Pour des informations complémentaires sur le rôle de la Commission, du Conseil ou des lobbies, n’oubliez pas de consulter les “Sources et références” de la partie 1 : “Qui fait la loi dans l’UE ? Les acteurs clés”.
Les textes de lois dans l’UE
Avant de se demander comment se prennent les décisions dans l’UE, encore faut-il savoir les types de textes, de décisions que l’UE peut prendre. Les “actes législatifs” de l’UE sont au nombre de 4 mais on va se concentrer sur les deux plus importants.
Commençons par les plus connues : les Directives.
Les directives européennes sont des actes législatifs majeurs. En votant une directive, l’UE donne aux États membres le cadre et les objectifs à atteindre sur un domaine donné. Il faut savoir que les directives votées ne s’appliquent pas immédiatement. Elles doivent d’abord être transcrite dans le droit national de chaque État membre. Le délais imparti pour transcrire la directive peut varier mais est généralement inférieur à deux ans.
Le second “acte législatif” majeur de l’UE, ce sont les Règlements.
Le but des règlements est de préciser les directives. Quand un point est déjà tranché politiquement par une directive, le règlement va fixer les détails donner les paramètres techniques. Les règlements, à la différence des directives, n’ont pas besoin d’être transcrits par les parlements nationaux. Dès qu’un règlement est voté, il s’applique immédiatement dans tous les Etats de UE.
Les directives et les règlements forment le corps de ce qu’on peut appeler les “lois” de l’UE.
A ces deux “actes législatifs” majeurs s’en ajoutent deux qu’il faut mentionner.
Les “décisions” de l’UE peuvent être prises par la Commission, la BCE, le Conseil ou le Parlement et le Conseil dans le cadre des procédures législatives. Les décisions concernent souvent un destinataire précis (un État, une entreprise…). Elles sont contraignantes et doivent être appliquées immédiatement.
Les “recommandations” et les “avis” donnent le point de vue d’une institution européenne (la Commission le plus souvent) sur un sujet. Elles peuvent être adressée à un Etat membre ou à une autre institution européenne (le Parlement émet des avis lors de la procédure législative spéciale). Les recommandations et les avis ne sont pas contraignants.
Le Conseil européen impulse, la Commission a l’initiative
Voyons maintenant comment l’UE vote des directives et des réglements.
A l’impulsion de la plupart des textes, on retrouve le Conseil européen.
Le Conseil européen réunit les chefs d’État et de gouvernement. Son rôle est de “déterminer les orientations et les priorités générales de l’UE”.
A la fin de chaque Conseil sont adoptées des “Conclusions du Conseil européen” qui fixe la feuille de route que la Commission européenne doit suivre sur un sujet.
De plus, tous les cinq ans, le Conseil européen définit un “programme stratégique pour l’Union européenne” qui fixe le cap des réformes et chantier pour les cinq prochaines années.
Sur les bases de cette impulsion, la Commission européenne a le monopole de l’initiative législative (ou parlementaire).
Ce mot barbare, mais important, signifie simplement que la Commission a seule le pouvoir d’inscrire une directive à l’agenda législatif et d’en rédiger le brouillon.
Ce pouvoir est d’une importance capitale. Rédiger le brouillon d’une directive, c’est cadrer la portée des débats.
Il faut aussi noter que, si la Commission est la seule institution dotée de l’initiative législative, ça veut dire que le Parlement européen, seul organe élu directement par le peuple européen, ne peut pas décider de lui-même de proposer tel ou tel projet de directive.
Ceci est très curieux : les parlement nationaux disposent dans l’extraordinaire majorité du temps de l’initiative parlementaire. L’Assemblée natinale peut dire : “je veux légiférer sur X” et inscrire le brouillon de cette loi à l’agenda. En UE, ce n’est pas le cas. Ainsi que le stipule l’article 17 paragraphe 2 du Traité de l’Union européenne, seule la Commission européenne peut proposer des lois et en rédiger les brouillons.
