Pour le climat, faut-il la décroissance ? - Osons Comprendre

Pour le climat, faut-il la décroissance ?

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Alors que la quasi totalité des pays s'est engagée à limiter le réchauffement climatique, la croissance économique des pays riches semble incompatible avec ces enjeux. La décroissance est-elle une nécessité ? Peut-on sauver le climat sans sacrifier notre niveau de vie, voire en l'améliorant ?

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Points clés

  • De nombreux chercheurs et experts (de Jean-Marc Jancovici à Thimotée Parrique en passant par Jean-Baptiste Fressoz, Jason Hickel ou Tim Jackson) défendent l’idée que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à un rythme compatible avec des objectifs climatiques ambitieux, les pays riches devront impérativement en passer par la décroissance de leur PIB. Dans cette vidéo, nous nous proposons de vérifier la validité de cette thèse : est-il certain que la décroissance des économies est impérative pour tenir des objectifs climatiques ambitieux ?

 

  • On observe d’abord que, si le PIB et les émissions de CO2 ont évolué conjointement jusqu’aux années 1980, on assiste depuis à un découplage relatif : le PIB mondial croît plus vite que les émissions. Certains pays ont réussi le découplage absolu : faire décroître leurs émissions (même en prenant en compte les émissions importées) tout en conservant de la croissance économique. On aimerait savoir si ce découplage absolu s’observe à un rythme suffisant pour tenir les objectifs de l’accord de Paris :  limiter le réchauffement climatique “nettement sous les 2°” et “poursuivre les efforts en vue de limiter cette augmentation à 1,5°C”.

 

  • Les politiques climatiques actuellement décidées par l’Union Européenne amènent déjà à une division par plus de 3 des émissions de CO2 d’ici à 2050. C’est encourageant, mais bien loin de ce qui est nécessaire pour respecter l’objectif de maintenir le réchauffement sous les 1.5°. Pour savoir où se situent les politiques climatiques actuelles des pays européens par rapport à l’objectif de “nettement sous les 2°”, nous avons sélectionné parmi la base de scénarios climatiques du GIEC de 2022, les 44 scénarios 2° les plus justes et prudents. Ces scénarios “2° 67%” amèneraient le monde à 1.6° de réchauffement climatique en 2100. Comment les politiques climatiques actuelles de l’UE se situent-elles par rapport à ces 44 scénarios climatiques exigeants ?

 

  • Jusqu’à 2035, les politiques climatiques actuelles de l’Europe sont compatibles avec ces 44 scénarios 2°. Après cette date en revanche, l’UE est hors des clous. Cela dit, les pays européens viennent de signer les directives climatiques du “fit for 55” qui visent à implémenter des politiques climatiques ambitieuses jusqu’à 2030. S’ils se conforment à ce “fit for 55”, les pays européens suivront une trajectoires climatiques jusqu’à 2050 compatible avec celle que leur attribuent nos 44 scénarios 2° justes et prudents. Parvenir à tenir les 2° tout en conservant de la croissance économique est une bonne nouvelle, mais c’est loin de l’objectif des 1.5° de l’Accord de Paris.

 

  • L’UE ne compte toutefois pas arrêter ses efforts climatiques en 2030. La Commission européenne négocie déjà avec les États l’objectif climatique pour 2040. Pour le moment, il est question d’une réduction de 90% des émissions par rapport à 1990, un “fit for 90” en somme. Si l’UE entérine cet objectifs et si les États parviennent à les tenir jusqu’à 2040, les émissions de CO2 de l’UE suivraient alors une trajectoire 2025-2050 compatible avec un réchauffement climatique sous les 1.5° – le tout, avec une croissance économique modérée.

 

  • Malgré les incertitudes qui accompagnent ce genre de prédiction, on peut néanmoins affirmer que, pour l’Union Européenne, rien indique que la décroissance du PIB soit nécessaire pour tenir des objectifs climatiques ambitieux. C’est donc aux tenants de la décroissance de faire la démonstration de sa nécessité. Est-ce à dire qu’il faut balayer d’un revers de main le discours des décroissants ?

 

  • Pas forcément. Si les politiques climatiques des États s’appuient exclusivement sur la décarbonation de l’énergie et les gains d’efficacité énergétique pour réduire leurs émissions, un autre levier, mis en avant par les tenants de la décroissance, peut aussi être activé : la sobriété. Réduire la demande de transport, moins consommer de bœuf ou d’objets, la sobriété est un outil indispensable pour s’assurer de tenir des objectifs climatiques. Diffuser les comportements individuels et collectifs de sobriété est aussi une assurance contre les visées climatosceptiques de leaders de droite et d’extrême droite. Voilà pourquoi il faut absolument conserver cet aspect du discours décroissant.

Sources et références

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Pour le climat, faut-il la décroissance ?

Aujourd’hui, tous les États de la planète cherchent à avoir de la croissance économique, les plus riches comme les plus pauvres veulent un PIB qui grossit.

En même temps, en signant l’Accord de Paris en 2015, presque tous les pays du monde se sont engagés à limiter le réchauffement climatique “nettement sous les 2°” et à “poursuivre les efforts en vue de limiter cette augmentation à 1,5°C”.

[ SOURCE : ONU – Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, Accord de Paris, 12 décembre 2015 Article 2, p.5 ]

Concilier les deux ambitions, plus de PIB et moins de gaz à effet de serre, c’est le projet de la “croissance verte”, de la “croissance soutenable” ou “durable”.

