La France est-elle plus dangereuse qu’avant ? - Osons Comprendre

La France est-elle plus dangereuse qu’avant ?

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La France est-elle plus dangereuse qu'avant ? D'Emmanuel Macron à Marine Le Pen en passant par Gérard Darmanin, on entend parler de "décivilisation", "d'ensauvagement". On a voulu savoir : la délinquance explose-t-elle dans notre pays ?

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Points clés

  • La France est-elle plus dangereuse qu’avant ? Cette question est très politique, mais aussi très importante. En examinant les statistiques de la police, mais surtout en consultant les précieuses enquêtes de victimation qui questionnent année après années des dizaines de milliers de Françaises et de Français sur tous les types d’insécurité qu’ils vivent dans leur quotidien, on a établi que l’histoire de l’explosion de l’insécurité est fausse. Les chiffres sont clairs : il n’y a aucune explosion générale de l’insécurité en France.

 

  • Quand on demande aux Françaises et aux Français ce qui s’est passé dans leur année, on apprend qu’ils subissent depuis au moins 15 ans de moins en moins de vols, que ce soit avec ou sans violence, qu’ils subissent aussi de moins en moins d’agressions avec coups et blessures. Il y a aussi moins de vols de voitures, ou d’objets laissés à l’intérieur. Les menaces et insultes sont stables. Les cambriolages ont augmenté il y a 10 ans, c’est vrai, mais ils ont rebaissé depuis.

 

  • Les homicides ont fortement baissé ces 30 dernières années. Les coups et violences volontaires – catégorie policière qui mesure les agressions – ont augmenté ces dernières années. Mais l’examen détaillé des données de police montre que cette augmentation est surtout due à l’élargissement de la catégorie juridique qui intègre de plus en plus de cas depuis 15 ans.

 

  • Les violences sexuelles déclarées et mesurées par la police ont beaucoup augmenté depuis Me too, fin 2017, mais il est difficile de dire si elles ont vraiment augmenté ou si elles sont seulement mieux conscientisées, déclarées, poursuivies. Dans tous les cas, on assiste au sujet de ces violences à un véritable mouvement de “civilisation des moeurs” un mouvement de baisse de la tolérance pour un type de violence qu’on doit en grande partie aux féministes, à celles et ceux qui sont régulièrement pointés du doigt comme des “wokistes”.

 

  • Dire que l’insécurité n’explose pas en France, ce n’est pas dire que ce n’est pas un problème pour celles et ceux qui en sont victimes. Dire que l’insécurité n’explose pas, ça ne veut pas dire qu’il faut renoncer à avoir moins de meurtres, moins de vols, moins d’agressions violentes, moins de cambriolages, moins de viols. Ça ne veut pas dire que les victimes ne souffrent pas, ou que leur souffrance n’est pas importante. Dans un pays de bientôt 70 millions d’habitants, tous les jours, des gens sont volés, tués, blessés, violés et il est légitime de trouver ces faits divers révoltants. Seulement, ces faits divers violents, il n’y en a pas plus qu’avant. Il y en a probablement moins.

 

  • Malgré le biais médiatique et politique qui laisse penser l’inverse, les enquêtes de victimation montrent une grande stabilité du “sentiment d’insécurité” depuis 2007. Chose intéressante, les personnes qui font de la délinquance “le problème le plus important du pays” ne sont pas les personnes qui, au quotidien, souffrent le plus de l’insécurité.

Sources et références

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La France est-elle plus dangereuse qu’avant ?

On peut en avoir l’impression quand on est frappé par l’atrocité de certains crimes.

Les faits divers sordides (comme ceux de Lola, de Philippine ou le meurtre de Crépol par exemple) glacent le sang, et s’ajoutent aux agressions et aux drames que les médias relatent au quotidien.

 

En 2023, le Président Emmanuel Macron, frappé par les meurtres de 3 policiers à Roubaix et d’une infirmière à l’hôpital de Reims a déclaré qu’on vivait un “processus de décivilisation”.

[ SOURCE : Le Parisien, “Violences : Emmanuel Macron alerte contre une « décivilisation » de la société”, 24 mai 2023 ]

Son ancien ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin a lui carrément parlé d’“ensauvagement d’une partie de la société”.

