Généraliser les voitures électriques : de quoi parle-t-on ?
Plusieurs scénarios existent pour anticiper ce que serait un monde où la voiture électrique se généraliserait. Nous retenons les projections que donne l’Agence internationale de l’énergie dans le chapitre “Transport” de son Energy Technology Perspectives 2017 qui envisage la décarbonation dans plusieurs secteurs. Dans ce rapport, on trouve à la page 223 la figure 5.3 qui montre le nombre de voitures particulières (LDV = light duty vehicle) selon les motorisations et les scénarios de décarbonation.
On voit d’abord qu’aujourd’hui, entre 1 milliard et 1.5 milliards de voitures particulières circulent dans le monde. L’extraordinaire majorité roulent au diesel ou à l’essence. On voit aussi que le scénario de transition le plus ambitieux – le scénario B2DS qui cherche à maintenir le réchauffement climatique sous les + 1.75° – prévoit près de 2 milliards de véhicules électriques en circulation en 2060.
Dans cette vidéo, “généraliser la voiture électrique” signifie donc produire entre 1 et 2 milliards de voitures électriques.
Y’aura-t-il assez de métaux rares ?
La première question à se poser pour voir s’il est raisonnable de “généraliser la voiture électrique” est celle des métaux rares consommés par la batterie.
Pour réfléchir à cette question, il faut donc connaître quels métaux sont utilisés pour produire les batteries des véhicules électriques actuels.
La chimie de batterie la plus utilisée est la batterie dite “Lithium-ion NMC”. Dans cette batterie, la cathode est composée de nickel, de manganèse et de cobalt. Cette batterie NMC représente au moins 54 % des ventes des batteries de véhicules électriques (p.20).
Il nous faut donc étudier la disponibilité de trois métaux : le lithium et le cobalt.
On évacue le manganèse car il est utilisé en quantité négligeable dans les cathodes des batteries NMC. Nous nous permettons d’évacuer également la question du nickel parce que peu de spécialistes s’inquiètent de la disponibilité de ce métal.
Pour chaque métal, évaluer si le stock disponible est suffisant pour généraliser le choix de la voiture électrique suppos d’estimer deux paramètres : la demande de métal nécessaire à généraliser le choix de la voiture électrique et les réserves en métal.
Commençons par le métal le plus critique : le cobalt.
Le cobalt
Le cobalt est incontestablement le métal le plus “critique” utilisé aujourd’hui dans les batteries de véhicules électriques.
Il l’est d’abord parce qu’aujourd’hui, près des deux tiers de la production mondiale est concentrée en République Démocratique du Congo (ex Zaïre).
La RDC est une région politiquement instable et les installations minières sont mal organisées, emploient parfois des enfants et ont des standards environnementaux bas.
Il y a donc des problème de niveau de production, des enjeux pour le contrôle stratégique des mines et un problème d’image pour les constructeurs qui utilisent du cobalt de la RDC.
L’approvisionnement en cobalt pose donc, dès aujourd’hui, certaines questions importantes
Quelles sont les prévisions pour le futur ?
Nous nous basons sur le travail de Fabien Perdu, un chercheur au Laboratoire d’Innovation pour les Technologies des Energies nouvelles et les Nanomatériaux (LITEN) du Centre d’énergie atomique de Grenoble et spécialiste des batteries et du stockage de l’énergie.
Dans une présentation donnée à l’université d’été de l’association Sauvons le climat, Fabien Perdu donne les données suivantes (page 36) :
Sur ce graph, il faut regarder la colonne rouge. Elle montre, en rouge foncé, les réserves de cobalt et en rouge clair les ressources.
Les réserves de cobalt (rouge foncé) désignent la quantité de cobalt exploitable dans les conditions économiques (prix, rentabilité) et techniques (type de mine, de raffinage, etc.) d’aujourd’hui.
Les ressources de cobalt (rouge clair) indiquent la quantité totale de cobalt que les géologues supposent aujourd’hui. C’est donc un maximum théorique. Si l’exploration minière progresse ou si la demande en cobalt augmente, il est possible que les ressources de cobalt augmentent également.