On peut ajouter d’autres impacts environnementaux que le climat à cette “croissance verte” comme la préservation de la biodiversité, de la richesse des sols ou des ressources en eau. Mais comme on l’a annoncé dans le titre, cette vidéo se concentrera sur le climat.

Pourquoi ? Parce que 10 ans après l’Accord de Paris, le monde est totalement hors des clous. Les politiques actuellement en place nous amènent tout droit vers un monde à +2.7° en 2100  – un monde à des années lumières de l’objectif de 1,5° de l’Accord de Paris

Ca pourrait même être bien pire, ces estimations datent d’avant l’élection de Trump, climatosceptique notoire à la tête d’un des pays les plus émetteurs du monde.

 

Devant cet écart dramatique entre les engagements des Etats et leurs actes, un certain nombre d’activistes et de chercheurs défendent l’idée que dans les pays riches, la croissance économique est incompatible avec la baisse des émissions de gaz à effet de serre. 

En France, on peut penser à Jean-Marc Jancovici – le plus visible – mais aussi à Jean-Baptiste Fressoz, ou encore à Timothée Parrique. Au niveau mondial, les plus connus sont l’anthropologue Jason Hickel et les économistes Tim Jackson et Julia Steinberger.

Les partisans de la décroissance, ou de la “post-croissance”, reconnaissent en général que les pays pauvres et en développement ont besoin de faire grandir leur économie pour répondre aux besoins de leur population. Pour eux, plus de PIB est nécessaire pour assurer les conditions d’une vie digne pour toutes et tous.

Mais la plupart de ces auteurs affirment que dans les pays riches, un plus grand PIB/habitant ne veut pas plus dire une meilleure qualité de vie.

Dans notre vidéo sur le PIB , on a vu que passé un certain niveau de PIB/habitant, plus de PIB ne veut pas dire moins de chômage, moins d’inégalités, plus d’espérance de vie ou encore plus de démocratie.

Par contre, plus de PIB, d’après les décroissants, ça veut forcément dire plus d’émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2.

C’est pour ça que les partisans de la décroissance proposent que les pays riches arrêtent de poursuivre la croissance économique, et acceptent même une décroissance de leur économie pour baisser les émissions au rythme nécessaire.

Pour que cette baisse du PIB soit autre chose qu’une terrible récession qui lamine les plus fragiles, les décroissants proposent généralement un ensemble de politiques publiques comme l’emploi garanti, la santé, l’école et les transports publics gratuits, etc.

 

Aujourd’hui, on ne va pas essayer de juger si le projet décroissant tient la route si la décroissance permettrait vraiment de faire décroitre les émissions plus rapidement, sans diminuer la qualité de vie de la majorité de la population. On ne va pas non plus chercher à savoir si ce projet peut réunir une majorité politique.

On va répondre à la question qu’il faut d’abord se poser : est-ce que les décroissants ont raison sur le diagnostic ?

Est-ce que la croissance économique des pays riches est incompatible avec les objectifs climatiques ?

En particulier, est-ce qu’en France et dans les pays de l’Union européenne, faire notre part pour le climat demande nécessairement de passer par un abandon de toute croissance économique, voire par une baisse du PIB ?

 

C’est ce qu’on va voir ensemble maintenant enfin, juste après ces remerciements.

On tient à remercier Rodolphe de la chaîne Le Réveilleur et Jean-Loup de la chaîne Après la bière d’avoir relu notre script. Et mention spéciale à Loïc Giaccone, chercheur et vulgarisateur scientifique spécialisé sur le climat qui a pris le temps de nous guider dans les méandres des scénarios climatiques du GIEC et de la littérature décroissante.

On est bien sûr les seuls responsables de ce qui est dit dans la vidéo mais gros big up à eux, leur aide a été super précieuse ! 🙂

 

Partie 1 : Plus de PIB, moins de CO2 : mission impossible ?

PIB et CO2 : d’un lien très fort… au découplage

 

Commençons par les bases. Pourquoi est-ce que croissance économique et baisse des émissions de gaz à effet de serre pourraient être incompatibles ?

On l’a expliqué en détail dans une des premières vidéos Osons Comprendre, la croissance économique qui a sorti plusieurs milliards d’êtres humains de l’extrême pauvreté entre le XIXème et le XXème siècle a demandé une croissance tout aussi impressionnante de la quantité d’énergie consommée, énergie qui alimente toutes les machines qui produisent notre monde moderne.

Comme plus de 80% de cette énergie a été fournie et est encore fournie aujourd’hui par les énergies fossiles : le pétrole, le charbon et le gaz, on comprend qu’historiquement, plus de PIB, c’est brûler plus de pétrole, plus de charbon et plus de gaz, et donc aggraver la principale cause des émissions de gaz à effet de serre.

De 1965 aux années 80, le PIB mondial et les émissions de CO2 augmentent au même rythme. Ils sont parfaitement “couplés”

Mais à partir des années 1990, même si PIB et émissions continuent à augmenter, les émissions de CO2 se mettent à augmenter moins vite que le PIB : c’est ce qu’on appelle un découplage relatif.

Ce découplage se résume en une grandeur : l’intensité carbone du PIB, c’est-à-dire la quantité de CO2 nécessaire pour produire un même $ de PIB. On observe que, depuis les années 70, cette intensité carbone du PIB mondial a diminué de moitié

Bien sûr, pour limiter le changement climatique, un découplage relatif ne suffit pas. Il ne faut pas seulement que les émissions augmentent moins vite. Il faut qu’elles baissent. Et il faut même que les émissions baissent assez vite pour tenir des objectifs climatiques !

