Aujourd'hui, le bois, considéré comme une énergie renouvelable et bas carbone, est massivement subventionné dans l'UE pour produire de l'électricité. Alors : les centrales au bois, est-ce une bonne idée ?
Aujourd’hui l’Union Européenne accorde d’importantes subventions au bois utilisé pour produire de l’énergie. Selon un rapport de l’ONG néerlandaise Trinomics, le bois énergie a reçu plus de 6 milliards d’euros de subventions en 2017. 5.5 milliards sont allés soutenir l’usage du bois dans les centrales électriques et à cogénération (CHP) chaleur-bois.
En particulier, ces importantes subventions publiques sont allés soutenir la conversion de centrales électriques au charbon en centrale à bois (solid biomass). Cette transformation subventionnée a fait la fortune du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
Grâce à ce soutien massif, la production d’électricité au bois par 5 dans l’Union Européenne depuis 2000.
Le pays qui a le plus développé le bois électricité, c’est le Royaume Uni. Au Royaume-Uni, la biomasse solide (l’autre nom du bois) a fourni 11.3 % de l’électricité en 2019.
Le bois a été subventionné pour fournir de l’électricité pour une raison principale : le bois est considéré comme une source d’électricité bas carbone.
Le bois est constitué pour moitié de carbone. On pourrait s’attendre à ce que le brûler émette énormément de gaz à effet de serre.
Pourtant, depuis les négociations de Kyoto en 1997, le bois est considéré, dans les conventions climatiques, comme une source d’énergie bas carbone.
La raison ? On considère que, dès lors qu’un arbre est replanté pour remplacer le bois brûlé, les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont annulées : l’arbre qui repousse recaptant le CO2 émis. Le règlement de l’UE sur les GES adopté en 2018 suit ces recommandations
Bien entendu le bois n’est pas absolument zéro émissions.
Déjà, il faut absolument que l’arbre coupé soit replanté. S’il ne l’est pas, il y a eu déforestation et les émissions correspondantes doivent être reportées dans le secteur de “l’affectation et de l’usage des sols” (UTCATF).
Ensuite, même sans compter les émissions de la combustion, produire du bois et l’acheminer à la chaudière émet des GES.
En comptant toutes ces émissions indirectes, l’ADEME évalue que le bois utilisé pour produire de l’électricité émet entre 14 et 41 gCO2e/kWh. De telles émissions placent incontestablement le bois parmi les sources d’électricité bas carbone.
Le problème c’est qu’en sortie de chaudière, immédiatement après la combustion, la centrale a bois a énormément émis.
Quand on compte les émissions en sortie de chaudière, une centrale électrique au bois émet 1.5 fois plus de GES que l’électricité au charbon, 2 fois plus que l’électricité au pétrole et 3 fois plus que l’électricité au gaz.
Toute la question, c’est COMBIEN de temps faut-il attendre pour que la forêt qui repousse COMPENSE les émissions de la combustion ? Est-ce instantanée comme le retiennent les conventions comptable ou non ?
Poser la question du temps nécessaire à la captation du carbone va à rebours des conventions internationales et d’une partie de la littérature scientifique.
Une méta-analyse de 2020 montre que, même dans les études scientifiques, le bois est supposé “carbon neutral”. Seule une poignée d’études scientifiques prennent en compte le temps de la repousse et le carbone des forêts (biogenic carbon). Pourtant, la gestion forestière (choix arbres, type coupe et usage du sol) est décisive pour expliquer émissions “biogenic” du bois électrique.
En février dernier, 500 scientifiques ont adressée une lettre à l’UE et aux USA pour que cette question de la neutralité carbone du bois soit réexaminée. Il faut savoir combien de temps la forêt met-elle à compenser les émissions de la combustion.
Pour y répondre, beaucoup de paramètres entrent en compte : Quel est le bois brûlé ? Est-ce du bois entier ou du bois de résidus ? Provient-il de forêts à croissance lente ou de plantations à croissance rapide ?