Il est important de comparer la colonne rouge avec le trait horizontal rouge qui indique “50 tWh”. Ce trait indique la quantité de métal nécessaire pour produire 50 tWh de batterie NMC soit 1 milliards de véhicules électriques équipés d’une batterie de 50 kWh.
On voit donc que les réserves (rouge foncé) de cobalt ne permettent pas de construire 1 milliard de batterie de 50 kWh. En revanche, si on considère les ressources en cobalt (rouge clair) on voit qu’elles ne suffisent pas à effectuer 5 remplacements de la flotte de 1 milliard de batterie (250 tWh) mais elles permettent déjà de construire environ 150 tWh de batterie NMC soit 3 milliards de véhicules électriques.
On comprend donc qu’il y a bien un problème de stock cobalt – nos réserves actuelles ne permettent pas de produire 1 milliard de batteries. Ce problème n’est, en revanche, pas insurmontable. Nous avons 30 ans avant que ce milliard de voiture électrique soit produit et d’ici là, il est probable que nous exploitions aussi les “ressources” de cobalt et même que les géologues en découvrent de nouvelles.
C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est produit avec le lithium.
Le lithium
Pendant longtemps, on s’inquiétait des réserves et ressources en lithium. Il y avait de quoi vu que, pour le moment, le lithium est d’une importance capitale. Il s’agit, et de loin, du meilleur métal pour construire les batteries. Il est très léger et permet de stocker une grande quantité d’énergie. Un problème d’approvisionnement sur le lithium pourrait fragiliser l’industrie numérique, tout le hightech embarqué et l’avenir des véhicules électriques.
Beaucoup de publications – dont celle de Fabien Perdu – faisaient état jusqu’à récemment d’un problème d’approvisionnement sur le lithium. Un rapport récent de l’ADEME montre même (page 57) d’électrifier 70% des véhicules pourrait consommer quasiment l’intégralité des réserves en lithium (il n’en resterait que 8% une fois le parc automobile construit).
Ces publications alarmistes se base sur les données du Bureau géologique américain qui donnait dans son US geological survey de 2017 des ressources en lithium de 53 Mt. Cette évaluation ne prenait pas en compte les gisements boliviens – parmi les plus importants du monde – et, surtout, précède la découverte du plus grand gisement de lithium du monde au Mexique.
Il faut donc considérer des estimations plus récentes. Nous suivons ici l’article très détaillé écrit en 2019 par le département de géologie de l’Ecole normale supérieure de Lyon.
Selon les chercheurs, les données les plus pertinentes sont celles de la Deutsche Bank.
Dans cet article, nous prendrons en compte les données de la Deutsche Bank qui paraissent plus réalistes et qui donnent des ressources mondiales en 2017 de 273 Mt Li.
Ce chiffre de 273 Mt est à mettre en parallèle avec les 14 Mt nécessaires selon l’ADEME pour électrifier 70 % des véhicules dans le monde. Si on prend en compte ces chiffres, les ressources de lithium (pas les réserves) permettraient de remplacer plus de 15 fois l’ensemble des batteries.
Il y aurait donc tout à fait assez de lithium pour généraliser le choix de la voiture électrique.
Les progrès dans la chimie des batteries.
D’autant que, ne l’oublions pas, la chimie des batteries peut progresser en efficacité et ainsi diminuer notre besoin en métaux rares.
On remarque déjà cette évolution avec les dernières batteries de Tesla, les 2170 qui utilisent seulement 2.8 % de cobalt – contre 8% minimum chez les concurrents. Habitués des fanfaronnades d’Elon Musk, un laboratoire allemand a décortiqué les batteries pour vérifier si ces affirmations étaient exactes. Le laboratoire a confirmé ce chiffre : les batteries Tesla-Panasonic parviennent à descendre la concentration en cobalt a seulement 2.8 %.
Si les batteries consomment moins de cobalt par kWh, les réserves et ressources actuelles de cobalt permettreront donc d’équiper plus de voitures que dans les hypothèses précédemment envisagées.
Les recherches sur le recyclage
Autre piste pour améliorer encore nos stocks de métaux : le recyclage des batteries.