[ SOURCE : « Ensauvagement » de la France: Gérald Darmanin s’explique face à Jean-Jacques Bourdin sur RMC, 7 Septembre 2020 ]

A droite, l’aggravation de l’insécurité est depuis longtemps un argument de campagne. Les présidents Chirac et Sarkozy les ont utilisés à maintes reprises.

Du côté du RN et de l’extrême droite, même son de cloche. De la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen en 2002 à celle de Marine Le Pen 20 ans plus tard, l’insécurité s’aggrave en France depuis au moins 20 ans, et tous les faits divers les plus dramatiques sont bons à exploiter pour nous en convaincre.

 

Alors, est-ce que c’est vrai ? Est-ce que la France est plus dangereuse aujourd’hui qu’il y a 5, 10, 15 ou 20 ans ?

Les vols, les cambriolages,  les agressions qu’on subit dans la vie de tous les jours, et qui peuvent nous pourrir l’existence, sont-ils en train d’exploser ?

Est-ce qu’on est en train de vivre un processus d’“ensauvagement”, de “décivilisation” ?

 

C’est ce qu’on va voir ensemble dans cette vidéo. Si la France est réellement plus dangereuse qu’avant, vous savez que vous pouvez compter sur nous pour ne pas vous le cacher.

 

 

Homicides, crimes et délits depuis les années 1960

 

Commençons par le crime par excellence : les meurtres

Regardons les chiffres de la police. Le nombre d’homicides a chuté dans les années 90-2000 jusqu’à atteindre un plateau, autour de 850-900 meurtres par an depuis 2010.

Entre 2021 et 2023, on voit une petite remontée, une centaine de meurtres en plus. On est allé voir pourquoi, et d’après la police, c’est quasi exclusivement dû à l’augmentation des règlements de compte. Désolé les marseillais 🙂
[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur, “Insécurité et délinquance en 2023 : bilan statistique et atlas départemental”, 2024, p.57 ]

Mais globalement, sur les trente dernières années, les meurtres sont à la baisse.

Cela dit, raisonner en “nombre de meurtres” est un peu trompeur. En 1996, la France comptait 59,5 millions d’habitants. En 2023, plus de 68,1 millions. Si on a le même nombre d’homicides dans un pays qui compte presque 14,45% d’habitants en plus, le risque de meurtre a en réalité baissé.

Pour voir comment évolue la délinquance dans le temps, il est préférable de regarder combien il y a de crimes et délits pour un même nombre d’habitants, et non pas juste dans l’absolu. Comme, heureusement, les meurtres sont extrêmement rares, on observe leur évolution pour 100.000 habitants.

Bon ici, ça ne change pas fondamentalement l’histoire, on voit qu’on est passé d’2.7 meurtres pour 100 000 habitants dans les années 90 à un peu moins de 1.4 depuis les années 2010. On observe la même évolution au cours du temps le meurtre est de moins en moins présent dans notre société.

 

Mais dans la suite de la vidéo, retenez qu’on va généralement vous montrer des taux pour 100, ou pour 1000 habitants, plutôt que des chiffres bruts, parce que c’est plus juste de comparer l’évolution de la délinquance à population égale.

 

Toujours sur le long terme, et même le plus long terme on a un indicateur disponible depuis très longtemps, le taux de crimes et délits pour 1000 habitants, qui n’est pas inintéressant.

Ce taux de crimes et délits inclut aussi bien des vols, que des cambriolages ou des agressions avec coups et blessures. C’est un indicateur synthétique, qui a longtemps été utilisé par la police et par les politiques pour juger de l’évolution de la délinquance dans le pays.

Pendant les années 60-70, la France de la jeunesse des baby boomers qu’on a parfois tendance à idéaliser, on voit une explosion des crimes et délits. Que s’est-il passé ? En une phrase, on est entré dans la société urbaine de consommation.