Alors, est-ce qu’on peut avoir un PIB qui augmente et des émissions de CO2 qui baissent, autrement dit, un découplage absolu ?

La réponse est oui. Il y a des pays qui ont réussi à atteindre un découplage absolu entre PIB et émissions de CO2. Y a même 5 pays qui voient leurs émissions baisser et le PIB grimper depuis les années 1970, donc depuis un demi-siècle.

[ SOURCE : Lamb et al., “Countries with sustained greenhouse gas emissions reductions: an analysis of trends and progress by sector”, Climate Policy,  2021 ]

Il s’agit de la Suède, la Belgique, l’Allemagne, le Royaume-Uni… et la France

En France le PIB a été multiplié par 3 pendant que les émissions baissent d’un tiers. C’est d’autant plus encourageant que notre pays a réussi ce découplage sans même chercher particulièrement à réduire son impact climatique.

 

Mais ces courbes ont un défaut majeur : elles ne comptent que les émissions de CO2 réalisées sur le territoire de chaque pays.

Si les activités les plus émettrices de CO2 comme l’industrie ont été délocalisées dans d’autres pays, ce découplage “territorial” peut être super trompeur.

Voilà pourquoi, plutôt que de regarder les émissions réalisées sur le territoire français, on doit regarder les émissions associées à la consommation des Français – que ces émissions aient lieu en France, en Chine ou ailleurs. Les émissions de CO2 associées à la consommation de chacun des pays, c’est ce qu’on appelle l’empreinte carbone.

On ne la calcule que depuis les années 90, et ce qu’on remarque c’est qu’entre 2005 et 2015 – donc avant l’Accord de Paris – au moins 18 pays avaient déjà réussi à baisser leur empreinte carbone tout en augmentant leur PIB.

[ SOURCE : Le Quéré et. al., “Drivers of declining CO2 emissions in 18 developed economies”, Nature Climate Change, 2019 ]

18 pays, ça parait peu, mais ces pays représentaient alors près de 30% (28%)des émissions mondiales.

 

Le découplage PIB/CO2, comment c’est possible ?

 

Comment certains pays arrivent à augmenter leur PIB tout en faisant baisser leurs émissions “tout compris”, leur empreinte carbone ?

Pour le comprendre il faut décomposer notre intensité carbone du PIB.

La quantité de CO2 pour faire un $ de PIB (PIB / CO2) est égale à l’intensité énergétique du PIB ( = NRJ / PIB x) multipliée par le contenu carbone de l’énergie (CO2 / NRJ).

 

Faire baisser l’intensité énergétique du PIB, c’est utiliser moins d’énergie pour obtenir un $ de PIB, c’est gagner en efficacité énergétique.

On peut faire ça avec des machines plus efficaces, des moteurs qui consomment moins. Ca peut aussi être le remplacement des voitures à essence par des voitures électriques qui utilisent beaucoup moins d’énergie à service égal (on a détaillé tout ça dans notre vidéo sur Jancovici et les renouvelables).

Baisser le contenu carbone de l’énergie c’est décarboner l’énergie : remplacer les énergies fossiles très émettrices de CO2 – le charbon, le pétrole et le gaz – par des énergies bas carbone, comme le solaire, l’éolien, les barrages ou le nucléaire.

Remplacer du charbon par du gaz, comme l’ont beaucoup fait les Etats-Unis depuis 2008, peut aussi faire diminuer l’intensité carbone de l’énergie, le gaz étant moins émetteur que le charbon.

Pour nos 18 pays qui ont augmenté leur PIB et diminué leur empreinte carbone entre 2005 et 2015, un peu moins de la moitié (47%) de leurs baisses d’émissions de CO2 s’explique par la décarbonation de l’énergie : les centrales électriques au charbon et au gaz ont laissé de plus en plus de place aux éoliennes et aux panneaux solaires, les vieilles chaudières au fioul ont été remplacées par des chaudières à gaz ou des pompes à chaleur etc. etc.

[ SOURCE : Le Quéré et. al., “Drivers of declining CO2 emissions in 18 developed economies”, Nature Climate Change, 2019 ]

Un gros tiers de la baisse des émissions vient des gains d’efficacité énergétique.

 

On voit donc qu’un découplage absolu PIB/CO2 est possible et déjà en cours dans certains pays. On peut avoir en même temps de la croissance économique et une baisse des émissions de CO2.

Ce fait est aujourd’hui indubitable, il est reconnu par tous les observateurs sérieux, favorables à la “croissance verte” comme décroissants.

Mais est-ce suffisant pour rendre crédible l’idée de croissance verte ?

La réponse est évidemment non : pour limiter le changement climatique, il ne suffit pas que quelques pays riches parviennent à baisser leurs émissions tout en voyant croître leur PIB.

Il faut 1) que le monde ENTIER baisse ses émissions et 2) il faut que les émissions baissent à un rythme suffisant pour tenir nos objectifs climatiques.  

Nous voilà au cœur de notre question sur la décroissance et le climat : est-ce qu’on peut diminuer assez vite les émissions de CO2 pour tenir nos objectifs climatiques avec une économie qui continue de croître, ou est-ce que la décroissance du PIB est inéluctable ?

 

Partie 2 : Les politiques climatiques dans l’Union européenne nous mènent-elles à la catastrophe climatique ?

 

Pour cet examen de la nécessité de la décroissance pour le climat, on a choisi de nous borner au cas des pays de l’Union Européenne. Pourquoi ?