Précision importante. Si, la plupart du temps, la Commission suit les conclusions et impulsions du Conseil européen pour définir son calendrier, mettre des directives à l’agenda et en rédiger des brouillons, la Commission garde tout de même une marge de manoeuvre.
Par exemple, avec les scandales “Lux leaks” et “Panama papers”, en janvier 2017, la Commission a proposé un projet de directive “anti évasion fiscale” sorti de son chapeau. Il ne figurait dans aucune “conclusion” des conseil européens.
Regardons maintenant comment sont votées ces directives et règlements.
La procédure législative ordinaire
On a mis du temps à trouver un document expliquant clairement, étape par étape, comment étaient prises les décisions dans l’UE. C’est chose faite !
Toutes les informations à savoir sur la procédure législative ordinaire, le rôle du Parlement, du Conseil de l’UE, de la Commission, sur les aller-retours, les premières lecture, les comités de conciliation et même les trilogues, tout est dans CE DOCUMENT MAJEUR (et en français) du Parlement européen.
Nous vous recommandons chaudement de le lire en entier. Toutefois, nous nous permettons d’insister sur le point 30 du document. Il vous permettra de comprendre le point le plus “curieux” de la procédure législative ordinaire qui permet, en seconde lecture, à la Commission d’émettre un avis négatif sur un amendement du Parlement et ainsi obliger le Conseil de l’UE à le voter seulement à l’unanimité.
Il est décisif de bien comprendre la cette procédure législative ordinaire qu’on appelle parfois aussi “Codécision”. La codécision est devenue la norme en UE ainsi que le montre ce graphique tiré d’un document exhaustif et clair sur les décisions en UE (p.54).
On remarque clairement sur ce graphique que, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, dans 90 % des cas, le Parlement européen et les Etats – représentés dans le Conseil de l’UE – décident ensemble à égalité des directives européennes. Le Parlement ne peut rien imposer sans l’accord du Conseil et réciproquement.
Il est maintenant temps de nous intéresser aux cas particuliers, aux 10 % de textes législatifs que le Conseil adopte seul, sans codécider avec le Parlement.
Les cas particuliers : le budget et la procédure législative spéciale
Commençons par les gros des 10 % restants. Ces textes législatifs sont adoptés en passant par la procédure législative spéciale.
Lors de la procédure législative spéciale, le Parlement est seulement consulté. Le Parlement émet un avis (positif, négatif ou demander des modification) mais le Conseil n’est pas obligé d’en tenir compte. Il est seul et unique décisionnaire. Lors de la procédure législative spéciale, un vote du Conseil (à la majorité qualifiée ou à l’unanimité selon les cas) suffit à faire adopter une directive ou un règlement.
Quels sont les domaines concernés par la procédure législative spéciale ?
Lorsque l’UE se prononce sur la fiscalité, les banques, les budgets, la protection sociale, la liberté de circulation des capitaux, le droit de la concurrence ainsi que la politique étrangère et de sécurité commune, le Parlement européen est seulement «consulté».
Pour avoir une idée exhaustive et précise de tous les domaines concernés par la procédure légisaltive spéciale, nous avons trouvé une méthode simple mais un peu “baroque” : chercher à l’aide de Ctrl+F dans le Traité de fonctionnement de l’Union Européenne les articles mentionnant “après consultation du Parlement européen”. Nous sommes tombés sur une vingtaine d’articles qui couvre différents domaine définis avec plus ou moins de précision. Nous vous reproduisons ici nos notes à ce sujet. Nous vous conseillons de vous reporter au texte exact du traité pour vous faire une idée plus précise.
Art 21 : La sécurité sociale et la protection sociale des citoyens communautaires
Art 22 : Le droit de vote des citoyens communautaires
Art 23 : La protection diplomatique et consulaire d’une représentation de l’UE dans un État extra-communautaire où pays d’origine n’a pas de représentation
Art 64 : Prendre mesures qui constituent un recul dans le droit de l’Union en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers.