Ecoutons Renée Zauberman, sociologue responsable de l’Observatoire scientifique des crimes et de la justice :

“On considère que la raison la plus massive de cette augmentation considérable qu’on voit entre le milieu des années et le milieu des années 80, la raison massive c’est la multiplication des bien à voler. […] sur ces questions y a les premiers travaux américains qui ont travaillé là-dessus, parce que ça s’est produit partout, ils ont utilisé comme indicateur le poids des objets, le poids des télévisions, la baisse du poids des objets volables. […] Y a le fait que y a beaucoup de biens à voler. […] Les biens à voler sont moins surveillés qu’ils ne l’étaient, parce que les résidences sont plus vides dans la journée, y a une décohabitation des familles, […] les différentes générations ne cohabitent plus. Les femmes entrent sur le marché du travail massivement, donc ne sont plus à la maison non plus. […] donc y a multiplication des biens, y a moindre surveillance de ces biens, y a beaucoup de biens qui sont dans l’espace public – les voitures – […] et par ailleurs, évidemment […] des tranches de population, des fractions de population qui sont éloignées du marché du travail, qui sont pas intégrées dans le marché du travail, qui donc utilisent pour avoir accès à des biens qui sont valorisés, des biens qui sont valorisés – des vêtements, de l’électronique, des tourne-disques, des autoradio à l’époque, tous ces élements-là, qui sont valorisés et qui se vendent encore bien sur le marché noir. Donc tous ces éléments font qu’on observe cette augmentation, et puis y a un moment donné où on est à saturation. […]

[ SOURCE : Chaîne Youtube de l’Université populaire du 14ème, Nouvelles criminalités ? Nouvelles délinquances ? Le 21ème siècle – Renée Zauberman, 30 septembre 2021 autour de la 100ème minute ]

 

Certains biens sont aussi devenus plus difficiles à voler. La protection des maisons et des immeubles contre les cambriolages a progressé, avec de meilleures serrures, le double vitrage etc. La sécurité des voitures, au départ très mauvaise, s’est améliorée.

 “Pour les voitures. […] Les vols de voitures étaient quand même quelque chose de très important. Au milieu des années 90, y a eu entre les constructeurs et les assureurs une espèce de… un protocole d’accord qui a amené les constructeurs à améliorer les systèmes de protection des véhicules pour empêcher qu’on les vole. A partir de là, partout ou y a des données, on a vu les vols de véhicules descendre. […] c’est plus un sujet, c’est quasiment plus un sujet.”

[ SOURCE : Chaîne Youtube de l’Université populaire du 14ème, Nouvelles criminalités ? Nouvelles délinquances ? Le 21ème siècle – Renée Zauberman, autour de la 100ème minute ]

 

Bon, sur le long terme, on n’a pas l’impression que l’insécurité a explosé récemment, ou au cours des 30 dernières années.

Mais cet indicateur a plusieurs défauts. D’abord il mélange tout. Si y a moins de vols de voitures, mais plus d’agressions violentes et de vols à main armée, on ne va pas le voir.

Et ensuite il se base sur les stats de la police et de la gendarmerie. Est-ce que ces stats représentent bien l’insécurité réelle vécue par les gens ? On sait bien que tous les vols, toutes les agressions, ne sont pas déclarés à la police.

Comment en avoir le cœur net ?

 

Comment savoir si la délinquance augmente ?

 

Les chercheurs, les spécialistes de la délinquance, ont compris dès les années 70 que les statistiques de la police de donnent pas forcément une image fiable de l’évolution de l’insécurité, pour 3 grandes raisons, faciles à comprendre.

 

  • D’abord : il y a la question de savoir ce que les gens vont déclarer ou non à la police. Si les gens déclarent plus souvent certains actes qu’avant – par exemple les viols, on peut avoir + d’actes enregistrés par la police sans que, dans la société, les actes augmentent nécessairement.
  • Ensuite, y a les moyens et les priorités de la police qui peuvent changer au cours du temps. Si par exemple, une “politique du chiffre” incite les policiers à sous-déclarer les infractions qu’ils élucident mal et à sur déclarer les autres, les chiffres peuvent augmenter sans que la réalité ait changé. Inversement, si la police s’occupe moins d’un problème, les chiffres peuvent diminuer sans que la situation ne s’améliore.
  • Enfin, y a la façon dont la police classe les actes, qui peut changer dans le temps. Par exemple, quelque chose qui n’était pas considéré avant comme une agression sexuelle peut l’être aujourd’hui, ce qui fera monter les chiffres.

 

Pour toutes ces raisons, montrer des chiffres de la police qui montent ou qui descendent ne nous donne pas une image fiable de l’évolution de la délinquance dans notre pays.

Attention, il ne s’agit pas d’une critique de la police. C’est totalement normal que les chiffres du ministère ne mesurent pas l’ensemble de l’insécurité. Alors, pas de réponse, on peut rien dire ?