Pour le moment, de nombreuses difficultés existent et les métaux contenus dans les batteries sont encore très peu recyclés.
C’est pourquoi de nombreux projets de recherches sont actuellement financés. Ils explorent notamment la piste de concevoir les batteries pour favoriser leur recyclage futur.
Dans cette ligne, un projet de recherche associe BASF (fabriquant de batterie), Eramet (entreprise de recyclage et d’extraction métallique) et Suez (professionnel de la collecte et de la gestion des déchets) afin de concevoir des batteries performantes et faciles à collecter, démonter et recycler.
De nombreux projets du même type existent dans le monde, on en sait pas encore quelle technologie fonctionnera mais il est probable que le recyclage progresse beaucoup dans les prochaines années.
Généraliser la voiture électrique va-t-il faire exploser la demande d’électricité ?
Répondre à cette question est un jeu d’enfant parce qu’une étude toute récente existe. Elle a été faite par l’institution la plus indiquée pour répondre à ce problème : RTE, le gestionnaire du réseau électrique français.
Considérons le pire scénario envisagé par RTE, le scénario dit “Forte – haut – 2035”. Voici les hypothèses retenues (page 24).
Voilà l’avis de RTE pour que le réseau électrique puisse supporter ce “scénario du pire” en 2035. Nous vous le reproduisons in extenso, vous le trouverez page 25 du rapport.
Les points de vigilance sur la sécurité d’approvisionnement sont essentiellement une conséquence d’un faible développement du pilotage de la recharge, notamment à domicile. Un développement plus important (55 % au lieu de 40 %) que dans les hypothèses du scénario suffit à éviter tout problème de sécurité d’approvisionnement.
Les 15.6 millions de véhicules ne feront augmenter la consommation que de 45 tWh (soit 7% de la consommation électrique projetée en 2035 (voir p.18)). Et leur recharge ne posera aucun problème à RTE si 55 % de ces véhicules se chargent la nuit, en heure creuse.
Pas de souci du côté de l’approvisionnement électrique.
La pollution de l’air
Les voitures électriques ont un avantage énorme pour la pollution de l’air : elles n’ont pas de pot d’échappement et, par conséquent, n’émettent pas de particules fines liées à la combustion.
Les particules fines (PM10 ou PM2.5 de leur petit nom) sont responsables de nombreuses maladies respiratoires (asthme, bronchites etc.) et de près de 50 000 morts prématurées en France chaque année.
Les voitures électriques sont donc très bonnes pour la pollution de l’air. Les seules particules qu’il restera sont celles liées à l’abrasion des routes, des pneus et des plaquettes de frein. Si l’on en croit cette étude d’Airparif, ces particules fines “irréductibles” représentent 41 % des particules fines liées au trafic routier francilien en 2012 (page 12).
Les autres pollutions ?
Qu’en est-il alors des autres pollutions ? Miner les composants des batteries, les raffiner et assembler les batteries est une activité industrielle qui occasionne des dommages sur l’environnement.
Ces dommages n’existent pas pour les véhicules thermiques. Les véhicules thermiques occasionnent l’essentiel de leur pollution à l’usage, lors de la combustion de l’essence ou du diesel.
L’étude la Fondation pour la nature et l’homme et de l’European Climate Fundation donne deux indicateurs pour comparer les pollutions induites par les voitures électriques et les voitures thermiques : le potentiel d’acidification et le potentiel d’eutrophisation.
Ces deux indicateurs permettent d’avoir une idée de l’appauvrissement des milieux naturels et donc, des impacts sur la faune et la flore. Ce sont des indicateurs synthétiques – il y a donc des marges d’erreur.
L’acidification et l’eutrophisation proviennent surtout des dioxydes de soufre (SO2), des dioxydes d’azote (NOx) Concrètement, ces molécules se transforment en sulfates et en nitrates qui polluent les rivières, les sols, bouleversent les écosystèmes (coucou les algues vertes).
L’étude donne pages 92 et 93 les résultats pour comparer les pollutions induites par les voitures électriques et thermiques.
On y voit que les voitures électriques (citadines ou berlines) génèrent plus d’acidification et d’eutrophisation que les voitures thermiques.