Parce que c’est en Europe qu’on peut agir – nous autres Français, ou Belges, si vous êtes quelques uns parmi nous 🙂 – et que c’est donc dans cette région que la question de la décroissance nous est posée”.

On va regarder les émissions de CO2 des pays de l’Union Européenne au niveau de leurs territoires. On ne va pas prendre en compte les émissions importées. Pourquoi ? Parce que c’est à cette échelle que les modèles climatiques internationaux attribuent et mesurent les émissions de chaque pays.

Et ce n’est pas un problème : depuis 2008, les émissions territoriales évoluent de la même manière que celles qui incluent nos importations. Elles ont toutes les deux baissé de 23% alors que le PIB a augmenté de 17%.

Si les pays européens ont réussi à diminuer leurs émissions avec un PIB en croissance, ce n’est pas parce qu’on délocalise de plus en plus nos émissions de CO2 ailleurs.

Alors, que fait l’UE pour faire décroître ses émissions et est-ce que croissance économique et objectifs climats sont incompatibles en Europe ?

Pour savoir vers où nous mènent les politiques climatiques européennes, on s’appuie sur des données de L’Agence internationale de l’Énergie. L’AIE vient de sortir dans un rapport tout récent une synthèse des politiques climatiques des pays européens. Elle compte tout : la sortie progressive du charbon, les objectifs de solaire et d’éolien, la réglementation thermique des bâtiment, l’interdiction de vente de voitures thermiques neuves en 2035, le plan hydrogène pour décarboner l’industrie etc. et rassemble toutes ces politiques climatiques dans un scénario extrêmement précis et complet des émissions de CO2 de l’UE.

[ SOURCE : AIE, “World Energy Outlook 2024 – Global Energy and Climate Model Scenario analysis of future energy trends ]

Le modèle de l’AIE a le défaut de ne compter que les émissions de CO2, mais il a l’avantage d’être extrêmement détaillé. Il associe à chaque politique des technologies et à chaque technologie des besoins en matières et en investissements et fait boucler le tout avec les objectifs de croissance économique du PIB.

Le rapport de l’AIE est donc parfait pour répondre à notre question. Qu’est-ce qu’il nous dit ?

D’abord, il nous montre qu’après une baisse de 1,6% en 2022, l’UE a réussi à accélérer la baisse de ses émissions de CO2 à -8.9 % en 2023. Oui, vous avez bien entendu. Ça n’a pas fait les titres des journaux, mais en 1 an, l’UE a baissé ses émissions de CO2 de presque 9%. C’est assez impressionnant pour le souligner.

On voit ensuite que, si l’on se tient aux politiques climatiques actuelles, les pays européens devraient diviser leurs émissions de CO2 par + de 3 d’ici à 2050, le tout avec une croissance économique modérée.

 

C’est encourageant c’est sûr mais c’est très loin de l’objectif européen de “neutralité carbone en 2050” qui est compatible avec un réchauffement climatique mondial sous les 1.5°.

Ok, les politiques climatiques actuelles de l’Europe ne sont pas suffisantes pour tenir les 1.5° mais on aimerait savoir si elles nous amènent tout droit vers la catastrophe ou si, au moins, elles respectent l’objectif des 2°.

Pour savoir vers quel niveau de réchauffement climatique nous amènent les émissions actuellement prévues pour l’UE on doit comparer cette courbe des émissions à celles qu’accordent à l’UE des modèles climatiques.

  • On a pas pris des scénarios climatiques comme ça au hasard, on a sélectionné – parmi les 310 scénarios C3 du dernier GIEC de 2022 compatibles avec les 2° – les scénarios les plus prudents et les plus justes.

[ SOURCE : GIEC 2022 – AR6 – WGIII, Table 3.1, p.307 ou 320 ]

  • Les plus prudents parce qu’on a écarté de ces 310 scénarios tous ceux qui imaginent déployer beaucoup de technologies pour retirer le carbone de l’atmosphère. Pour cela, on a écarté des 310 scénarios C3 de la base “IIASA AR6 Scenario Explorer” tous ceux supposant plus de 10 Gt de CO2 de “Carbon Sequestration” au total dans le monde de 2020 à 2100.

 

  • Les plus justes ensuite parce que, parmi les 99 scénarios restants, on a gardé uniquement ceux qui accordent à l’UE une part dans les émissions mondiales inférieure ou égale à sa part dans la population mondiale. Concrètement, nous n’avons retenu de ces 99 scénarios restants que ceux qui utilisent le modèle REMIND, seul modèle climatique qui, selon Kanitkar et. al., respecte un juste critère d’attribution des émissions de CO2.

[ SOURCE : Modèles REMIND d’après Kanitkar et. al., “Equity assessment of global mitigation pathways in the IPCC Sixth Assessment Report”, Climate Policy, 2024. Tableau 4 dans le Preprint p.24 ]

Ce critère de justice est essentiel pour que l’Inde, l’Indonésie, ou n’importe quel pays asiatique ou africain puisse se développer économiquement, en baissant ses émissions un peu plus tard et un peu moins vite.

Il existe de nombreux critères pour définir la “juste manière” de répartir les budgets carbone restants. Ces critères sont politiques et éthiques, il n’y a pas un bon critère objectif.

Mais attribuer les émissions restantes en fonction de la population est un des critères les plus exigeants pour les pays riches et c’est un critère que valident des auteurs du Sud global.