Heureusement, non. D’abord aux Etats-Unis dans les années 60, puis à partir des années 70, dans les pays nordiques, 80 en Angleterre, et enfin en France, les chercheurs spécialistes de la délinquance ont inventé des outils géniaux pour nous permettre de mieux mesurer l’évolution de la délinquance.

[ SOURCE : Renée Zauberman et Philippe Robert, « Les enquêtes de victimation en Europe. » Economie et statistique 448.1 : pp. 89-105., 2011 ]

 

Cet outil ultra précieux, c’est les enquêtes de victimation. Le principe : interroger chaque année anonymement des dizaines de milliers de personnes sur les actes de délinquance qu’ils ont subis l’année passée.

Vols, cambriolages et tentatives de cambriolages, menaces, agressions physiques et sexuelles, les gens sont interrogés sur toutes ces dimensions de l’insécurité et bien d’autres encore.

Grâce à ces enquêtes, les chercheurs mesurent aussi l’insécurité qui n’est pas déclarée à la police. On a donc une image beaucoup plus large et complète de l’insécurité vécue par les gens.

 

En comparant les chiffres de la police à ceux que révèlent ces enquêtes, on peut savoir à quel point les gens portent plaintes pour tel ou tel crime, tel ou tel délit.

C’est grâce à ces enquêtes qu’on peut savoir par exemple qu’environ 2 tiers (64%) des vols de voitures sont déclarés à la police, mais seulement 5 % des violences sexuelles physiques.

[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur, “Insécurité et délinquance en 2023 : bilan statistique et atlas départemental”, 2024, pp. 106 et 77 ]

Quand on mène la même enquête avec les mêmes questions sur de nombreuses années, on obtient une image assez juste de l’évolution réelle de l’insécurité dans un pays.

En France, on a la chance d’avoir une longue série d’une grande enquête, “Cadre de Vie et sécurité”, qui va de 2006 à 2020, avec chaque années 20 à 25.000 personnes questionnées, et plus de 15000 réponses.

[ SOURCE : Détails de méthodologie in. Ministère de l’Intérieur, “Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » 2019”, 2019, pp? 116-117 ]

A partir de 2021, le Ministère de l’intérieur et l’Insee ont décidé d’améliorer le protocole et d’interroger encore plus de personnes dans une nouvelle enquête “Vécu et ressenti en matière de sécurité”. On a des données pour 2021 mais, du fait du changement de méthode, elles ne sont pas comparables aux années précédentes.

[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur, “Rapport d’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) – 2022”, 2023, pp.281 et sq. ]

 

Voilà pourquoi, dans cette vidéo, on va utiliser les données 2006-2020 de l’enquête Cadre de Vie et sécurité, pour répondre de manière objective et béton à la question hyper politique et sensible : la France est-elle plus dangereuse qu’avant ?

 

Alors, maintenant qu’on est armé pour répondre, allons-y : est-ce que l’insécurité explose dans notre pays ?

 

Les atteintes aux biens

 

Commençons avec les atteintes aux biens. Les atteintes aux biens, ça désigne avant tout les vols et les dégradations de biens. Les plus traumatisants, c’est sûrement les vols avec violence.

On voit que les vols avec violence mesurés par la police se sont effondrés ces 15 dernières années : divisés par 2, ils ne touchent plus qu’une personne sur 1000 en 2023.

On retrouve la même tendance baissière dans les enquêtes de victimation. Après une hausse jusqu’à 2013, les vols et tentatives de vols avec violence et menace ont diminué jusqu’à 2020.

L’évolution des stats de la police qui continuent à baisser entre 2021 et 2023 nous laisse penser que cette tendance s’est poursuivie. Toutefois, il faudra atteindre la nouvelle série d’enquêtes de victimation pour le confirmer.

Reste que, pour les vols avec violences, c’est clair : la situation s’améliore depuis 15 ans. Notre pays est plus sûr aujourd’hui.

Pour les vols SANS violence – un pickpocket par exemple – les chiffres de la police sont extrêmement stables depuis 15 ans : chaque année environ 1 français sur 100 déclare ce type de vol à la police ou à la gendarmerie. Parfois un peu plus, parfois un peu moins.

