Les chiffres de l’évasion fiscale dans le monde
Les estimations les plus précises de l’évasion fiscale sont données par l’économiste français Gabriel Zucman, grand spécialiste de l’estimation de l’évasion fiscale. Dans son livre La Richesse cachée des nations (2018) il estime la richesse dissimulée dans les paradis fiscaux à 7 900 milliards d’euros.
L’estimation de Gabriel Zucman est prudente. L’ONG britannique Tax Justice Network estime se son côté que la richesse stockée offshore se se situerait plutôt entre 18 200 et 29 400 milliards d’euros !
Mais même si on retient l’estimation “basse” de Gabriel Zucman l’évasion fiscale des particuliers représente des sommes colossales. Au niveau mondial, 8 % du patrimoine financier est détenu dans les paradis fiscaux. Dans l’Union Européenne, cette proportion monte même à 11% (SOURCE : La richesse cachée des nations, 2018, Tab4)
Ces 7 900 milliards d’euros occasionnent d’importantes pertes fiscales pour les États. En retenant une hypothèse “prudente” (25 % de la richesse dans les paradis fiscaux serait déclarée), les États du monde entier perdraient au total 155 milliards d’euros chaque année à cause de la triche des particuliers.
Les chiffres de l’évasion fiscale en France
Dans son livre La richesse cachée des nations Gabriel Zucman donne des estimations très précises du coût de l’évasion fiscale française.
Les Français possèdent 387 milliards d’euros dans les paradis fiscaux. Ils représentent 17.25 milliards d’euros de pertes fiscales pour l’État français, si l’on suit l’hypothèse que 25 % de la somme est déclarée au fisc français.
Ces 17.25 milliards d’euros que les tricheurs évitent de payer touchent 3 impôts
Le plus gros morceau, c’est l’impôt sur le revenu. La perte d’impôt sur le revenu est estimée à 9.5 milliards d’euros en 2016
Le second morceau, c’est les pertes d’impôts sur la fortune. En 2016, les euros cachés à l’étranger ont permis aux ultra riches d’éviter 4.5 milliards d’euros d’ISF. Ce chiffre est d’une importance colossale parce que l’ISF collecté en 2016 était, si l’on en croit les documents budgétaires (p.52), atteignait les 5 milliards d’euros. La triche des ultra riches, l’évasion fiscale, a donc divisé l’ISF quasiment par deux.
Enfin, l’évasion fiscale des ultra riches permet d’éviter 3 milliards d’euros d’impôt sur l’héritage et les successions.
La Cour des comptes (p.71) nous apprend qu’en 2016, l’impôt sur le revenu collecté au total en France représentait 71.75 milliards d’euros. Les 17.25 milliards de pertes fiscales représentent donc 24 % du total de l’impôt sur le revenu.
Autre manière de se représenter l’importance de cette perte fiscale serait de la représenter “par Française et par Français”. Divisons donc les 17.25 milliards d’impôts évadés par les tricheurs par les 37.7 millions de contribuables que comptaient la France en 2016. On obtient le généreux total de 464 €. Si vous préférez l’avoir par mois, on a donc, en arrondissant un peu, 40 € par mois que coûte l’évasion fiscale à chaque contribuable français.
Qui pratique l’évasion fiscale ?
Évidemment, savoir qui cache son argent dans les paradis fiscaux n’est pas chose aisée. Cependant, grâce aux Swissleaks – qui ont révélé des dizaines de milliers de comptes et clients d’HSBC, – grâce aux Panama Papers, ou encore aux Paradise Papers, on commence à disposer d’assez de données pour connaître le profil des évadés fiscaux.
Gabriel Zucman, une économiste norvégienne et un économiste danois ont mené une recherche spécifiquement sur ce sujet en se centrant sur les contribuables scandinaves exposés dans les données des différentes leaks. Leur article de 2018 porte le titre on ne peut plus explicite de “Qui possède de l’argent dans les paradis fiscaux ?”
A la lecture de leur enquête, un constat s’impose, les 7 900 milliards d’euros dissimulés dans les paradis fiscaux ils appartiennent aux méga riches.
A la lecture de l’article (particulièrement celles contenues dans le tableau TA.9b) les chercheurs estiment que 51.6 % de l’argent détenu dans les paradis fiscaux appartient aux 0.01 % les plus riches. Les 0.1 % les plus riches détiennent eux 76.9 % des capitaux offshore.
Pour mieux se représenter qui sont les 0.01 % et 0.1 %, voici quelques indications pour la France. Elles nous viennent du World Inequality Report 2018 (p.222)..
En France, les 0.01 % les plus riches sont les 5 170 ménages qui possèdent un patrimoine supérieur à 26.7 millions d’euros (55.7 millions en moyenne). Si nous suivons les estimations de Zucman et de ses collègues, ces ménages seraient responsables de 51.6 % de l’évasion fiscale française.
Les 0.1 % les plus riches sont les 51 700 ménages possédant plus de 7.6 millions de patrimoine (16.5 millions en moyenne). Ces ménages concentreraient 76.9 % des sommes évadés par des Français.
Ces groupes sociaux dissimulent nécessaire une grande partie de leur fortune dans les paradis fiscaux. Voici les estimations fournies par Zucman et ses coauteurs (Main data, DataF7).