[ SOURCE : Kanitkar et. al., “Equity assessment of global mitigation pathways in the IPCC Sixth Assessment Report”, Climate Policy, 2024 ]

Une fois tous ces critères appliqués, on arrive à 44 scénarios d’émissions de CO2 pour l’Union Européenne qui sont tous compatibles avec l’objectif des 2° de réchauffement.

 

Les politiques climatiques actuelles de l’UE permettent-elles de respecter l’objectif de rester sous les 2° ?

Dans un premier temps, sans aucun doute. Jusqu’à 2035 et malgré une croissance économique de 1.5% par an les pays européens émettent moins de CO2 en suivant les politiques climatiques actuelles que ce que nos 44 scénarios 2° leur allouent.

 

Là, il faut que je vous explique un truc important sur les scénarios climatiques. Quand on parle “de scénarios 2°” ce n’est pas comme on pourrait le croire des scénarios qui nous amènent à 2° de réchauffement en 2100.

Les scénarios 2° dont on entend généralement parler, ce  sont les scénarios qui ont au moins 2 chances sur 3 de rester sous les deux degrés. Et dans ces scénarios “2° 67%” le réchauffement moyen le plus probable en 2100 est en fait de… 1,6°.

[ SOURCE : GIEC 2022 – AR6, WGIII, Table SPM.2 – Scénarios C3, p.18 ou 31 ]

Je ne sais pas pour vous, mais nous, ça nous a surpris. On s’attendait pas du tout à ce que la trajectoire actuelle de baisse des émissions de CO2 de l’Europe soit compatible jusqu’à 2035 avec un climat à 1.6° en 2100. On pensait que les politiques climatiques actuelles de l’UE étaient largement moins ambitieuses.

Profitez bien de ce bisou biceps parce qu’il ne durera pas. Vous voyez qu’à partir de 2035, l’AIE estime que les politiques actuelles de l’UE vont émettre beaucoup trop de CO2 pour rester dans les clous de cet objectif. En 2050, les émissions seront même 2 fois supérieures à notre quota 2°.

Si on ne fait rien de plus que continuer nos politiques actuelles, l’UE ne fera même pas sa part pour limiter le réchauffement sous les 2°.

 

On arrive ici à un argument fort des tenants de la décroissance : notre paradigme actuel de croissance verte ne nous permet pas de tenir nos objectifs climatiques.

C’est ce qu’écrivent Jefim Vogel et Jason Hickel – deux stars de la décroissance mondiale – dans un article de 2023 publié dans The Lancet :

Si l’Europe veut faire sa part pour limiter le RC nettement sous les 2° ou mieux encore, tenir son engagement de l’Accord de Paris de tout faire pour rester sous les 1.5° – si l’Europe veut être à la hauteur, elle doit en passer par la décroissance.

Mais est-ce si sûr ? Pour combler l’écart entre les actes et la promesse de respecter les 1.5°, l’Union Européenne et les pays qui la composent n’ont-ils d’autre choix que la décroissance ? 

 

 

Partie 3 : L’UE doit-elle choisir entre tenir ses engagements climatiques et sa croissance ?

 

L’AIE, dans le même rapport de 2024, nous montre la courbe des émissions de CO2 qui correspond à l’engagement de l’UE de tenir l’objectif de 1.5 ° et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

On y voit que l’UE a encore beaucoup beaucoup de boulot !

Mais elle s’y attelle. Le Parlement et les Etats européens viennent de voter en septembre les derniers textes du “Fit for 55”.

[ SOURCE : Parlement Européen – Legislative Train Schedule, “Fit for 55 Package under the European Green Deal, novembre 2024 ]

On y trouve des mesures comme l’accélération du déploiement des énergies renouvelables et de la voiture électrique, des normes plus strictes pour l’isolation et le chauffage des bâtiments ou encore un durcissement des crédits carbone.

L’esprit de ces mesures, c’est d’accélérer en utilisant principalement les deux leviers classiques de la “croissance verte” : la décarbonation de l’énergie et les gains d’efficacité énergétique.

Et l’objectif de ces mesures, c’est de faire en sorte que, dès 2030, les émissions de gaz à effet de serre de l’UE soient de 55% inférieures à leur niveau de 1990. Oui c’est bizarre de compter comme ça, mais fallait bien une année de référence.

C’est de là d’où vient le nom de “fit for 55”.

[ SOURCE : Parlement Européen – Legislative Train Schedule, “Fit for 55 Package under the European Green Deal, novembre 2024 ]

 

Une telle réduction permettrait d’aligner les émissions de 2025 à 2030 sur le niveau de notre trajectoire d’engagement qui mène à la neutralité carbone en 2050.

On voit que si les Etats européens réussissent à mettre en actes une telle accélération jusqu’à 2030, ça nous mettrait ensuite sur une trajectoire compatible jusqu’à 2050 avec les émissions de nos scénarios 2°.

Ces scénarios 2°, je l’ai déjà dit mais il vaut mieux le répéter tant c’est contre intuitif, ça équivaut à “67 % de chances de rester sous les 2° mais ça donne un réchauffement climatique plus probable en 2100 de 1.6°.

On peut donc affirmer que si l’UE suit les politiques climatiques qu’elle a votées aujourd’hui, elle se mettra déjà sur une trajectoire d’émissions de CO2 permettant de tenir l’objectif des 2°, tout en poursuivant une croissance économique modérée.

 

A ça, on peut répondre: “super mais 2° – même à 67% et donc à 1.6° de réchauffement probable en 2100 – c’est pas l’Accord de Paris.