Quand on interroge directement la population dans l’enquête de victimation, on trouve un nombre de vols plus élevé – c’est logique – mais toujours aussi stable : entre 1.5 et 2 Français sur 100 sont victimes de vols ou tentatives de vols sans violence chaque année. Ça ne s’améliore pas, mais ça ne s’empire pas non plus.

Les cambriolages et tentatives de cambriolages enregistrés à la police ou à la gendarmerie ont augmenté à la fin des années 2000, sous Sarkozy, mais ils sont très stables depuis les années 2010’s : un peu moins de 5 cambriolages pour 1000 habitants chaque année.

C’est sûr que ça ne fait pas plaisir du tout, mais là encore, on ne peut pas parler d’explosion.

Quand on regarde les enquêtes de victimation, on voit qu’il y a en réalité beaucoup plus de Français concernés par les cambriolages et tentatives de cambriolages que ce que la police mesure : on est plus à 4-5 pour 1000, mais à 20 Français pour 1000. Par contre, l’évolution est la même. Le chiffre est resté très stable depuis la fin des années 2000.

 

Il y a deux types de vols où la baisse est claire et continue.

Les vols de véhicules (motos ou voitures) et les vols à la roulotte (c’est-à-dire les vols d’objets DANS LES VOITURES) n’ont pas arrêté de baisser depuis 2008. Bonne nouvelle 🙂

Pour avoir un tableau complet des atteintes aux biens, passons aux dégradations et aux destructions volontaires.

Est-ce qu’à défaut d’une explosion des vols, on a bien connu une explosion des vitres cassées, des voitures brûlées ou des murs taggés ?

Et bien non ! Les dégradations volontaires “en général” sont en baisse chez la police.

Dans les enquêtes de victimation aussi, les actes de vandalisme contre les logements ou les véhicules baissent tous les deux.

 

Une chose est sûre : pour l’instant, on ne constate aucune explosion de la délinquance ces 15 dernières années. On assiste plutôt à une stagnation des atteintes aux bien, et dans pas mal de cas, même à une baisse de cette délinquance.

Alors attention, cela reste traumatisant pour les gens qui se font cambrioler, qui se font voler, et qui ont le sentiment d’être mal protégés. Il ne faut pas nier tout ça. Mais on est obligé de constater que la situation n’est pas en train de s’empirer, et ça, c’est tant mieux.

Mais peut-être que l’aggravation de l’insécurité concerne les atteintes aux personnes : les agressions, les violences sexuelles, les insultes, les menaces.

 

Les atteintes aux personnes

 

On a vu que la plus définitive des atteintes aux personnes – le meurtre – est à la baisse depuis les années 90, avec une petite remontée depuis 2 ou 3 ans liés aux réglements de compte. Ce n’est pas du côté des homicides qu’on trouvera une France “infernale” et invivable.

Malgré ce que peut nous faire imaginer la médiatisation intense de meurtres sordides, comme celui de Lola et de Philipine, quelqu’un ne risque pas plus d’être assassiné en France qu’il y a 5, 10, 20 ou 30 ans.

 

Regardons maintenant les agressions physiques alias, dans le vocabulaire policier, les “coups et blessures volontaires”.

Là, pour la première fois depuis qu’on examine la délinquance, on voit une progression dans les stats de la police. La police et la gendarmerie enregistrent de plus en plus de coups et blessures. Ces agressions violentes concernent aujourd’hui chaque année 6 personnes pour 1000 contre 4 en 2008.

 

A quoi est dûe cette explosion des agressions mesurées par la police ?

Pour partie à l’élargissement de la catégorie juridique. Pour être qualifié de “coups et blessures volontaires” une agression doit OU entraîner un arrêt de travail de 8 jours OU être accompagnée d’une circonstance aggravante et, depuis 2008, le législateur en ajouté un paquet de ces circonstances aggravantes.

[ SOURCE : Observatoire scientifique du crime et de la justice, Les agressions : un champ de mines méthodologique, 2023, p. 2 ]

Dans tous ces cas là, une agression physique, même sans ITT de 8 jours, peut être qualifiée de “coups et blessures volontaires” et se retrouvera donc aujourd’hui dans nos statistiques de police alors qu’elle n’y était pas en 2008.

A titre personnel, je trouve ça bien de reconnaître juridiquement plus de circonstances aggravantes aux actes de violences, mais c’est sûr que cet élargissement contribue à faire monter les statistiques de police.

 

Il y a un autre facteur d’explication à cette montée des agressions dans les stats de police.