Si les granulés sont produits à partir de résidus de scieries ou même des petites branches, des résidus de forêts, l’impact CO2 du bois électricité sera meilleur. Ce scénario “bois résidus” est envisagé par certaines études scientifiques. Citons notamment celle-ci – Hanssen 2016 – qui trouve que le bois électrique émettra moins que l’électricité fossile européenne en moins de 30 ans.
Nous pensons cependant, suivant la lettre des 500 scientifiques, que le scénario “bois résidus” n’est pas celui à prendre en compte. En cas de développement de l’électricité au bois la demande de bois va augmenter et, pour la satisfaire, il faudra nécessairement convertir des forêts ou utiliser du bois “entier” dont l’usage premier sera la transformation en granulés pour produire de l’électricité.
Dans cette perspective, nous retenons ici une étude de 2018 [ Sterman 2018 ] sur les granulés de bois américains. Cette étude a le mérite de modéliser très bien la pousse de 8 forêts américaines, incluant aussi le carbone séquestré dans les sols.
L’étude distingue deux grands cas : un bois issu de forêt et un bois issu de plantations d’arbres à croissance rapide. Dans chacun de ces deux cas, les “Supplementary materials” (Table 7), nous indiquent quel pourcentage de CO2 initial a été recapté au bout de 100 et 500 ans. Nous envisageons ici deux scénarios, le scénario S2 qui suppose que 25 % des parcelles sont coupées à chaque coupe et le scénario S3 qui, lui, suppose de “coupes rases”, c’est-à-dire des parcelles coupées entièrement.
Nous voyons ici que, dans le cas du bois issu d’une forêt, la forêt mettra entre 63 et 87 ans (S2 et S3 respectivement) à recapter assez de carbone pour que l’électricité au bois émette autant que celle au charbon. Au bout de 100 ans, la forêt aura capté entre 51 et 61 % du CO2 émis (S3 et S2 respectivement) et au bout de 500 ans, la forêt aura capté 91.6-8 % du CO2 émis.
Pour le bois plantation à pousse rapide, il faut entre 4 et 12 ans pour que le bois soit aussi émetteur que le charbon. Au bout de 100 ans, ce bois a pousse rapide aura recapter 92-94 % du carbone émis.
Appliquons maintenant ces “réductions” à notre schéma d’émissions.
Nous voyons que même dans le cas le plus favorable : un bois de plantation à pousse rapide récolté sans coupe rase, le bois électricité émet toujours 113 g CO2/kWh soit 10 fois plus que les sources réellement bas carbone d’électricité.
Et ce cas là est extrêmement favorable. Il fait comme si les plantations n’avaient jamais remplacé de forêts.
Il faut comprendre que la forêt d’arbres à croissance rapide stocke beaucoup moins de CO2 qu’une forêt naturelle.
C’est vrai d’abord du sol. La plantation stocke aussi moins de CO2 dans le sol que la forêt naturelle. Ça a son importance, la moitié du CO2 stocké dans les forêts, l’est dans le sol.
Une forêt – ou une prairie d’ailleurs – c’est 80t de carbone à l’hectare, contre seulement 50 pour une plantation
Et c’est vrai dans les arbres. Un pin à croissance rapide stocke moins de carbone dans son tronc et ses feuillages qu’un chêne ou même qu’un pin classique.
Au total, une plantation stocke de 20 à 60 % moins de carbone qu’une forêt tempérée (p.48). Transformer une forêt ou une prairie en plantation, c’est donc créer une dette carbone qu’on ne repayera jamais.
C’est une perte sèche pour le climat qui, n’est malheureusement jamais prise en compte dans les calculs d’émissions carbone d’électricité au bois. Les 113 gCO2/kWh du bois plantation au bout de 100 ans cités plus haut n’en tiennent pas compte. Il s’agit donc d’une estimation minorée.
Dans les statistiques globales d’émissions, baisser le stock de carbone global en transformant une forêt en plantation doit être compté comme de la déforestation.