Déjà, si on suit ces trajectoires d’émissions, il y a un risque qu’on s’approche voire qu’on dépasse les 2° de réchauffement au cours du siècle. On n’est pas sûrs de respecter l’objectif de rester  “nettement sous les 2°”.

Ensuite, l’Union européenne s’est engagée au moment des Accords de Paris à baisser ses émissions suffisamment vite pour rester sous les 1.5° de réchauffement. Pour ça, il faut suivre les scénarios 1,5° pas les scénarios 2°.

 

Comme ce qu’on vous a expliqué avant pour les scénarios “2°”, les fameux scénarios “1,5°”, ne donnent pas un réchauffement d’1,5°en 2100. Leur température la plus probable en 2100 est plutôt de +1,3°.

[ SOURCE : GIEC 2022 – AR6, WGIII, Table SPM.2 – Scénarios C3, p.18 ou 31 ]

 

Entre 2013 et 2023, on était déjà à près de 1,2° [1,19 à 1,22°] au-dessus des températures pré-industrielles. On comprend à quel point les scénarios “1,5°” sont exigeants voire impossibles à tenir sans technologies qui retirent massivement du CO2 de l’atmosphère.

[ SOURCE : European Environment Agency, “Global and European temperatures”, 26 Juin 2024 ]

 

Et si, avant 2030, l’UE est dans les clous de la trajectoire 1.5°, au-delà de 2030 par contre, les émissions prévues seront trop importantes et sans nouvelles mesures,  l’UE ne tiendra plus ses engagements.

 

Mais l’UE ne prévoit pas d’arrêter ses politiques climatiques en 2030. Maintenant que les politiques du “fit for 55” sont votées, les pays de l’UE négocient les objectifs d’émissions pour 2040, toujours pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

L’objectif actuellement sur la table est d’avoir réduit en 2040 nos émissions de 90% par rapport à 1990. Ce serait une sacré accélération par rapport au 55% de réduction en 2030.

[ SOURCE : Commission Européenne, “Garantir notre avenir – Objectif climatique de l’Europe pour 2040 – Communication 2024-63”, 6 février 2024, p.8 ]

Une fois les objectifs définis commenceront les négociations pour voir quelles actions climatiques permettront de les tenir.

Si on suit ce chemin, la courbe des émissions 2030-2040 s’alignera sur nos engagements de neutralité carbone en 2050 et l’action climatique de l’Europe sera à la hauteur la plus exigeante, celle des scénarios 1,5°.

 

Évidemment, plus on se projette loin dans le futur, plus c’est spéculatif : est-ce que ces négociations pour 2040 aboutiront ? On n’est pas à l’abri qu’une Marine Le Pen, une Giorgia Meloni ou un Viktor Orbàn sabordent ces objectifs climatiques.

Est-ce que les Etats appliqueront les lois qu’ils ont votées ? Il n’y a pas besoin d’un gouvernement climatosceptique d’extrême-droite pour ne pas suivre des politiques climatiques votées. Depuis que le président Macron a proclamé vouloir “Make the Planet great again” en 2017, la France a par exemple systématiquement manqué ses objectifs de rénovation thermique des logements.

[ SOURCE : Assemblée Nationale, “Rapport d’information, n° 1700 sur la rénovation énergétique des bâtiments”, 4 octobre 2023,  p.19 ]

Ne crions pas victoire trop tôt, il nous reste beaucoup de chemin à parcourir. Mais une chose est sûre : SI (et j’insiste bien sur le SI) les Etats suivent les lois climatiques qu’ils viennent de voter en 2024, l’UE ne sera pas loin du tout de tenir, avec une petite croissance économique, un objectif climatique sinon idéal du moins ambitieux : 67 % de chances d’être sous les 2° alias un réchauffement probable de 1.6° en 2100. On aurait jamais parié dessus et on trouve que c’est une excellente nouvelle.

 

Ca veut dire que, quand vous entendez que “si on continue comme aujourd’hui, le monde se dirige vers 2,7° de réchauffement” on peut affirmer que ce n’est pas les politiques climatiques de l’UE qui en sont responsables.

Pour l’instant, l’UE – en croissance économique modérée – fait déjà sa part pour suivre un scénario 2° simplement en poursuivant les mesures de décarbonation et d’efficacité énergétique qu’elle met en place actuellement, et elle est en train de se mettre en ligne avec une trajectoire 1,5°.

Il n’y a donc AUCUNE preuve que – pour les pays de l’Union Européenne – la décroissance du PIB est une condition nécessaire pour tenir nos objectifs climatiques.

C’est aux tenants de la décroissance de faire la démonstration que les pays européens ne pourront pas respecter les objectifs de neutralité carbone et les lois climatiques qu’ils viennent de voter et que la décroissance du PIB est une nécessité.

Pour le moment, quand on observe la décarbonation actuelle de l’Europe, rien ne permet d’en être sûr.

 

Est-ce à dire que les discours sur la décroissance à la Jancovici, Parrique ou Fressoz sont inutiles ? Pas forcément, et c’est ce qu’on va voir dans notre dernière partie.

 

 Partie 4 : Pour le climat, des modes de vie plus sobres nous aident

 

Évitons un malentendu. Jusqu’ici, on a examiné une thèse, la thèse des décroissants, qui dit qu’il est absolument impossible pour les pays riches de respecter des engagements climatiques ambitieux en gardant une certaine croissance économique.

Au moins pour l’UE, on a vu que cette thèse n’est pas prouvée, et qu’elle pourrait même être fausse.