Les stats du ministère de l’Intérieur nous permettent, à partir de 2016, de distinguer les “coups et blessures volontaires” à l’intérieur du cercle familial et les agressions qui n’impliquent pas un membre de la famille, “à l’extérieur”.

On remarque que les violences familiales – qui, en réalité, sont très majoritairement des violences physiques CONJUGALES ont augmenté beaucoup plus vite que les agressions “hors cadre familial”. En réalité, 80 % de la hausse des agressions constatée par la police entre 2016 et 2023 vient de l’intérieur de la famille.

 

Comment expliquer une si forte progression des violences conjugales dans les stats du ministère ?

On peut penser à l’impact du mouvement MeToo impulsé fin 2017. En libérant la parole sur les violences physiques et sexuelles infligées aux femmes et minorités sexuelles, ce mouvement d’opinion a pu contribuer à augmenter A LA FOIS le nombre de victimes qui osent porter plainte ET la propension des policiers et gendarmes à enregistrer ses plaintes une fois les victimes au commissariat.

On aurait aimé pouvoir confirmer cette augmentation du taux de plainte lors des cas de violences conjugales avec les enquêtes de victimation MAIS malheureusement, les méthodes pour mesurer ces violences ont changé et ne nous permettent pas de suivre précisément leur évolution dans le temps.

Il faudra donc attendre de meilleures enquêtes de victimation pour savoir si la hausse des plaintes pour coups et blessures à l’intérieur de la famille signale UNE HAUSSE DE LA VIOLENCE ou simplement une HAUSSE DE LA PROPENSION À PORTER ET ENREGISTRER UNE PLAINTE depuis le mouvement MeToo.

 

Voilà pour les violences conjugales. Revenons quand même aux agressions violentes en dehors de la famille.

Ces agressions sont importantes pour savoir si notre pays devient plus dangereux. Il s’agit des agressions violentes “à l’extérieur”, dans la rue, à l’école, au travail, dans les transports, qui peuvent nourrir la peur de sortir seul de chez soi. C’est souvent ces agressions-là qui font parler les politiques de “barbarie”, “d’ensauvagement”, “d’agressions gratuites”.

Ces agressions, d’après les chiffres de la police, ont augmenté d’environ 16% entre 2016 et 2023. Mais que nous disent les enquêtes de victimation ? Bah plutôt l’inverse !

 

En réalité, quand on demande directement aux gens ce qu’ils ont subi comme agressions, on constate qu’entre 2006 et 2020, les agressions physiques hors ménage ont plutôt diminué.

La hausse mesurée par la police vient donc probablement beaucoup plus de l’inclusion de plus en plus d’actes qui avant n’auraient pas été comptés comme “coup et blessures volontaires”, que de l’évolution de ces agressions, qui sont en réalité plutôt en baisse.

 

C’est très important de bien comprendre ça, parce qu’on peut très facilement manipuler les gens en leur montrant les stats de la police pour leur prouver que ça s’empire, alors que quand on regarde les enquêtes de victimation, plus fiables et plus complètes, c’est l’exact inverse qu’on observe.

L’exact inverse du discours que les Le Pen père et fille rabâchent de campagne en campagne.

Encore une fois, pas de malentendu entre nous : ce n’est pas parce que ces violences n’explosent pas qu’elles ne sont pas graves, qu’elles ne sont pas traumatisantes, ou qu’on ne doit pas chercher à les faire diminuer.

Si on s’éloigne des actes les plus violents – les homicides, les coups et blessures – et qu’on va vers les agressions à faible intensité, les insultes et les menaces, qui sont moins graves mais qui peuvent quand même pourrir le quotidien, on observe dans les enquêtes de victimation une grande stabilité voire un léger déclin. Mais par prudence, disons que c’est stable. Visiblement, les gens ne vivent pas de grande explosion de l’incivilité, ou des tensions verbales.

 

Focus : viols et agressions sexuelles

 

Maintenant, retour à du plus difficile. On va regarder comment ont évolué les autres dimensions des violences sexistes et sexuelles :  les viols et agressions sexuelles.

Les stats de la police et de la gendarmerie montrent une grande augmentation des viols et des agressions sexuelles. Depuis 2016, il y a 2.2 fois plus de victimes de violence sexuelle enregistrées par la police. Pour les seuls viols et tentatives de viols, la hausse est encore plus importante : ils sont multipliés par 3 (2.86) en 7 ans !!

