on regarde leur déploiement, on se dit que si le monde continue à en installer partout et pour pas cher, l’effondrement énergétique et économique que nous promet Jancovici n’est pas inéluctable.
Lorsqu’il parle du solaire et de l’éolien, Jancovici tait ou tord la vision des renouvelables de la même manière que des organisations comme Greenpeace déforment celle du nucléaire.
Et croyez moi, dire ça fait mal au coeur. On aimerait beaucoup que Jean-Marc Jancovici soit à la hauteur de tout ce qu’il nous a apporté, de tout ce qu’il nous a appris.
On aimerait qu’il révise son discours et le mette au niveau des réalités et de la science la plus récente.
On aimerait qu’il ne devienne pas incapable de faire évoluer son avis, comme ces antinucléaires bornés dont il s’est si souvent moqué.
On aimerait que son discours sur le solaire et l’éolien ne devienne pas un obstacle à la transition en France, et qu’il puisse continuer à nous faire avancer collectivement.
Et quelle que soit sa réaction à ces critiques argumentées, une leçon qu’on aimerait que chacun tire de nos vidéos, c’est à quel point c’est important de diversifier ses sources d’information.
Le réchauffement climatique, la transition énergétique, le rôle du nucléaire, des renouvelables, de la voitures électriques, tous ces sujets sont tellement majeurs pour notre avenir à tous qu’on ne peut pas les aborder en écoutant un unique son de cloche. Même les esprits les plus brillants peuvent se tromper.
Sur le climat et l’énergie, on peut recommander certains comptes qui partagent notre rigueur intellectuelle et qui proposent un autre son de cloche que Jancovici.
Sur les renouvelables, et l’énergie en général, en Français, on vous recommande chaudement la chaîne du Réveilleur, ou d’Ecologie Rationnelle mais aussi les comptes Twitter de Damien Salel, de Nicolas Goldberg, ou de Greg de Temmerman pour ne citer que quelques noms.
Vous pouvez aussi suivre les rapports du Shift Project, cofondé par Jancovici, qui fait un super boulot.
Et pour Jancovici lui-même, le but de notre critique n’est pas du tout de vous dire de ne pas l’écouter. Il reste un vulgarisateur hors pair, précieux sur de nombreux sujets, et on espère qu’il va continuer à apporter sa pierre au débat public pendant de nombreuses années, mais si possible, en acceptant d’évoluer 🙂