Mais attention, ce n’est pas parce qu’on arrive à cette conclusion que ça voudrait dire qu’il faut consommer n’importe comment, à fond les ballons, ou qu’on a pas besoin de modifier nos modes de vie pour les rendre plus soutenables. Ca serait une grande erreur d’interpréter notre vidéo comme ça.

 

Il y a au moins deux aspects essentiels des discours de décroissance qui ne doivent pas être abandonnés : la nécessité de limiter les consommation des plus riches et l’attention à la sobriété.

  • De Timothée Parrique à Jean-Marc Jancovici, tous les tenants de la décroissance s’accordent sur un point incontournable : ça serait bon pour le climat de limiter fortement les consommations très polluantes des plus riches : voyages en avion, jets privés, yacht, multiples résidences secondaires.
    Qu’on cherche à les limiter par des interdictions spécifiques ou par une hausse importante de la fiscalité sur les très hauts patrimoines ou revenus, cibler ces consommations extrêmes des plus riches sera bénéfique pour le climat et rendre plus acceptable les politiques climatiques à destination du plus grand nombre.

 

  • Deuxième point à garder dans le discours décroissant, l’attention à la sobriété. Prendre de plus en plus conscience, individuellement ET collectivement, de l’impact de notre mode de vie sur le climat, et décider de limiter nos consommations avec le plus d’impact, ça ne peut que nous aider.
    Des modes de vie plus sobres, ça peut être avoir des voitures plus petites et légères, ou quand c’est possible, pas de voiture du tout. Ça peut être acheter moins de fringues, renouveler notre matos high tech moins souvent, manger moins de viande, éviter l’avion, ou encore chauffer à 19° plutôt qu’à 22.  

 

Des gens comme Jean-Marc Jancovici, Jean-Baptiste Fressoz ou Timothé Parrique ont mille fois raison de mettre en avant la sobriété. Nous-même, on l’a souvent fait dans nos vidéos, et pour plusieurs raisons.

D’abord, la sobriété est un excellent complément de la décarbonation de l’énergie et de l’efficacité énergétique.

Aujourd’hui, les trajectoires de l’UE comptent surtout sur les deux derniers.

Mais rien ne nous garantit aujourd’hui que les pays européens tiendront leurs trajectoires de décarbonation. Si on élit des leaders de droite ou d’extrême-droite climatosceptiques, si on ne parvient pas à respecter nos politiques climatiques, parce qu’on prend du retard sur les deux leviers majeurs de la décarbonation de l’énergie et les gains d’efficacité énergétique, alors avoir des citoyens et citoyennes habituées à réduire leurs consommations les plus émettrices grâce à un mode de vie plus sobre permettra de limiter la casse.

Au passage, plus on est nombreux et nombreuses à comprendre l’impact de notre consommation sur le climat, plus on a de chances aussi d’élire des gouvernements qui nous permettront de tenir nos objectifs climatiques. Pour mettre en place et défendre dans la durée des politiques d’efficacité et de décarbonation, avoir des populations qui acceptent d’aller vers un mode de vie plus sobre est évidemment un atout.

La sobriété est aussi particulièrement utile pour réduire l’impact climatique des secteurs difficiles à décarboner. On arrivera probablement pas à décarboner assez vite l’aviation pour nous passer d’une réduction du trafic. Les Européens et les Français doivent apprendre, dès maintenant, à prendre moins l’avion, surtout quand il y a des alternatives. Idem pour la viande de bœuf : elle est tellement émettrice de méthane qu’il nous faudra changer petit à petit nos modes de consommation, pour choisir plus souvent des viandes moins émettrices (porc, poulet, canard) ou, encore mieux pour le climat, des alternatives végétales.

Enfin, si on veut avoir une chance de diminuer d’autres impacts environnementaux que ceux causés par le changement climatique, moins consommer peut être extrêmement précieux. Moins manger de boeufs ou de moutons, c’est libérer des terres agricoles ou des prairies pour y faire pousser des forêts. Habiter moins de m² ou moins utiliser de voitures c’est diminuer l’extraction de métaux et la pression minière. Tout ça aura des impacts positifs tant sur les consommations d’eau que sur les pollutions ou la biodiversité.

 

Pour toutes ces raisons, faire évoluer le mode de vie des pays riches vers plus de sobriété, vers une consommation plus durable, c’est précieux pour atteindre nos objectifs climatiques et environnementaux.

 

Mais est-ce que des modes de vie et de consommation plus sobres, ça implique une décroissance du PIB ? Ce n’est pas du tout certain.

 

 Si on diminue certaines consommations, on dégage des revenus. Revenus qui peuvent être employés ailleurs, et notamment dans des activités beaucoup moins émettrices de gaz à effet de serre comme aller à des concerts, faire du sport, voir des films ou encore, s’abonner à un site de vidéos pour s’informer en ligne.

Dans ce cas, on aura une décroissance des émissions grâce aux changements de consommation sans avoir pour autant une décroissance du PIB.

 

Maintenant, j’ai envie de vous poser une question : est-ce qu’on décarbonera plus facilement et plus rapidement nos économies si le PIB décroît ? C’est pas non plus certain.

 

Un PIB qui décroît, c’est moins de ressources pour le secteur privé, comme pour l’Etat, donc moins d’argent pour investir.

Certes, à court terme, avec votre PIB qui baisse, vous pouvez espérer compenser les pertes de recettes de l’Etat en taxant plus les plus riches, mais à moyen terme, vous aurez tout simplement moins de ressources.