En 2023, 1 femme sur 1000 en moyenne est allée déclarer un viol à la police. Chez les jeunes femmes – les plus souvent victimes de ces actes – la proportion est effrayante.

Dites-vous qu’une 1 femme de 15-17 ans sur 200 a déclaré à la police avoir subi un viol ou une tentative de viol en 2023 !! 1 gamine sur 200  !!! C’est affreux. Et ça, c’est seulement les jeunes filles qui sont allées porter plainte. Beaucoup ne l’ont pas fait.

Dans la dernière enquête de victimation, on apprend que, près de 5% (4.69) des femmes de 18-24 ans ont subi une violence sexuelle physique en 2021. On parle d’une jeune femme sur 20 !

[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur, “Rapport d’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) – 2022”, 2023, Figure 3 p.25 ]

Ce chiffre est proprement hallucinant mais l’enquête ne nous permet pas de distinguer spécifiquement les viols et tentatives de viols des autres agressions sexuelles.

On peut toutefois, avec un petit calcul qu’on vous détaille en sources, arriver à une approximation à partir des chiffres de l’enquête. Il y aurait autour de 2.8 % des femmes de 18-24 ans qui ont subi un viol ou une tentative de viol en 2021.

2,8%, ça veut dire 1 jeune femme sur 36 et ça fout, littéralement, la nausée.

Détails du calcul :  SOURCE : Ministère de l’Intérieur, “Rapport d’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) – 2022”, 2023, Figure 1-3 p.25

A partir des données de la figure 1, nous savons que 217 000 femmes ont été victimes de “au moins une violence physique ou sexuelle”, que 182 000 ont été victime d’une “agression sexuelle” et que 52 % de ces victimes d’agression sexuelles sont des polyvictimes.

On peut déduire de ces informations le nombre de femmes victimes de “viol ou tentative de viol” grâce au calcul suivant :

 

217 000 – (182 000 x (1 – 52%)) = 129 640 Femmes victimes de viol ou tentative de viol

 

La figure 3 nous apprend que, parmi l’ensemble des femmes de 18 à 24 ans, 46.9 pour 1000 ont été victimes de violences sexuelles physiques.

Si l’on suppose que la proportion de victimes de viol et tentative de viol parmi les femmes de 18-24 ans est identique à celle rencontrée chez les femmes de tous âges, on peut connaître la proportion de femmes de 18-24 ans victimes de viol et tentative de viol avec le calcul suivant :

 

46.9 x (129 6400 / 217 000) = 28.02 pour 1000 ou 2.8 % des femmes de 18-24 ans ont été victimes de viol ou tentative de viol en 2022.

 

Bon, on a vu que la police enregistre, depuis MeToo, de plus en plus de plaintes pour viol et violences sexuelles, mais est-ce qu’on retrouve cette même augmentation dans les enquêtes de victimation ?

Là on tombe sur une limite de nos enquêtes qui ont été créées au milieu des années 2000, et qui, signe de leur époque, ne sont pas assez détaillées sur ces questions de violences sexuelles.

Ce qu’on peut savoir c’est que, de 2008 à 2018, les “Violences sexuelles hors ménages” (donc dans la rue, au boulot, dans les transports publics, etc. ) et les “Violences physiques ou sexuelles dans le ménage” (donc un mélange entre violences conjugales et violences sexuelles) déclarées par les répondantes à l’enquête étaient plutôt stable.

 

Mais ces données sont très lacunaires : on n’a par exemple aucune idée des violences sexuelles spécifiquement dans le ménage.

Et en plus, ces données s’arrêtent AVANT MeToo et l’augmentation massive des plaintes constatées par la police et la gendarmerie.

Donc avec ces données-là, on ne peut absolument rien répondre à la question : est-ce que les violences sexuelles – et particulièrement les viols – ont augmenté ou baissé ces dernières années ?

Tout ce qu’on peut dire c’est qu’on assiste à un bouleversement dans la conscience et le traitement des violences sexuelles et sexistes. Avec Meetoo, les gens catégorisent plus facilement certaines expériences comme des agressions, portent ensuite plus facilement plainte, plaintes qui sont aussi mieux reçues par la police.