Ce graphique nous montre, en bleu, la part de la richesse totale des ménages officiellement détenue par les 0.01 % et les 0.1% de ménages les plus riches. Et en rouge, vous avez le “bonus” que représente l’évasion fiscale !
On voit que les 0,01% n’ont en réalité pas 3,7% de la richesse nationale mais 5,2%. 30% de leur richesse est donc cachée dans les paradis fiscaux ! Et les 0,1 % les plus riches n’ont pas 9,8% de la richesse, ils en ont 12. La différence entre les deux, c’est 20% de leur patrimoine qui est offshore.
Tous les pays ne se valent pas
Cela dit, les méga riches ne trichent pas tous et, surtout, ils ne trichent pas autant dans tous les pays. Dans certains pays, l’évasion fiscale reste marginale. Dans d’autres elle est carrément la règle. Cela se remarque en coup d’œil sur ce graphique tiré des données de l’article de Zucman et ses coauteurs.
Le patrimoine particulier détenu offshore représente 1.2 % du PIB en Corée du Sud mais 73.1 % aux Émirats Arabes Unis. Les deux situations n’ont donc absolument rien à voir.
Quelques commentaires. On remarque d’abord que les pays concernés par une évasion fiscale importante sont des pays plutôt instables politiquement et économiquement.
Seconde remarque, la France n’est absolument pas un “bon élève”. En 2007, les ultra-riches français pratiquaient davantage l’évasion fiscale (15.4 %) que la moyenne mondiale (9.8 %). Un pays comme les Etats-Unis s’en sort bien mieux : l’évasion fiscale n’y atteignait “que” 7.3 % du PIB.
Que fait-on pour mettre fin à l’évasion fiscale ?
Nous ne sommes pas les premiers à vouloir en finir avec l’évasion fiscale injuste et coûteuse.
Après 2008 et la crise économique, c’est même devenu un lieu commun dans la bouche de nombreux dirigeants politiques.
Que s’est-il passé en réalité après 2008 ?
Et bien pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut savoir que juste avant la crise, en 2007, près de la moitié de la thune des paradis fiscaux était entassée dans un seul pays : la Suisse.
En 2008, les Etats-Unis ont mis un énorme coup de pression à la Suisse. Ils ont sanctionné les banques suisses, les ont forcées à leur fournir l’identité de tous leurs clients américain et en quelques années, la richesse détenue par les américains en Suisse s’est effondrée.
Du côté de l’UE, la pression sur la Suisse a aussi provoqué des changements. Dès 2009, la Suisse a mis fin à son sacro saint secret bancaire vis à vis de l’UE et d’autres pays riches. L’identité des clients des banques suisses n’était plus secrète.
Et après des années de négo, la Suisse a fini par mettre en place en 2018 avec l’UE et d’autres pays riches un échange automatique de données sur leurs détenteurs de comptes. Quel bilan pour ces mesures ?
Après 2008, la Suisse a bien perdu en intérêt pour les fraudeurs. D’autres “parasites fiscaux” ont grignoté des parts de marché à la Suisse.
Ce recul de la Suisse s’est fait surtout au profit de paradis fiscaux situés en Asie, à Hong Kong et à Singapour principalement. Les autres gagnants, c’est les paradis fiscaux américains, les îles caïmans… ou les Etats-Unis.
Les Etats-Unis sont bien un paradis fiscal. D’après le classement de l’organisation Tax Justice Network, ils se classent maintenant à la seconde marche du podium qui récompense les pires paradis fiscaux, les plus opaques, ceux où il est le plus facile de frauder etc. Les Etats-Unis sont médaille d’argent, derrière les Îles Caïmans certes mais devant la Suisse, médaille de bronze.
Attention, le paradis fiscal suisse ne s’est pas effondré, loin de là. La Suisse s’est adaptée aux nouvelles règles, ils ont trouvé une astuce pour continuer leur business. L’astuce, c’est de transformer les comptes détenus par des individus en compte bancaires détenus par des sociétés écrans. Ces sociétés écrans, elles sont elles mêmes domiciliées dans d’autres paradis fiscaux méga secrets, comme Panama ou les Seychelles. Résultat : le titulaire individuel du compte est intraçable.
Cette astuce est visible de manière éclatante dans ce graphique tiré de La Richesse cachée des nations de Gabriel Zucman.
Quand on voit l’évolution des deux types de compte en parallèle en Suisse depuis les années 1980, on voit très clairement que les sociétés écran (en rouge) ont progressivement remplacé les comptes individuels (en bleu) et que ça s’est méga accéléré avec les mesures mises en place dans les années 2000-2010.
Et d’une manière général, les sommes placées dans les paradis fiscaux n’ont fait qu’augmenter.
Entre 2007 et 2015, au moment où on était censé mener la grande lutte à mort contre les paradis fiscaux, la richesse mondiale détenue sur des comptes offshore a en réalité augmenté de 36%. [SOURCE : “Who owns the wealth in tax havens?”, T.A2c].
Évidemment, des solutions existent pour mettre fin à cette évasion fiscale terribles des particuliers. Cliquez sur l’image pour écouter Gabriel Zucman vous expliquer son idée de cadastre mondial du patrimoine financier.