Et là y’a un problème. Vous pouvez baisser autant que vous voulez les consommations les plus polluantes, il vous faudra toujours investir massivement dans la décarbonation du transport, du chauffage et de l’industrie et vous risquez d’avoir beaucoup moins d’argent pour le faire.

Donc rien ne dit qu’une décroissance du PIB réussira à décarboner plus vite qu’un monde en croissance.

 

Ca aussi, c’est aux auteurs qui défendent la décroissance de le montrer et, à notre connaissance, ça n’a jamais été fait.

 

Conclusion

 

Dans cette vidéo, on a appris beaucoup de choses. On a appris d’abord que les politiques climatiques actuellement mises en place en Europe sont loin d’être ridicules. Grâce à des politiques d’efficacité énergétique et de décarbonation, nos émissions baissent – et elles ont même baissé de 8% en 2023 ! – tout en gardant une croissance économique modérée.

Si les pays européens respectent les politiques climatiques votées aujourd’hui avec le Fit for 55, leurs trajectoires d’émissions seront compatibles avec des objectifs climatiques déjà ambitieux : 67 % de chance de rester sous les 2° alias 1.6° de réchauffement probable en 2100.

Mais les pays de l’UE visent encore mieux : ils veulent aligner leurs émissions sur les trajectoires 1.5° au-delà de 2030 et ainsi tenir leurs engagements de l’Accord de Paris. L’AIE nous montre un chemin pour y parvenir secteur par secteur en conservant une croissance économique modérée.

Pour les pays européens, la décroissance du PIB ne semble pas nécessaire pour tenir des objectifs climatiques ambitieux.

 

Aujourd’hui, on a examiné le lien entre croissance et climat, mais on n’a rien dit du lien entre croissance et pollutions, pressions sur les ressources ou la biodiversité.  Il faudra faire des recherches et d’autres vidéos pour le savoir. Dites nous si ce genre de vidéo peut vous intéresser.

Autre limite majeure, ce qu’on a montré  ne vaut QUE pour les pays de l’Union Européenne.

Les autres pays riches et le premier d’entre eux les Etats-Unis ne tiendront probablement pas les objectifs climatiques de l’Europe. Et avec l’élection de Donald Trump, ça ne risque pas de s’arranger.

 

Mais le fait qu’en Europe, on n’ait pas nécessairement besoin de décroissance pour tenir des objectifs climatiques top est une super nouvelle, même pour les personnes convaincues par la décroissance. Apprendre que la transition énergétique européenne peut avancer assez vite sans avoir besoin d’en passer par la décroissance, ça doit les soulager : ils n’ont pas besoin de convertir en quelques années tous les peuples européens à la décroissance du PIB pour faire décroitre les émissions au bon rythme !

Comme on l’a montré dans notre vidéo sur les énergies renouvelables, Jean Marc Jancovici ne se rend pas du tout compte de l’accélération de la transition énergétique en cours. Il minimise systématiquement la diffusion actuelle et le potentiel du solaire et de l’éolien, il tait les gains d’efficacité énergétique que permettent les voitures électriques, il dessine un tableau où la transition énergétique a peu de chance d’arriver.

Et comme il est conséquent, il tire de ce tableau apocalyptique le résultat qui s’impose : pour tenir nos objectifs climatiques, les gains d’efficacité et de décarbonation ne suffiront jamais. La décroissance du PIB et la perte de niveau de vie sont incontournables.

Si ce discours a l’avantage de diffuser des comportements de sobriété utiles, il a toutefois un défaut : en condamnant par avance et plus que de raison la transition énergétique, en rendant inéluctables les sacrifices et renoncements de la population, ce discours peut alimenter la résignation et le ressentiment d’une partie de la population.

 

Ce discours ne nous gênerait pas une seconde s’il se basait sur une vraie prémisse. Mais à mesure qu’on progresse dans nos recherches on se rend compte d’un truc : la prémisse du discours décroissantiste et sacrificielle a toutes les chances d’être fausse.

En réalité, les pays européens ont déjà des trajectoires d’émissions compatibles avec des objectifs climatiques ambitieux.

Quand on apprend ça, on se dit qu’en se battant au quotidien pour des politiques climatiques ambitieuses et en défendant une évolution “en douceur” des modes de vie, il est tout à fait possible que la France et l’Europe fassent leur part pour un monde autour de 1.5° de réchauffement climatique.

 

Et là, il faut que je vous partage un truc perso.

Quand on écrivait fin 2018 avec Vincent Verzat de la chaîne Partager C’est Sympa la vidéo “Il est encore temps” – vidéo vue + de 11 millions de fois et qui a contribué à impulser les manifs climat – on était méga méga pessimistes. On était persuadé que planète allait tout droit vers les 3-4°, que la France et l’Europe étaient à la ramasse, qu’on y arriverait pas.

Mais grâce à toutes ces mobilisations climat et aux évolutions technologiques – faut quand même rendre hommage à l’extraordinaire dégringolade des prix des panneaux solaires et des batteries – on se retrouve avec des politiques climatiques européennes bien meilleures que ce que la plupart des gens imaginent.

Malgré nos années de boulot sur le climat, on a vraiment pris la mesure de ça en préparant cette vidéo et franchement, ça nous met la patate.

Comprendre que faire notre part pour le climat c’est possible et que si on continue à pousser les décideurs politiques dans la bonne direction, on est pas si loin d’y arriver, c’est motivant de ouf.