 

Et ça, c’est un exemple chimiquement pur de ce que le grand sociologue Norbert Elias a appelé la “civilisation des mœurs” : un ensemble de phénomènes sociaux modifie les valeurs d’une société, et amène les gens à tolérer de moins en moins certaines violences.

On mesure à quel point les commentaires en “ensauvagement” ou en “décivilisation” de Macron ou de Darmanin sont à côté de la plaque. Les luttes des féministes et activistes LGBT sont en train de civiliser notre société. Pas mal pour les “wokistes” ou les “féministes à cheveux bleus”.

Sur ces violences sexuelles et sexistes, le seul discours de l’extrême-droite consiste à monter en épingle des faits divers pour mettre la faute sur des prédateurs migrants ou sur “le fondamentalisme islamique”.

C’est une des grandes recettes de la stratégie de Marine Le Pen qu’on a décryptées dans notre vidéo sur la bien mal nommée dédiabolisation.

Pour l’extrême-droite, peu importe que l’immense majorité de ces violences se déroulent dans la famille, ou dans l’entourage immédiat loin des migrants, ou du fondamentaliste islamique.

Un seul chiffre : 74% des viols et tentatives de viol sont le fait d’un conjoint, ex-conjoint, ou d’une personne connue personnellement.

[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur, Rapport d’enquête “Cadre de vie et sécurité, 2019, p.94 ou 185 ]

Faisons une pause dans notre périple. Jusqu’ici, on vous a montré des évolutions de différents crimes et délits pris isolément. Et on a vu qu’on pouvait très difficilement parler d’explosion de l’insécurité ces 10-15 dernières années.

Mais ce n’est pas la seule manière d’aborder l’insécurité et la délinquance. L’autre grande manière c’est d’étudier le très très célèbre “sentiment d’insécurité”, souvent mis en avant par les politiques de droite et d’extrême droite.

 

Sentiment d’insécurité VS Préoccupation sécuritaire

 

Chaque année, les enquêtes de victimation posent aux gens des questions plus générales sur leur vécu de l’insécurité. Qu’observe-t-on ?

Les réponses sont très stables depuis 15 ans : 1 Français sur 10 environ déclare se sentir parfois ou souvent en insécurité dans le coin où il ou elle habite, ou renoncer parfois à sortir de chez soi pour des raisons de sécurité.

Encore une fois, on n’observe pas d’explosion. Mais 1 Français sur 10 ce n’est pas rien.

 

Surtout qu’un sur 10, c’est une moyenne. Certaines populations se sentent beaucoup plus en insécurité que d’autres.

Les gens qui se sentent le plus souvent en insécurité autour de chez eux, c’est les femmes plus que les hommes. C’est les habitants de grandes villes plus que ceux de la campagne, – et particulièrement ceux qui habitent les quartiers défavorisés. C’est aussi les jeunes plus que les vieux, les pauvres plus que les riches, et les immigrés ou descendants d’immigrés plus que les autres Français.

[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur – SSMSI, « Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité » 2019 « , p.108 ]

Ici, il y a un fait très intéressant à noter. Les publics qui se sentent le plus en insécurité dans leur quotidien ne sont pas forcément ceux qui font de l’insécurité un problème politique majeur.

Quand on regarde, dans les enquêtes de victimation, qui place la délinquance comme le problème le plus important de notre société, on voit que c’est plutôt les catégories de population qui la subissent le moins.

[ SOURCE : Ministère de l’Intérieur, “Rapport d’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) – 2022”, 2023 p.258 ]

Les hommes plutôt que les femmes, les vieux plutôt que les jeunes, les riches plutôt que les pauvres, les français “sans lien avec l’immigraiton” plutôt que les immigrés et leurs descendants.

 

On peut retenir une nouvelle leçon de nos enquêtes de victimation : celles et ceux qui subissent le plus l’insécurité ne sont pas forcément celles et ceux qui en font le problème politique numéro 1. Sentiment d’insécurité dans la vie quotidienne et préoccupation sécuritaire ne sont pas forcément liés.

Ça confirme un peu le cliché du gars qui habite dans un village où il ne se passe pas grand chose, mais qui craint l’ensauvagement terrible qu’il a vu à la télé sur Cnews, dans les faits divers, et dans les discours de Le Pen et Darmanin.

 

Mais je le reconnais : je m’éloigne ici un peu des faits et des données 🙂