Art 74 : Coordination des services de polices, justice et sécurité
Art 77 : Les titres de séjours et les visas des extra-communautaires
Art 78 : Les mesures provisoires en cas “d’afflux soudain de ressortissants de pays tiers”
Art 95 : L’égalité communautaires pour les tarifs des transporteurs
Art 103 : Le marché intérieur et la concurrence (majorité qualifiée du Conseil)
Art 109 : Les subventions publiques et le marché intérieur (majorité qualifiée du Conseil)
Art 113 : La fiscalité des entreprises
Art 115 : Les mécanismes d’harmonisation légale et admin du marché intérieur
Art 126 : La supervision budgétaire
Art 127 : Le contrôle par la BCE des banques (pas des assurances)
Art 129 : Les nominations et règlements de la BCE (majorité qualifiée du Conseil)
Art 148 : L’élaboration des lignes directrices sur l’emploi que se voient envoyer les États membres (majorité qualifiée du Conseil)
Art 153 : La protection sociale et le droit du travail (unanimité la plupart du temps)
Art 192 et 4 : Possibilité de squeezer le Parlement, à titre dérogatoire, pour la politique environnementale et énergétique.
Art 311 : LES RESSOURCES DE UE – unanimité
Enfin, il nous reste à aborder la question du budget. Sur le budget, la situation est particulière. Comme pour les textes législatifs, seule la Commission peut proposer un budget. Jusque là, rien d’anormal dans l’UE.
Les dépenses de l’UE sont votées en codécision. Le Parlement et le Conseil décident ensemble de comment vont être dépensés les crédits de l’UE.
Par contre, les recettes du budgets européen – quel État paye combien ? lève-t-on un impôt européen ? – sont décidées uniquement par les États et à l’unanimité des membres du Conseil.
Contrairement à un Parlement national qui décide de tout le budget et peut lever l’impôt, le Parlement européen, seule institution élue directement par le peuple européen, ne peut voter que les dépenses.
Le manque de transparence au Conseil européen
Dans le droit européen, rien oblige les États à rendre publiques les positions qu’ils ont défendus dans les Conseils – que ce soit le Conseil européen qui réunit les chefs d’État et de gouvernement ou le Conseil de l’UE qui réunit les ministres et participe au vote. Les débats au Conseil ne sont pas publics.
Les États peuvent donc défendre des positions dans les institutions européennes sans que leur population soit informée.
Certains États, comme l’Allemagne, ont remédié à ce problème. En Allemagne, un ministre ou un chancelier doit, avant de défendre une position dans l’un des Conseils, informer et discuter avec les deux chambres allemandes (le Bundestag – leur Assemblée nationale – et le Bundesrat – qui réunit les régions).
La France, à l’inverse, semble tenir à l’opacité. En juillet 2019, on a appris que la France s’est opposée de tout son poids à ce que les positions et délibérations du Conseil de l’UE qui réunit les ministres soient rendues publiques. Cette information a fuité dans le site spécialisé sur l’UE Contexte. Ce site est absolument remarquable mais s’y abonner coûte un bras. On vous reproduit donc cette brève ici :
La France freine encore des quatre fers sur la transparence au Conseil de l’UE – Selon plusieurs diplomates, la France continue à faire partie des pays les plus réticents à l’idée que le Conseil mette en ligne des documents de travail internes quand les États négocient des propositions législatives. Si certains sont prêts à jouer la carte de la transparence (relire notre brève) et si les Verts au Parlement européen menacent de porter le dossier à la Cour de justice de l’UE, Paris souhaite au contraire limiter cette ouverture. La France s’oppose ainsi à la publication des positions du Conseil avant les trilogues. Selon certains diplomates, la France a peur que des engagements pour la transparence menacent « l’équilibre institutionnel » et complexifient encore un peu plus les négociations entre les États. La présidence finlandaise devrait présenter à la mi-septembre ses plans pour trouver un compromis sur le sujet.
On voit donc que la transparence et la publicité des débats dans les Conseils est un point crucial à améliorer dans la démocratie européenne.